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La société civile tire des bords entre silence embarrassé et attentisme

La société civile tunisienne, le cœur battant de la révolution jusqu’à ce jour,  est  étonnamment restée silencieuse dans la foulée du 25 juillet. Emmenés par l’UGTTet l’UTICA , les  syndicats  sont également restés mutiques , publiant au hasard quelques communiqués de presse pour rappeler les principes de la démocratie, ou postant sur les médias sociaux pour exprimer des « préoccupations. »  Un constat  qui a notoirement interpellé le think tank arabe  Arab Reform Initiatlve (ARI) au point de voir dans cette approche attentiste une approbation implicite des mesures de l’état d’exception,  et par extension, un rejet de l’état des choses qui prévaut jusqu’au 25 juillet. D’autres analystes ont estimé qu’elle révélait l’incapacité de la société civile à répondre aux risques graves qui menacent la transition démocratique du pays par une nouvelle dictature, dix ans après l’éviction de Ben Ali.

De fait,  au lendemain de l’annonce des mesures d’urgence par le président de la République, Kais Saied, le 25  juillet 2021, l’UGTT a exprimé son soutien inconditionnel au président, réitérant l’engagement de l’organisation envers la Constitution. Bien qu’elle ait souvent été un interlocuteur régulier et parfois un allié des gouvernements précédents et des diverses majorités parlementaires, « l’UGTT a choqué les observateurs par la rapidité avec laquelle elle a approuvé ce changement politique », souligne le groupe de réflexion arabe. Elle est  restée remarquablement passive face aux mesures déclarées par la présidence de la République. Sa capacité à mobiliser la rue et à contraindre les différentes composantes du gouvernement à obtempérer est remise en question, ajoute ARI .

Quant à l’UTICA, elle a maintenu une attitude attentiste après le 25 juillet. Le monde des affaires tunisien a été pointé du doigt par Kas Saied pour son niveau de corruption, son clientélisme soutenu par les politiciens et son appétit économique et financier au détriment du peuple. Le 4 septembre 2021, le président a reçu pour la deuxième fois une délégation de l’UTICA conduite par son président, Samir Majoul – à qui le président Saied a exprimé toutes ses inquiétudes à l’égard du patronat, tout en félicitant les « hommes d’affaires intègres ».

La faiblesse des syndicats tunisiens réside dans leur incapacité à consulter régulièrement et rapidement leur base, ainsi que dans leur incapacité structurelle à agir de manière proactive, explique le think tank. Pour leurs partisans, ils sont considérés comme les gardiens des droits des faibles, et pour leurs opposants, ils sont les ennemis de la démocratie. Ainsi, ces dernières semaines ont été un défi majeur au rôle qu’ils prétendent jouer.

L’Ordre National des Avocats Tunisiens (ONAT) a également eu une position discutable et surprenante. Le 27 juillet 2021, l’ONAT a publié un communiqué de presse soutenant les mesures d’urgence et appelant le président à rouvrir les dossiers de corruption, à amender la loi électorale et à poursuivre les violations électorales constatées en 2011. L’Ordre maintient toujours sa position, malgré les réserves émises en septembre contre les violations flagrantes des droits et libertés.

L’attentisme de la société civile est-il justifiable ?

L’attentisme adopté par ces acteurs renvoie vraisemblablement à au moins deux faits établis, souligne Arab Reform Initiative.D’une part,  la situation politique en Tunisie jusqu’au 25 juillet avait effectivement atteint le summum de ce que beaucoup de Tunisiens rejetaient ; d’autre part, les structures institutionnelles, constitutionnelles et juridiques existantes mises en place lors de la transition démocratique de la dernière décennie restent extrêmement fragiles.

Le fait est que la société civile peine encore à se mobiliser. Aucune coalition réelle n’a été formée ou officialisée à ce jour, ce qui donne au président tout l’espace et le temps dont il a besoin pour façonner son régime politique idéal.

Dans ce contexte d’incertitude et de tension, les premières victimes sont les libertés individuelles et collectives, qui continuent de subir les attaques de toutes les forces qui rejettent la démocratie. Aux forces de sécurité répressives et à l’ancien régime s’ajoutent désormais les partisans de Kais Saeid, selon lesquels la démocratie n’a rien apporté de bon à la Tunisie, indique ARI.

Une feuille de route inclusive

Et de poursuivre : « Aujourd’hui plus que jamais, les organisations de la société civile, les syndicats, les journalistes et les plus grands secteurs de la société,  doivent mobiliser les rues et les espaces stratégiques, en exigeant une feuille de route. Cette feuille de route doit être élaborée de manière transparente, conjointe et inclusive avec tous les acteurs sociaux. La rhétorique de la présidence doit intégrer davantage de garanties pour rassurer les gens et atténuer l’incertitude de la situation actuelle ».

Cette feuille de route doit également garantir, explicitement et sans réserve, que tous les droits et libertés resteront une ligne rouge indiscutable. Les déclarations du président sur la liberté d’association, par exemple, doivent être un signal d’alarme pour la société civile. Le gouvernement de Najla Bouden doit reprendre les efforts entamés par l’administration et lancer de nouvelles réformes économiques et sociales afin de contrôler l’inflation galopante qui a dépassé les 6% au cours du premier trimestre 2021. Ce nouveau gouvernement doit rétablir la confiance dans l’économie, stimuler le développement social et économique et soutenir les entreprises les plus faibles touchées par la pandémie mondiale. En fin de compte, le régime ne compte pas beaucoup en l’absence d’institutions. Les priorités de ce gouvernement – sans doute soumises à Kais Saied – doivent être clairement énumérées – ou mieux encore, discutées en profondeur et approuvées.

Si le président souhaite entreprendre son projet politique et institutionnel, il doit le faire en respectant les dispositions de la Constitution de 2014, même si elles devaient être modifiées, afin d’éviter que ce scénario ne soit peut-être reproduit par ses adversaires. Les institutions clés, esquissées en 2014, doivent être mises en place. Cela signifie qu’il faut commencer par la Cour constitutionnelle, dont le projet adopté en 2015 reste dans les cartons. Les organes indépendants doivent voir leurs pouvoirs et leur indépendance gravés dans le marbre. Le pouvoir judiciaire doit retrouver son autonomie tout en se réformant en profondeur. Les questions économiques, sociales et de développement doivent être mises au premier plan en tant que priorités absolues de l’État.

Sans ces exigences, la voie empruntée par le populisme de Kais Saied et d’autres candidats, menace de précipiter le pays dans un abîme, comme c’est le cas dans d’autres pays de la région. Le danger culminant du fait du silence des acteurs civils pourrait – une fois pour toutes – annihiler la transition démocratique que seule la Tunisie a pu maintenir pendant si longtemps dans la région, avertit Arab Reform Initiative..

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