Une sortie de crise pour l’économie tunisienne commande que le gouvernement s’engage toutes affaires cessantes à mettre en œuvre les réformes annoncées, et à procéder effectivement à l’application d’une stratégie nationale de sécurité alimentaire et énergétique. Une nécessité sur laquelle a fortement insisté l’universitaire et économiste Moez Labidi dans une interview à Africanmanager ar.
L’autre urgence qu’il a mise en exergue tient à l’accélération de la mise en œuvre du projet de transition énergétique à l’effet d’assurer l’indépendance nationale, sachant que la Tunisie vise à atteindre 35 % de la production d’électricité à partir des énergies renouvelables d’ici 2030 et à réduire de 30 % la demande d’énergie.
Il a déclaré que la question centrale et le sujet principal aujourd’hui en Tunisie tiennent à la sécurité alimentaire et énergétique, soulignant dans ce contexte que le taux élevé d’inflation est dû, en plus du financement monétaire du budget, à la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires lourdement affectés par l’enlisement de la guerre russo-ukrainienne.
« Les ressources financières de l’Etat sont limitées et l’économie est non résiliente, ce qui accentue l’incapacité du gouvernement à prendre les mesures indispensables pour réduire le taux d’inflation, qui a augmenté en juillet 2022 pour atteindre le niveau de 8,2%, après avoir été inférieur à 8,1% en juin, 7,8% en mai et 7,5% en avril », a-t-il noté.
Moez Labidi estime que la poursuite de taux d’inflation élevés constituerait une menace pour la paix et la stabilité sociale, étant donné que le fiscal space (espace budgétaire) est limité et ne permettra pas l’octroi de subventions et d’aides financières de la manière requise, et les dépenses élevées allouées pour soutenir la compensation, poussant le gouvernement à augmenter les prix des denrées alimentaires et des carburants subventionnés, contrairement aux économies résilientes qui ont réussi à faire face au problème de l’inflation aux moindres frais et sans gros accrocs, que ce soit en approuvant et en mettant en œuvre sans problème des réformes structurelles, ou en adoptant une politique de gel des prix et permettre aux familles qui en ont besoin de recevoir des transferts financiers…
Inflation et compensation
L’analyste économique a fait observer en le constatant mieux que d’autres que « la Tunisie connaît une crise d’inflation alors que le gouvernement évoque l’hypothèse d’une levée des subventions et d’un passage à l’adoption des prix réels, une question extrêmement difficile », a-t-il dit, s’attendant à ce que « l’État puisse aller de l’avant sans problème dans la politique d’ajustement des prix du carburant mais se heurtera à de nombreux écueils dès lors qu’il s’agira de réformer le système de compensation des produits alimentaires ».
Dans une circulaire relative à l’élaboration du projet de budget de l’État pour l’année 2023 adressée par la cheffe du gouvernement Najla Bouden aux ministres et aux gouverneurs, il est spécifié que le budget alloué à la compensation a enregistré une hausse sans précédent, qu’il s’agisse des carburants ou des produits de base , en particulier les céréales, sous l’effet des crises successives , de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine.
Elle a souligné l’impérieuse nécessite de lancer une stratégie de réforme du système de compensation et de l’orienter vers ses bénéficiaires à travers la mise en place d’une plateforme électronique pour lancer l’enregistrement de ceux qui souhaitent bénéficier des subventions.
Bouden a indiqué que cette réforme vise à fournir des crédits supplémentaires pouvant être orientés principalement vers l’investissement public en tant que moteur principal de la croissance économique et du développement, ainsi que vers des interventions à caractère social.
Le FMI« point de passage obligé » !
Moez Laabidi a expliqué que la Banque centrale de Tunisie est intervenue à plusieurs reprises et a relevé le taux directeur dans le but de contrôler autant que faire se peut l’inflation, estimant que les critiques adressées à la BCT étaient « superficielles et dénuées de sens », affirmant que si elle n’était pas intervenue, l’inflation aurait été à deux chiffres.
Il a appelé à la nécessité d’une cohérence entre la politique monétaire et la politique budgétaire pour limiter le creusement du déficit courant dont l’impact n’est pas négligeable sur l’inflation via ses effets sur le niveau des réserves en devises et le taux de change du dinar.
Il a souligné que, partout dans le monde, la décision des banques centrales d’augmenter le taux d’intérêt repose sur l’analyse de la balance des risques : le coût de la hausse des taux d’intérêt versus le coût de l’inaction (le maintien des taux aux mêmes niveaux)ne concerne pas uniquement les prêts à la consommation, et que la Banque centrale étudie la question sous plusieurs aspects.
La même source estime que le Fonds monétaire international est « une voie par laquelle la Tunisie doit passer », ajoutant que l’accord avec le FMI permettra au pays de sortir de crise de liquidité mais n’a pas vocation de réformer en profondeur une économie lourdement déformée.
« La mobilisation des fonds est importante mais non suffisante. L’urgence pour les autorités tunisiennes est de s’inscrire dans une dynamique de réformes sérieuses qui permettra d’améliorer la résilience de l’économie face aux chocs économiques (inflation, flambée des prix des matières premières et des produits alimentaires, hausse des taux d’intérêt sur les marchés internationaux,…) et extra-économiques (crise pandémique, changement climatique, …) » , a-t-il dit, soulignant que le secteur agricole est confronté au défi du changement climatique et du stress hydrique, et que le gouvernement est donc tenu de repenser ses priorités. « Tout projet de réforme qui ne priorise pas la sécurité énergétique et alimentaire finira par s’ébranler à cause de dérapages inflationnistes difficilement contrôlables ».