Depuis 2021, le budget de la Tunisie a connu une augmentation des dépenses sociales – subventions et transferts – utilisées comme filet de sécurité pour atténuer les effets de la situation économique. Les subventions et les transferts ont atteint 12 % du PIB en 2023, faisant de la Tunisie l’un des pays les plus dépensiers de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord cette année-là, relève le think tank Carnegie . Cette tendance n’est pas nouvelle, rappelle-t-il, puisque les dépenses sociales ont progressivement augmenté en Tunisie depuis 2011, passant de 2,4 % du PIB en 2010 à 6 % en 2018 et 12 % en 2023.
Les subventions couvrent principalement les produits pétroliers, l’électricité, le gaz et les céréales. Les transferts – à la fois les transferts sociaux et le financement des entreprises publiques – représentent environ 5 % du PIB. La plupart des pertes des entreprises publiques qui ont motivé ces transferts sont liées à la Compagnie tunisienne de l’électricité et du gaz, à la Compagnie tunisienne des industries de raffinage ou à l’Office des céréales. La forte augmentation des subventions visait initialement à atténuer l’impact de la hausse des prix internationaux des denrées alimentaires et des carburants à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Mais la tendance s’est poursuivie en 2024, pour répondre à la nécessité de protéger le pouvoir d’achat de la population. Les subventions et les transferts restent élevés, estimés à 11,3 % du PIB pour 2024.
La décision du gouvernement tunisien de maintenir des dépenses sociales élevées et d’éviter de réformer le système de subventions universelles ou les entreprises publiques responsables de l’importation de carburant et de produits alimentaires de base découle notamment d’une stratégie de gestion de la dette. La Tunisie a été amenée à s’appuyer de plus en plus sur son secteur financier national, y compris la banque centrale, pour couvrir son déficit budgétaire.
Filet de sécurité social ciblé !
Plutôt que d’utiliser le capital politique pour mettre en œuvre des réformes audacieuses des subventions, les autorités ont, depuis 2022, réduit les dépenses de subvention par le rationnement, ce qui a entraîné des pénuries, note le groupe de réflexion. Si ce rationnement peut être socialement tolérable à court terme, il n’est pas viable à long terme. Une solution plus efficace consisterait à remplacer les subventions universelles par un vaste filet de sécurité sociale ciblé. Une telle réforme nécessiterait de cibler les ménages en fonction de leurs revenus et de fixer des seuils d’éligibilité aux transferts monétaires avant d’augmenter progressivement les prix. Les précédentes tentatives d’élimination des subventions, en 1978 et 1983, ont déclenché des protestations généralisées.
Le système de protection sociale tunisien se compose de deux éléments principaux : les programmes de sécurité sociale pour les travailleurs des secteurs public et privé, qui forment la majeure partie de la classe moyenne du pays, et un programme d’assistance pour les sous le nom de Programme social AMEN. Selon la dernière estimation de 2020, la protection sociale représentait plus de 7,5 pour cent du PIB, soit un taux supérieur au taux moyen du monde arabe (4,6 pour cent du PIB). Elle comprend les fonds de sécurité sociale pour les employés des secteurs public et privé (à l’exclusion de l’assistance médicale) et les transferts en espèces pour les démunis. Malgré les impacts de la pandémie de coronavirus et la stagnation économique en cours, les transferts monétaires pour les pauvres sont restés relativement stables à environ 0,8 pour cent du PIB par an depuis 2018.
Les filets de sécurité sociale de la Tunisie pourraient être améliorés en augmentant la couverture et en ciblant mieux les plus vulnérables, estime Carnegie. Actuellement, 30 % des Tunisiens sont couverts par le programme AMEN, qui offre à la fois des transferts d’argent et un accès gratuit ou subventionné aux soins de santé pour les pauvres. Avec le soutien financier de partenaires internationaux, AMEN fournit des transferts monétaires mensuels et des services médicaux gratuits à 333 000 ménages pauvres (plus de 10 pour cent de la population tunisienne).La pandémie de coronavirus a considérablement augmenté le nombre de ménages recevant une assistance, passant d’environ 260 000 ménages en 2019 à environ 310 000 ménages en 2023. Les transferts monétaires sont passés de 180 dinars (60 dollars) en 2020 à 200 dinars (65 dollars) en 2022, puis à 220 dinars (73 dollars) en 2023, et enfin à 240 dinars (80 dollars) en 2024. Toutefois, compte tenu de la hausse de l’inflation et de la détérioration des conditions économiques, l’impact de l’augmentation des transferts en espèces reste discutable en termes de réduction de la pauvreté de manière durable et à long terme.