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La Tunisie vit aujourd’hui un tournant avec un risque réel de prolifération du terrorisme

Wahbi Jomaa, président du conseil national d’Ettakatol dresse le bilan de la Tunisie dans ces circonstances particulières marquées par la prolifération du terrorisme. Il considère que la formation d’un gouvernement d’unité nationale émane de la conviction que la voie de la bipolarisation est jonchée de dangers menaçant la sécurité et la stabilité. Interview

Entre les assassinats politiques, les actes terroristes et les discours fatalistes des dirigeants du dernier quart d’heure, comment évaluez-vous la situation surtout que ce genre de crime a mis en ébullition la Tunisie provoquant une inquiétude générale pour l’avenir de la transition ?

Après un cycle de violences verbales et physiques souvent alimentées ou du moins inspirées par des discours d’intolérance et parfois de haine, Il est indéniable que la Tunisie vit aujourd’hui un tournant avec un risque réel de prolifération du terrorisme adossé à une volonté de déstabilisation de la transition démocratique avec des crimes politiques abjectes auxquels les tunisiens ne sont pas habitués et ne sont pas prêts à se résigner. Rien n’indique que ces dangers sont passagers, les découvertes quasi quotidiennes de groupes armés et de caches d’armes ne peuvent inspirer qu’un surcroît d’inquiétude. L’unité nationale proclamée par tous les acteurs politiques mais aussi de la société civile, est, aujourd’hui, la seule réponse face à ce risque sérieux.

Les Tunisiens accusent la Troïka au pouvoir d’être derrière cette sitruation Qu’en pensez-vous surtout qu’une part de responsabilité est imputée au parti Ettakatol?

Après un sentiment généralisé d’une amélioration de la situation sécuritaire en Tunisie et d’une amélioration reconnue par tous les observateurs de l’efficacité du ministère de l’Intérieur, les derniers actes de terrorisme comme l’assassinat politique de feu Mohamed Brahmi viennent nous montrer combien cette situation est encore fragile. Le gouvernement autant que la coalition gouvernementale ne peut que se sentir responsable face à cette situation, car c’est bien le rôle et le devoir de l’exécutif que d’assurer la sécurité de tous les tunisiens.

Ettakatol, en tant que membre de cette coalition et aussi en tant que parti politique responsable a toujours été conscient de cette responsabilité, et ses appels incessants à la lutte contre les violences tant verbales que physiques en attestent. Ce sentiment de responsabilité va jusqu’au sentiment de culpabilité chez beaucoup de nos militants, car, en défenseurs des droits de l’homme, en humanistes convaincus, la vie humaine est, pour nous, un sacré parmi les sacrés. Ces appels n’ont pas été souvent entendus, mais au vu des résultats, reconnaissons qu’ils n’ont certainement pas été suffisants, et à nous d’être encore plus fermes et encore plus intransigeants.

C’est ce sens des responsabilités qui nous amène à réitérer notre appel pour un gouvernement d’union nationale, appel déjà lancé bien avant les élections, car nous restons convaincus que, face à une bipolarisation néfaste et face à ce fléau de terrorisme, seule l’unité nationale peut être une réponse crédible. Ce gouvernement d’union nationale qui doit recevoir l’assentiment de l’unanimité ou du moins d’une très large majorité des acteurs politiques doit se fixer pour première priorité d’assainir la situation sécuritaire afin de pouvoir finir cette phase de transition démocratique et d’aller vers des élections générales dans les meilleures conditions.

La gravité de la situation a poussé l’opposition à observer un sit-in du départ réclamant la dissolution du gouvernement d’Ali Laaraeydh et celui de l’ANC. D’ailleurs, un grand nombre des députés d’opposition ont choisi de se retirer de la constituante. Que pensez-vous de ce retrait et surtout de l’appel lancé pour la dissolution du gouvernement actuel, l’ANC en particulier ?

