La Tunisie a eu très souvent maille à partir avec l’énergie sous ses multiples défis, dont le plus funeste est sans conteste le recul irréversible de la production avec comme corollaire le financement de la subvention des hydrocarbures dont une large part est importée. Et ceci représente un faix de plus en plus pesant pour le budget de l’Etat dont les estimations et les prévisions sont établies à l’aune des cours mondiaux du baril. Des dépenses qui sont budgétisées au détriment des financements plus utilement destinés au développement, à la création de projets, et partant d’emplois, dans un pays où le chômage a tous les attributs d’un fléau national.
S’est posée alors et se pose encore la question d’atténuation de ce fardeau d’autant moins supportable pour la communauté nationale qu’il ne semble pas devoir s’acheminer vers une issue, obligatoirement, concertée. Une des options envisagée à cet effet est de déconstruire le monopole exercé sur le secteur énergétique par la société nationale d’électricité et de gaz, la STEG, qui contrôle 91,7 pour cent de la capacité de production d’électricité installée et produit environ 84 pour cent de l’électricité du pays. Et pour dire de manière euphémique, vouer le secteur à la privatisation, y compris la STEG, créée en 1962 pour harmoniser les secteurs de l’électricité et du gaz dans le pays.
Cependant, et à rebours de ce qui se fait dans le monde, et dans des pays analogues à la Tunisie, son secteur énergétique dépend largement du gaz naturel et d’autres combustibles fossiles pour la production d’électricité. En 2021, 97 pour cent de l’énergie du pays était produite à partir de combustibles fossiles et seulement 3 pour cent à partir de sources renouvelables telles que le solaire, l’éolien et l’hydroélectricité. La Tunisie est très dépendante des autres pays et de leurs ressources naturelles. En 2021, elle a importé d’Algérie 45 % du gaz naturel utilisé pour la production d’énergie.
Afin de progresser vers les énergies renouvelables, le « Plan solaire » du gouvernement de 2015 s’est engagé à augmenter la part des sources d’énergie renouvelables à 30 pour cent d’ici 2030 – un objectif porté à 35 pour cent en juin 2022. Le gouvernement espère réduire son déficit énergétique en , depuis 2010, la consommation d’énergie a augmenté de 1,4 pour cent par an plus vite que la capacité énergétique. Mais au lieu de faire une transition vers les énergies renouvelables, la Tunisie a connu une expansion de la demande énergétique sans objectifs sociaux et environnementaux solides, observe le Tansnational Institute (TNI).
Privatisation rampante !
Pour amorcer une transition vers les énergies renouvelables, le gouvernement tunisien a commencé à se tourner vers le secteur privé dès 2013. La STEG exploite depuis 2000 deux centrales photovoltaïques et éoliennes, aux côtés de centrales hydroélectriques héritées de la période coloniale française et (d’autres) installées par l’État. L’État tunisien après l’indépendance. Cependant, le gouvernement a fait valoir que l’entreprise publique ne disposait pas de moyens financiers suffisants pour promouvoir la transition, positionnant l’implication du secteur privé comme une conséquence logique.
Seulement, les projets du gouvernement de 2013 visant à favoriser le développement des énergies renouvelables par la privatisation se sont heurtés à une forte opposition de la part de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
En 2015, cependant, deux nouveaux textes législatifs (le Plan solaire de 2015 et la Loi 12-2015) ont été introduits pour promouvoir la participation du secteur privé dans le secteur de l’énergie. Cette fois, ces lois ont abouti, rappelle le TNI. Le Plan solaire vise à mobiliser environ 8 milliards d’euros d’investissements entre 2015 et 2030, dont les deux tiers espèrent provenir de sources privées, principalement des investissements étrangers. Tout en promouvant une structure de propriété néolibérale, antidémocratique et privée pour les énergies renouvelables, ce plan renforce et recrée les dépendances à l’égard des investissements et de la technologie étrangers, diminuant le rôle de la société civile tunisienne et des entreprises locales dans la transition énergétique du pays. Cette stratégie basée sur les importations repose sur l’acquisition de connaissances sous forme de technologies, d’équipements et de brevets en provenance des pays du Nord pour faciliter la transition vers les énergies renouvelables. Cela accentue la dépendance du pays en augmentant la dette extérieure et en renforçant la dynamique de puissance extractive Nord-Sud. Ainsi, le plan facilite un modèle économique axé sur les investissements étrangers, ce qui entraîne des coûts plus élevés dans la mesure où les prêts, les frais d’intérêt et les bénéfices privés sont finalement financés par l’argent public et la population tunisienne, souligne TNI.
Il n’en demeure pas moins que total, 29 projets solaires (24 projets solaires de 10 MW, deux projets solaires de 50 MW, deux projets solaires de 100 MW et un projet de 200 MW) et quatre projets éoliens (30 MW) ont été attribués à des entreprises privées. Parmi ceux s lancés entre 2017 et 2019, la moitié comporte des joint-ventures avec des entreprises étrangères et tunisiennes, tandis que quatre seulement sont exclusivement portés par des entreprises tunisiennes. Cinq projets appartiennent à des entreprises françaises et trois à des entreprises allemandes, renforçant les structures étrangères et excluant les entreprises et l’expertise locales.
Fin du modèle extractif !
En décembre 2022, le Groupe de travail pour la démocratie énergétique a publié un rapport analysant la trajectoire énergétique actuelle de la Tunisie et présentant un modèle public et démocratique alternatif pour une transition juste. Le rapport met en évidence plusieurs changements nécessaires pour rompre avec le modèle énergétique extractif de la Tunisie et passer à un nouveau modèle basé sur la coopération et l’énergie en tant que bien public partagé plutôt qu’en tant que produit privatisé.
Les principales caractéristiques de ce nouveau modèle énergétique proposé sont : la politisation de l’accès à l’énergie, le rétablissement des systèmes collectifs de production d’énergie, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et l’accent mis sur les entreprises tunisiennes pour réduire les importations et les dépendances étrangères. Le modèle défini par le groupe de travail repose sur la participation des citoyens, des syndicats et des travailleurs, ainsi que sur l’inclusion des groupes locaux et des coopératives dans la production d’énergie. L’objectif est de créer une alternative au paradigme actuel, qui oppose le secteur privé à l’État. Enfin, pour parvenir à une transition énergétique juste, le rapport souligne l’importance de nouer des alliances au sein de la société civile et des partenariats public-public qui renforcent la souveraineté énergétique et réduisent l’influence étrangère – le tout pour parvenir à une transition qui profite au peuple tunisien, indique NTI.