Installé au 17ème étage de «la Tour de la Nation», par la grande baie vitrée du somptueux ancien bureau de Zine El Abidine Ben Ali dans l’ancien siège du tout puissant RCD, Mabrouk Korchid a le tout Tunis à ses pieds. N’est-il pas le gardien de tout l’immobilier de l’Etat ?
L’image se veut le symbole fort d’une révolution qui aurait ainsi repris la Tunisie d’entre les mains de l’ancien Etat. Tour de la Nation, l’ancien siège de l’ancien RCD, le deviendra véritablement en mars 2018, lorsqu’il accueillera l’espace culturel et touristique avec une exposition permanente, touristique et culturelle, faisant ainsi le lien entre ministère du Tourisme et maison de la culture, à quelques encablures les uns des autres.
- Korchid, ministre, homme de médias, propriétaire foncier et homme d’affaires à la fois
Renvoyé du lycée secondaire de Médenine, il termine ses études à Kébili où il réussira en bac science. Il choisira pourtant de faire la faculté de droit, avec un œil sur l’Institut de presse où il voulait aussi faire journalisme. Avocat et «l’un des deux meilleurs pénalistes du pays» comme il se plaît à dire de lui-même, il réalisera bien plus tard son rêve, en montant après la révolution avec quelques autres avocats dont il refuse de citer les noms, une société de presse. Ministre, «sur proposition du Palais» tient-il à préciser, il quittera la direction du journal «Al Hassad», mais sans y vendre encore ses parts, comme il le précise lui-même. Homme de Droit, il doit savoir ce qu’il fait !
Loin de vivre aux crochets du gouvernement, Mabrouk Korchid dispose de deux bureaux d’avocat, à Tunis et Médenine, mais est aussi un homme d’affaires. Il est propriétaire foncier dans les oliveraies, possède une importante huilerie au bled, depuis 2000, qui produit 75 tonnes d’huile par jour. il est promoteur immobilier et sa femme gère sa propre agence de voyage depuis 2008. «J’ai intégré le gouvernement, financièrement bien couvert et cela me permet de faire mon travail de ministre d’une façon sereine», se plaît-il à dire, comme pour se distinguer du reste des membres du gouvernement. Coïncidence, cet étalage de sa situation financière que le secrétaire d’Etat fait sans trop de pression de notre part, intervenait le jour même de l’entrée en application de la loi sur la déclaration du patrimoine de tous les responsables tunisiens dans plus d’un secteur.
- Un Nationaliste arabe, réconcilié avec BCE, et qui endosse certains dossiers
Politiquement, Mabrouk Korchid se définit comme «Nationaliste arabe» et certains de ses frères d’armes sont ses partenaires en affaires. Son entrée dans le gouvernement est intervenue après la position prise lors de la visite de BCE à Djerba en 2011, où il s’était rangé contre ceux qui lui en voulaient sur la question de Salah Ben Youssef le Nationaliste. Korchid dit avoir accepté le poste, «car c’est un ministère que je pouvais comprendre facilement, son travail étant en grande partie de nature juridique, et y faire des réformes qui me tenaient à cœur. Et d’ailleurs, si c’était un autre poste, j’y aurais réfléchi à deux fois».
Sans le vouloir, Mabrouk Korchid est en train d’endosser un dossier dont, ni la genèse, ni les dernières péripéties, n’ont été de son fait. Il s’agit essentiellement du dossier de la BFT et du litige qui est en cours avec la Cour d’arbitrage international du Cirdi. Il nous annonce, à ce propos, que «je suis en train de faire une action de conciliation entre les deux parties au conflit, à propos des dommages-intérêts décidés en jugement par le Cirdi». Corollaire de cet épineux dossier, son conflit avec l’ancien ministre CPRiste des Domaines de l’Etat Salim ben Hamidane qui fait l’objet de poursuites judiciaires, sans être arrêté.
- Le ministre qui a fait plus de 60 % de ses réformes
Et des réformes, qu’il dit «nécessaires pour le développement économique et pour régulariser des situations sociales bloquées depuis des dizaines d’années ». Ces réformes, il estime en avoir fait, à hauteur de plus de 60 % de ses attentes et programmes, même s’il reste d’autres comme les Habous qui représentent 90.000 hectares, dont les terres «Sialine» et «Ghayadha» au Nord de Sfax ou le village de Souassi, ou encore le Habous Aziza Othmana qui engloberait presque le tout Mahdia. Korchid dit avoir présenté le projet d’un décret qui n’est pas passé, pour cause de discussions avec le ministère des Finances sur le prix de cession de ces terres aux personnes qui y habitent depuis des dizaines d’années.
Ses réalisations, ce sont surtout les 30.000 hectares de terres domaniales qu’il a pu récupérer d’entre les mains de privés. Et cela ne s’arrête pas. Il ne se passe rarement un jour sans que la rédaction ne reçoive un communiqué de presse faisant état d’un nouveau lot de terrain récupéré par les services de son ministère.
C’est aussi lui, et il en parle avec beaucoup de fierté pour l’Administration, qui a engagé la numérisation de l’immobilier de l’Etat et en a déjà fait la cartographie numérique accessible à partir du site du ministère. C’est aussi lui qui a édité la revue des domaines de l’Etat. Il est tout aussi fier, au nom du gouvernement, d’être celui qui a restitué le plus de terres à leurs propriétaires, titres de propriété en main.
Et lorsqu’on lui fait remarquer qu’en deux années d’exercice, son image est celle d’un recouvreur des domaines e l’Etat plus que celle d’un ministre qui devrait se concentrer sur les procès de l’Etat et les gagner, il insiste que «c’est un signal fort, en ces temps de faiblesse de l’Etat, qui maîtrise les détails». Pour les procès «ils sont en cours normalement, entre les bonnes mains d’une administration dédiée et on les gagne». Il évoque aussi la rapidité de production de documents. «On produisait 50 contrats par an. On en est désormais à 150 contrats de propriété délivrés en l’espace de 4 jours seulement en moyenne nationale et 10 jours pour Tunis, contre 3 mois de délais auparavant. Cela veut dire que l’administration du ministère a changé et carbure désormais à plein régime».