Il est pour moi important de différencier les deux demandes. D’abord, dans la réclamation de « dissolution » du gouvernement, il y a deux aspects, une demande de changement de gouvernement que nous réclamons aussi au sein d’Ettakatol afin d’aboutir à un gouvernement d’union nationale, mais il y a aussi une demande de démission immédiate avant le début de tout débat et de toute négociation. Pour des raisons techniques en lien avec la loi organisant les pouvoirs publics provisoires (OPPP), cette dernière demande est dénuée de sens. En effet, l’OPPP prévoit que le parti ayant le plus de sièges (à savoir le mouvement Ennahdha) propose, dans les 3 jours suivant la démission du gouvernement, le nom d’une personnalité pour être le chef du nouveau gouvernement et que celui-ci a 15 jours pour proposer au président de la République la composition du nouveau gouvernement. Ces délais sont-ils compatibles avec la recherche d’une composition consensuelle pouvant avoir l’assentiment d’une très large majorité des partis politiques afin d’aspirer à un vrai gouvernement d’union nationale ? Je ne le crois absolument pas. Il est aujourd’hui urgent que tout le monde se mette autour de la table de dialogue afin de se mettre d’accord sur une nouvelle configuration gouvernementale, la démission du gouvernement viendra alors naturellement. Afin de ne pas éterniser cette situation, les acteurs du dialogue doivent s’imposer au préalable un délai maximum pour faire aboutir les négociations. Pendant ces phases de dialogue, le gouvernement doit tout de même travailler sans relâche et assumer sa mission, en particulier dans la lutte contre la violence et contre le terrorisme.

La dissolution de l’ANC est une réponse non seulement inadaptée à la situation, mais elle est aussi dangereuse. D’abord, la demande me semble curieuse venant d’élus du peuple auxquels ce dernier a confié la mission d’écrire une nouvelle constitution. Cette capitulation me semble simplement être une fuite face aux responsabilités et une manière de se dédouaner et de vouloir désigner l’autre comme responsable. De plus, cette demande de dissolution de l’ANC est dangereuse, car elle nous mène simplement vers l’inconnu, vers le vide constitutionnel et fait simplement régresser la transition démocratique. Si, au travers de cette demande, ses promoteurs veulent consciemment ou inconsciemment effacer ou oublier les résultats des élections du 23 octobre 2011, ils commettent une erreur magistrale. Mais au-delà de tout, la question qui se pose est tout simplement « en quoi cette demande de dissolution de l’ANC est-elle une réponse pertinente et efficace à la situation critique de la Tunisie ? ». J’avoue que dans toutes les interventions des acteurs politiques, je n’ai pas encore eu de réponse à cette question.

Quand on sait qu’à la veille de l’assassinat lâche de feu Mohamed Brahmi, la commission de recherche de consensus a abouti à des accords majeurs et signé sur un chapitre aussi important que les « droits et libertés », quand on sait que cette commission en avait pour 3 à 4 journées pour finaliser son travail, quand on sait que le nombre de points de désaccord restant est infime, quand on lit le rapport de la commission de Venise sur le projet de la Constitution tunisienne, on est en droit de demander à l’ensemble des élus : De grâce, finissez au plus vite cette noble mission, vous avez aujourd’hui la possibilité de nous « offrir » une constitution dont nous serons fiers, dont vous serez fiers, dont vos enfants seront fiers.

