L’annonce de la composition du Gouvernement Mahdi Jomâa, a été reçue par une euphorie parmi les élites et les différentes couches sociales. L’euphorie n’était pas liée exclusivement à cette annonce, mais à l’évolution positive d’une situation politique générale dont le nouveau Gouvernement était un des éléments. On a en effet été témoin, en quelques jours et après un blocage qui a duré des mois, de l’élection du directoire de l’ISIE, de la formation du Gouvernement Jomâa et du parachèvement des travaux de la Constitution. Des évènements, qui ont consacré le succès du Dialogue National. De larges franges de l’opinion publique, sont ainsi désormais convaincues que ces derniers développements nous ont enfin amenés à la phase finale de la période transitoire.
Le nouveau Gouvernement, va certes profiter de ce climat positif qui est de nature à favoriser une large adhésion au programme qui sera annoncé. Mais les tractations qui ont précédé sa formation, auront laissé un goût amer chez beaucoup de Tunisiens. Ils sont restés accrochés à la télévision, tard dans la nuit de samedi à dimanche, dans l’espoir de voir les consultations aboutir. Mais ils se sont vite aperçus que les tiraillements ont empêché l’accord qui était à portée de la main. L’obstacle à cet accord ne résidait pas dans le schéma classique de la bipolarisation entre religieux et séculiers, ni même entre Troïka et opposition, mais dans un éclatement, presque général, du paysage politique et ont vu des fissures, même dans les rangs d’Ennahdha généralement bien cimentés. De plus, le remède trouvé n’avait rien à voir avec une prise de conscience subite de la part des partenaires politiques des risques courus par le pays.
Le remède a par contre été trouvé dans le lien qui a été établi, artificiellement lors de la plénière de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC ) dimanche dernier, entre le deuxième amendement en 24 heures de l’article 19 de la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, et la reconnaissance de l’indépendance administrative et financière de l’ANC. Un amendement aux implications matérielles évidentes. Ce lien, était en fait révélateur de la complexité de la donne politique. Ces attitudes, critiquables, ont été presqu’instantanément gommées de la mémoire des Tunisiens par l’adoption, dans la liesse quelques instants plus tard, de la Constitution. Elles n’en resteront pas moins gravées à jamais dans la conscience collective.
Ce sont là des éléments qui ne rassurent pas, et qui relativisent l’euphorie vécue actuellement par nos élites et notre opinion publique. Mais les Tunisiens n’en sont pas à leur première euphorie qui sera vite dissipée.
La première était celle du 14 janvier 2011 et des jours suivants, où on était sur le point de croire à la naissance d’un homme nouveau en Tunisie. Celui du respect, d’autrui et de la loi et du respect des biens communs et publics. Mais la situation a vite changé pour donner lieu à des comportements, loin du civisme escompté.
La deuxième euphorie, on l’a vécue le jour des élections du 23 octobre 2011 et les semaines qui ont suivi. Mais les espoirs nourris lors de cette échéance, se sont vite évanouis et on est entré dans une phase de tensions et de guerres idéologiques. Evidemment le tableau n’est pas tout en noir. Mais le paroxysme, illustré par les assassinats et l’apostasie, a été atteint en cette période haute en couleurs.
La troisième euphorie, on est en train de la vivre depuis dimanche dernier et le sentiment est qu’on doit cette fois-ci faire de manière à ce qu’elle ne débouche pas sur une nouvelle déception. La première responsabilité, pour nous faire éviter le cauchemar tant redouté, incombe au nouveau Chef de Gouvernement et à son équipe.
Il leur faut d’abord, pour ce faire, bannir la duplicité et le double langage. On sait déjà qu’il y a dans l’équipe gouvernementale de Mahdi Jomâa, des ministres qui appartiennent aux partis de la Troïka ou en sont très proches. Politiquement et déontologiquement, personne ne peut reprocher à quiconque son appartenance politique, même s’il l’a savamment cachée pour passer pour un indépendant. Mais ce qui leur est demandé, est tout simplement de se comporter et d’agir en responsables, neutres et justes.
Ils doivent ensuite, savoir valoriser leurs compétences en accordant leurs riches expériences avec les réalités du pays. Ils ne doivent pas oublier que presque toutes les équipes ministérielles depuis la Révolution, étaient dotées de compétences de grande valeur. Ces compétences étaient motivées et tenaient à changer le visage du pays. Mais les dures réalités ont fini par avoir raison de leur volonté, en neutralisant leur apport. La réussite, n’est donc pas en corrélation directe avec le degré de compétences mises en œuvre, mais en fonction d’interférences beaucoup plus complexes qui risquent de devenir insaisissables pour l’entendement humain ordinaire, ou pour les acteurs qui n’y sont pas habitués.
Le Gouvernement Jomâa semble avoir plusieurs atouts. L’essentiel n’est cependant pas de les accumuler, mais de trouver la combinaison permettant de les harmoniser pour que la résultante de leur interaction produise le déclic tant attendu, et aille dans le sens des attentes du peuple.
Aboussaoud Hmidi