AccueilLa UNEPour que le mode de scrutin cesse d'être un casus belli !

Pour que le mode de scrutin cesse d’être un casus belli !

En octobre 2019, les résultats des élections législatives en Tunisie ont donné lieu à un parlement fragmenté composé de parlementaires représentant 30 listes électorales différentes. Cette législature éclatée a posé des difficultés tant pour la formation du gouvernement que pour la prise de décision efficace. Le parti Ennahdha a obtenu une pluralité de sièges, mais avec seulement 52 sur 217, il a eu du mal à former un gouvernement. Au lieu de cela, des alliances temporaires entre partis et blocs parlementaires ont été formées. L’inefficacité de la gouvernance et les luttes intestines constantes ont entraîné un déclin rapide de la popularité du Parlement, en tant qu’institution, et des parlementaires, en tant qu’individus. Les coalitions étaient diverses et n’avaient pas d’objectif commun. Les citoyens ont été frustrés et désillusionnés, ce qui a renforcé leur nostalgie de l’esprit de décision de l’ancien système autoritaire. Ce dédain généralisé pour l’Assemblée des représentants du peuple a contribué à préparer le terrain pour le coup du 25 juillet du président Kais Saied.

Bien que le comportement des électeurs le jour des élections puisse être attribué à une série de facteurs, la formule électorale, l’équation mathématique qui contrôle la façon dont les votes sont convertis en sièges dans la législature, est un facteur déterminant dans les résultats des élections. La formule HQLR (Hare Quota-Largest Remainders)  (Représentation  proportionnelle au plus fort reste)   a favorisé la recherche d’un consensus pendant le processus de rédaction  de la constitution  et au cours des premières années du nouveau régime démocratique, mais elle est progressivement devenue un obstacle à la consolidation démocratique, constate le think tank arabe Arab Reform Initiative (ARI).

La Tunisie doit entreprendre de nombreuses réformes pour consolider ses acquis démocratiques, comme la création d’une cour constitutionnelle et la mise en place de mécanismes de contrôle et de responsabilité plus stricts, mais la modification de la formule électorale serait un  » gain rapide  » très efficace et facile à mettre en œuvre, recommande-t-il.

Gagnants et perdants

Une élection démocratique doit permettre de distinguer clairement les gagnants des perdants. Si le parti qui « gagne » l’élection peut former une coalition cohérente ou gouverner seul, il est donc responsable de ses succès ou de ses échecs. En revanche, les perdants des élections deviennent généralement des partenaires mineurs dans la coalition au pouvoir ou fournissent une responsabilité horizontale en formant l’opposition parlementaire. La fragmentation encouragée par le mode électoral  HQLR brouille la démarcation  entre les gagnants et les perdants électoraux, permettant aux partis qui forment les coalitions au pouvoir d’éviter toute responsabilité. Bien que le mouvement ‘Ennahdha ait obtenu la majorité aux élections de 2011 et de 2019, et qu’il ait fait partie de coalitions d’unité de 2014 à 2019, la fragmentation persistante du parlement a encouragé le parti à se décharger de la responsabilité du  rendement du   gouvernement, en se présentant comme un parti d’opposition aux gouvernements auxquels il a participé.

En outre, la gouvernance fondée sur le consensus étouffe le dialogue. La période 2014-2019 a prouvé comment les partis de l’unité gouvernementale ont préféré maintenir la stabilité et éviter les débats difficiles et polarisants plutôt que de s’engager dans une discussion rigoureuse concernant les questions nécessaires et difficiles auxquelles la Tunisie post-révolution est confrontée.

La représentation  proportionnelle  au plus fort reste  HQLR était idéale en 2011 lorsque le défi initial de la démocratie tunisienne était de s’assurer que le processus d’élaboration  de la constitution était hautement inclusif. En atténuant les primes de sièges des grands partis, la formule HQLR a contribué à un accord de partage du pouvoir qui a soutenu les premières phases d’une transition vers la démocratie et a assuré le pluralisme au moment de la constitution du pays. Cependant, les accords de gouvernement d’unité nationale entre des partis d’idéologies politiques différentes après 2014 se sont avérés être des obstacles à la poursuite de la consolidation démocratique.

L’impératif de changer le mode électoral

Et le think tank ARI de s’interroger : « Si la représentation proportionnelle au plus fort reste  est essentielle lorsque la survie d’une nouvelle démocratie dépend de l’adhésion du plus grand nombre possible d’acteurs politiques, mais qu’elle est nuisible à la gouvernance à long terme, alors comment identifier le moment où l’atout devient un handicap et où les dirigeants politiques doivent remplacer la HQLR ? ».  L’incertitude accrue des transitions démocratiques, associée à l’excès de confiance dont sont souvent dotés les politiciens, permet d’imaginer que les chefs de parti s’engagent au préalable dans une telle séquence.

La Tunisie, cependant, a dépassé ce moment d’incertitude et d’optimisme. Les forces relatives, et les limites, des principaux acteurs politiques du pays sont maintenant connues et l’abri que la représentation proportionnelle au plus fort reste offre aux faibles électoralement attire sans aucun doute de nombreux acteurs politiques actuels. Mais l’expérience récente souligne également la précarité du système actuel. La démocratie tunisienne est menacée par des élections qui produisent des coalitions inutiles. Le pays n’a pas besoin d’abandonner la démocratie parlementaire au niveau national ou la représentation proportionnelle. Il devrait cependant changer la formule électorale pour adopter  une formule qui empêcherait la fragmentation parlementaire, encouragerait le développement d’un paysage cohérent de partis politiques et rendrait les vainqueurs des élections responsables de leur mandat/pouvoir.

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