Malgré l’existence d’une majorité qualifiée pour continuer les travaux au sein de l’ANC, malgré la pression très forte d’une partie des élus qui légitimement réclame la continuation de leurs travaux, Mustapha Ben Jaafar prend aujourd’hui une décision courageuse de geler les activités de l’ANC en attendant le retour des acteurs politiques à la table du dialogue, car il est conscient qu’il serait immoral de continuer les travaux sur la constitution sans une partie des élus lui qui a tant donné pour que cette constitution soit réellement à l’image de l’ensemble des Tunisiens et non le résultat et l’image d’une majorité et d’une minorité. Il affirme ainsi le rôle de l’ANC et son rôle personnel dans la préservation de l’unité nationale. Les élus ayant annoncé leur retrait des travaux de l’ANC ont aujourd’hui une occasion de revenir la tête haute. Ils ont aujourd’hui une occasion de consacrer les accords obtenus, lors des dernières phases du dialogue national, mais aussi d’obtenir d’autres avancées pour que le texte de la constitution soit réellement progressiste à l’image de l’espérance de l’ensemble des Tunisiens. Ils ont l’occasion d’installer au plus vite une Instance supérieure indépendante pour les élections qui doit au plus vite se mettre au travail en s’appuyant sur les acquis de l’ancienne ISIE pour nous proposer et nous confirmer des dates pour les prochaines élections générales. Ils ont aujourd’hui l’occasion de mettre en place une loi électorale juste et à même de favoriser la pluralité politique. Ils ont l’occasion de mettre en place au plus vite une loi sur la justice transitionnelle tant attendue par les Tunisiens et qui reste une nécessité impérieuse pour la transition démocratique et pour aller vers la réconciliation nationale.

A mon tour, je lance un appel aux élus ayant annoncé leur retrait des travaux de l’ANC, dont beaucoup sont des amis politiques et dont certains sont mes amis personnels : « Assumez votre responsabilité, vous en sortirez grandis, votre place est au sein de l’hémicycle, votre place est autour de la table de dialogue ».

Pour gérer la crise, Ettakatol, l’un des alliés d’Ennahdha, prône un gouvernement d’unité nationale, chargé d’améliorer la situation socio-économique du pays et d’activer la justice transitionnelle. Pour certains observateurs, cette initiative témoignant déjà de l’échec du gouvernement actuel, n’aura pour but que le maintien du pouvoir. Quelle est votre analyse ?

Notre position sur un gouvernement d’union nationale est constante et a été annoncée avant les élections et provient simplement de notre lecture critique de ce moment crucial pour l’avenir de la Tunisie. Nous avions déjà dit publiquement et explicitement, le 15 octobre 2011,89- que notre appel à un gouvernement d’intérêt national vient de la conviction que la voie de la bipolarisation est jonchée de dangers menaçant la sécurité et la stabilité. Notre participation à un gouvernement de coalition reste l’expression de cette même conviction et du sens des responsabilités qui caractérise Ettakatol et ses leaders. Notre appel aujourd’hui à un gouvernement d’union nationale reste parfaitement dans la continuité de cette même conviction, et nous espérons aujourd’hui que tous les responsables politiques s’y inscrivent. Participer à la gouvernance du pays en ces moments délicats n’est pas chose aisée, mais il est de l’obligation de tous de mettre l’intérêt national au-dessus d’un prétendu intérêt électoral partisan. Les Tunisiens, eux même responsables, donneront raison à tous ceux qui malgré leurs défaillances, ont accepté d’assumer leurs responsabilités.

Entre une Troïka au pouvoir qui s’attache à la légitimé et une opposition qui met en garde contre cette question, la Tunisie s’achemine vers une nouvelle crise de légitimité surtout avec le massacre de 8 soldats tunisiens dans une embuscade à Jbel Chammbi. Dans pareille situation, pensez-vous que le pire est à venir ?

Est-ce une crise de légitimité ou crise de confiance ? Je crois personnellement à une crise de confiance très sévère. Une crise de confiance entre les acteurs politiques qui s’accusent mutuellement de mauvaises intentions. Mais il y a aussi et surtout une crise de confiance de la part des citoyens qui s’impatientent et qui aimeraient que tout doute sur la fin de cette phase de transition soit levé et qui n’ont plus confiance dans toutes les dates et les plannings avancés et il est urgent de balayer, peut-être par une loi, tout doute à ce sujet. Une crise de confiance face à des images d’assassinats politiques et de massacres abjects de nos soldats valeureux où le doute s’installe sur la capacité qu’a la Tunisie d’affronter ces dangers, mais aussi sur la volonté politique du gouvernement et du principal parti au pouvoir d’affronter fermement ce fléau et de ne pas chercher des excuses aux ennemis de la Tunisie. L’affirmation unanime de cette volonté d’affronter tous ces risques est une obligation et une urgence.

