AccueilInterviewLes milliardaires tunisiens expatrient jusqu’à 45% de leur fortune

Les milliardaires tunisiens expatrient jusqu’à 45% de leur fortune

Face aux préoccupations croissantes que suscite le blanchiment d’argent, Salah Riahi, président de l’Association Transparency First, exige la mise en place de plusieurs actions. D’après lui, le minimum est d’activer les textes légaux en vigueur. Interview

Où en est la Tunisie en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux?

La Tunisie a promulgué la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent. Cette loi a été modifiée par la loi n° 2009-65 du 12 août 2009.

En application de cette loi, la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF) est instituée par l’article 78 de la loi du 10 décembre 2003 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent telle que modifiée et complétée par la loi n°2009-65 du 12 août 2009 (la loi), auprès de la Banque Centrale de Tunisie.

Y a-t-il des estimations claires en matière du blanchiment, du niveau atteint par la Tunisie dans ce sens? Les parties accusées ?

Au niveau local, il n’existe pas de publication de statistiques récentes relatives à cette question. Le rapport publié par la Commission Tunisienne des Analyses Financières est relatif à 2010, et je ne comprends pas l’utilité de cette publication.

Toutefois, les ressources étrangères nous indiquent qu’il ya une augmentation du nombre des dossiers ouverts. A titre d’exemple, dans la liste des pays qui transfèrent de l’argent sale vers la Belgique, la Tunisie se retrouve 5ème ! Au total, 23 dossiers de corruption politique ont été ouverts, en 2011, par la Cellule de Traitement des Informations Financières, CTIF, bien plus que les 9 ouverts en 2010, même si tous n’ont pas de lien avec les printemps arabes. la CTIF a débusqué plus de 23 millions d’euros d’argent douteux en 2011.

Dans son rapport annuel communiqué lundi 14 mai, le MROS, le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent en Suisse, qui traite les communications de soupçons de blanchiment d’argent, fait état d’une « hausse considérable » des communications de soupçons, soit +40% entre 2010 et 2011. En forte augmentation également, la somme des valeurs patrimoniales impliquées qui, avec un total de 3,3 milliards de francs suisses (2,75 milliards d’euros), dépasse le montant cumulé des deux années précédentes (2009-2010). Les pays concernés sont l’Egypte, la Tunisie, la Libye et la Syrie, et pour une plus faible part la Côte d’Ivoire.

Selon l’étude “Fortunes mondiales en 2012”, publiée, le 7 juin, par le très sérieux cabinet américain Boston Consulting Group, les Tunisiens riches sont en Afrique du Nord ceux qui expatrient le plus illégalement à l’étranger leur fortune. Dans ce classement des pays victimes de fuites des capitaux, les « milliardaires » tunisiens expatrient jusqu’à 45% de leur fortune devançant assez largement les Marocains fortunés (30% de leur fortune). Les transferts tunisiens illégaux s’exercent le plus souvent via des activités commerciales masquées (fausses factures fournisseurs, sociétés écrans à l’étranger…) ; complicité des familles à l’étranger (enfants étudiants à l’étranger…) ou tout simplement en ayant recours à la valise pleine de billets.

Que devrait faire la Tunisie pour y faire face ?

Plusieurs actions doivent être entreprises. Le minimum est d’activer les textes légaux en vigueur. La loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003 telle que modifiée par les textes subséquents, contient plusieurs dispositions. Toutefois, un environnement d’impunité règne depuis la révolution du 14/01/2011 qui incite même les auteurs de blanchiment d’argent à poursuivre leur activité sans craindre aucune répression. Par ailleurs, la technicité demandée pour contrôler le blanchiment d’argent n’est pas réellement disponible du fait des éléments suivants :

– La réglementation actuelle des associations ne permet pas un contrôle efficace de leur source de financement.

– la gouvernance bancaire actuelle ne favorise pas un niveau de transparence permettant de détecter ces opérations,

– L’absence d’un système d’information adéquat de la majorité des banques, ce qui ne permet pas de détecter les transactions soupçonnées

– L’absence de compétences adéquates dans la détection des transactions soupçonnées,

– Les mécanismes de contrôle effectif de ces transactions sont vidés de leur sens. Le système est conçu essentiellement pour lutter contre le terrorisme, le blanchiment d’argent est une question subsidiaire

– Le système actuel est basé sur des déclarations transmises à la Commission Tunisienne des Analyses Financières qui, après examen les transmets, à son tour, éventuellement au Procureur de la république. Le premier filtre est la banque elle-même qui peut s’abstenir de déclarer. Le deuxième filtre est la Commission Tunisienne des Analyses Financières et le troisième filtre est le procureur de la République. Le système est tellement compliqué que son application est difficile,

– Le cadre juridique actuel est insuffisant pour identifier, contrôler et traiter, dans des délais raisonnables, ce phénomène.

En tant que président de l’association Transparency First, ya t-il une stratégie adéquate pour lutter contre ce phénomène et assurer une transparence financière ?

Je pense qu’une telle stratégie n’a jamais existé. Les résultats sont là : Global Finance Integrity, avait estimé, en janvier dernier, la fuite illicite de capitaux tunisiens à 1, 16 milliard de dollars US par an sur la période 2000 – 2009. Des fonds illicites dus principalement à la corruption, les commissions occultes et autres activités criminelles malgré l’existence d’un arsenal compliqué d’une réglementation vidée de son efficacité.

Une refonte de l’ensemble des textes régissant cette question est nécessaire notamment la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003 précitée qui a donné lieu à toutes ces malversations par le régime de Ben Ali. Mais le travail ne se limite pas à la diffusion des textes. Le sociologue français, Michel Crozier a dit : « on ne change pas la société par décret », ce qui implique que la diffusion de la culture de transparence est le meilleur chemin pour lutte contre ce phénomène de blanchiment d’argent.

Wiem Thebti

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