Les participants à la TICAD 8 ont conclu ce dimanche à Tunis un symposium de deux jours, soulignant leur engagement à mieux faire face à la crise alimentaire provoquée par la guerre de la Russie en Ukraine.
Ils ont affirmé l’importance d’un financement équitable et transparent pour stimuler la croissance en Afrique, où la Chine accroît son influence par le biais d’investissements et d’aide au développement.
La réunion, la huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, intervient dans un contexte de préoccupations croissantes concernant la stabilité de l’approvisionnement alimentaire et la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie à la suite de la guerre russo-ukrainienne.
La crise alimentaire est ressentie de manière aiguë dans certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient qui sont fortement dépendante des céréales provenant d’Ukraine, un important producteur. Outre la guerre en Ukraine, l’économie africaine est toujours frappée par la pandémie de coronavirus.
Samedi, le Premier ministre Fumio Kishida a déclaré que le Japon injectera 30 milliards de dollars au cours des trois prochaines années pour le développement de l’Afrique, dont 300 millions de dollars de cofinancement avec la Banque africaine de développement pour stimuler la production alimentaire.
Le Japon et l’Afrique sont des « partenaires qui grandissent ensemble » et qui travaillent également ensemble pour relever les différents défis sociaux auxquels l’Afrique est confrontée », a déclaré Kishida à propos du programme d’investissement qui sera financé par le gouvernement japonais et le secteur privé.
L’accent mis par le Japon sur le développement des ressources humaines, plutôt que sur la somme des investissements, reflète son objectif de maintenir une distance par rapport aux initiatives prises par la Chine en Afrique, dont le profil sur le continent africain s’est considérablement accru ces dernières années en raison d’une série de projets d’infrastructure à grande échelle, tels que la construction d’aéroports et de routes, basés sur des prêts de la Chine. En conséquence, de nombreux pays ayant bénéficié de l’aide chinoise sont aujourd’hui criblés de dettes massives qui les obligent à danser au rythme de la Chine.
La présence du Japon en Afrique s’atténue, car ses investissements sur le continent n’ont pas rebondi ces dernières années, malgré une croissance saine, en partie à cause de la pandémie mondiale du nouveau coronavirus. Les investissements directs du Japon en Afrique se sont élevés à 5,7 milliards de dollars en 2021, soit moins de la moitié du chiffre record de 2013.
Sous ce rapport, le Japon est souvent éclipsé par son grand voisin, la Chine, dans son engagement africain. Mais les Africains ont tendance à oublier que l’association du Japon avec l’Afrique collective remonte à 1993, soit sept ans avant que la Chine ou l’Union européenne (UE) ne lancent leurs forums.
La Chine devance peut-être le Japon en raison des importantes enveloppes financières de 60 milliards de dollars qu’elle aime annoncer à chaque Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC). Le forum du Japon, la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), est moins ostentatoire mais reste précieux, notamment parce qu’il met l’accent sur l’aide au développement durable.
Tokyo embarrassé par le choix de Tunis !
Le lieu de la huitième réunion de la TICAD8 a été choisi il y a longtemps mais il est devenu une sorte d’embarras pour le Japon. La TICAD met fortement l’accent sur la démocratie, mais le président tunisien Kais Saied n’a cessé d’entraîner le pays vers l’autoritarisme, estime l’ISS (Institute for Security Studies), citant un fonctionnaire japonais qui lui a déclaré que « le Japon observe avec un vif intérêt la série de réformes que la Tunisie entreprend et attend d’elle qu’elle aborde les questions les plus urgentes d’une manière qui garantisse la transparence et un large soutien public ».
Le Japon avait précisé avant la TICADE 8 que le rendez-vous de Tunis « discutera de la manière de créer ensemble un monde durable ». Il viserait à accélérer les investissements japonais en Afrique, notamment en soutenant les start-ups et les entreprises vertes et à renforcer les soins de santé universels et les mesures de lutte contre le COVID-19. Enfin, le forum soutiendra les efforts déployés par l’Afrique pour parvenir à une paix et une stabilité durables, notamment en renforçant les Nations unies par le biais de la réforme du Conseil de sécurité, entre autres choses.
Étant donné que le Japon a placé le sommet dans le contexte de la situation mondiale et de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, il a fait référence à la Chine lorsqu’il a exprimé sa détermination à coopérer avec elle dans le cadre de la vision d’un Indopacifique libre et ouvert (FOIP). Il s’agit d’une réponse directe à l’affirmation croissante de la Chine en mer de Chine méridionale, y compris les revendications sur des îles contestées qu’elle utilise pour contrôler les passages maritimes. La Chine se trouve ainsi confrontée de plus en plus directement aux puissances occidentales et au Japon.
Ce dernier a eu tendance à s’en tenir à son ancienne posture de non-alignement datant de la guerre froide dans le contexte des tensions croissantes entre l’Occident d’une part et la Russie et la Chine d’autre part. Il est donc difficile de savoir jusqu’où le Japon ira dans sa quête de soutien africain pour ses positions russes ou chinoises.
Une rivalité vouée à s’exacerber
L’approche générale du Japon vis-à-vis de la TICAD diffère également de celle de la Chine vis-à-vis du FOCAC. La Chine a financé et construit de nombreux projets d’infrastructure, notamment des chemins de fer, des autoroutes et des bâtiments gouvernementaux. Bien que le Japon ait déjà financé quelques grands projets d’infrastructure dans des pays comme le Ghana, la TICAD – un peu comme l’UE – met l’accent sur l’amélioration des déterminants sous-jacents du développement et de la prospérité. Il s’agit notamment de la consolidation de la paix, du développement constitutionnel, de la réforme de la justice et de la démocratie. Le Japon y voit un modèle plus durable.
L’éducation et la formation figurent en bonne place dans l’engagement de la TICAD. Au cours de ses 29 années d’existence, le forum a formé des milliers d’ingénieurs, d’entrepreneurs et d’éducateurs africains. Il soutient également les efforts de maintien de la paix de l’Afrique par une assistance financière, technique et de formation. La nouvelle approche de la TICAD en matière de paix et de sécurité en Afrique est axée sur le soutien aux réformes institutionnelles et politiques, y compris la promotion des élections.
Une autre différence importante entre les approches japonaise et chinoise est apparue lors de cette réunion ministérielle de la TICAD. Le Japon a « réaffirmé la nécessité de réformer le Conseil de sécurité des Nations unies et son soutien clair à la position africaine commune ». Le Japon, qui cherche à obtenir un siège permanent au sein d’un conseil réformé, a donc réaffirmé son soutien à la candidature de l’Afrique à ce même poste. La Chine soutient vaguement le fait que l’Afrique ait une voix plus importante au sein des Nations unies, mais n’a jamais soutenu explicitement l’obtention d’un siège permanent pour d’autres pays.
Il est difficile de savoir jusqu’où le Japon ira pour obtenir le soutien de l’Afrique à ses positions russes ou chinoises.
Parmi les autres différences, citons le caractère plus inclusif de la TICAD, qui implique les institutions multilatérales et la société civile, alors que la Chine garde tout au sein du gouvernement. Le Japon met également l’accent sur le secteur privé en tant que moteur de la croissance et insiste sur le rôle de l’Afrique dans le partenariat, visant un financement des projets à parts égales.