Se cacher derrière la légitimité pour ne pas assumer ses responsabilités ou appeler à la fin d’une légitimité réelle de l’ANC pour se dédouaner de toute responsabilité, sont deux réponses en décalage absolu avec les exigences du moment. Que chacun veuille aujourd’hui manifester sa force en organisant des rassemblements publics avec une bataille surréaliste sur les chiffres est aussi une réponse inappropriée. Le moment requiert au contraire une maîtrise de soi et demande l’envoi au peuple tunisien d’un message de sérénité et de fermeté face à la menace réelle de terrorisme. Aujourd’hui plus que jamais, nous nous devons d’être solidaires avec nos forces de l’ordre et nos soldats pour ce combat que nous gagnerons très vite. Ils ont aujourd’hui beaucoup à faire pour sécuriser l’ensemble du territoire tunisien face à nos ennemis réels, et ce n’est pas en les occupant à sécuriser les diverses manifestations des uns et des autres que nous les aiderons à remporter rapidement la bataille.

D’après vous, la Tunisie se prépare-t-elle à faire face à un cycle terroriste ?

Le risque est réel, tous les indicateurs locaux, mais aussi dans la région le montrent. Mais la Tunisie a tous les moyens pour s’y attaquer, il faut de la fermeté, il faut une volonté politique affirmée, il faut un soutien sans faille au commandement de nos forces armées.

En tant président du conseil national d’Ettakatol, quel serait le meilleur scénario pour sortir de l’ornière ?

Comme on le dit souvent, notre seul destin est le dialogue pour finir la phase de transition. Ceci n’est pas un slogan, mais une conviction profonde. Finir au plus vite la phase en cours permettra à la Tunisie de rentrer rapidement dans une étape avec une plus grande stabilité politique. Cette stabilité sera synonyme de confiance où les entrepreneurs tant tunisiens qu’étrangers pourront investir dans l’économie tunisienne et où l’Etat devra œuvrer pour des réformes réelles de notre système fiscal, social et économique afin de favoriser la création d’emplois qualifiés pour nos jeunes diplômés. Que l’ensemble des acteurs politiques s’unissent aujourd’hui pour cette mission fondamentale. Que chacun mette du sien pour la réussite de cette phase. Aucun ne détient la vérité absolue, mais, ensemble, nous serons capables d’y arriver. Viendra rapidement le temps où nous pourrons être en compétition, chacun de nous avec son projet pour sa vision d’un avenir meilleur pour la Tunisie, et seul le peuple tunisien sera en capacité de choisir et de trancher entre les projets.

Donnons-nous aujourd’hui les moyens de cette ambition et seul un gouvernement d’union nationale pouvant rassurer tout le monde et se fixant pour priorité absolue la réussite des élections futures pourra être la réponse. La réussite des élections futures demandera un appui sans faille au travail de l’ISIE et une confiance dans la neutralité de l’administration, mais aussi dans la neutralité des lieux de culte. La révision d’un certain nombre de nominations en particulier dans les gouvernorats et les délégations s’impose. Une fermeté de la part du ministère des Affaires religieuses n’est pas une option, mais une réelle obligation. En parallèle, le climat sécuritaire doit être assaini, et ceci commence par une lutte sans faille contre la violence, contre toutes les milices de tout bord et demande à l’ensemble des politiques d’avoir un langage de raison tant sur les plateaux de télévision et de radio, au sein de l’hémicycle, mais aussi lors des réunions publiques.

Wiem Thebti

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