La symbolique de la commémoration du 40ème jour de la mort de Chokri Belaid, comme celle de ses funérailles, confirme que le débat sur la violence est à l’ordre du jour dans le pays .Les deux évènements ont consacré l’émergence d’un large et profond courant social qui s’oppose à ce phénomène.
On est en train d’assister à un nouveau cheminement dans la société qui illustre la volonté du tunisien de vivre en paix, et de travailler dans un climat de stabilité et de sérénité.
Cette tendance trouve son origine dans l’idée de feu Chokri Belaid , de réunir un congrès national contre la violence , avec la participation de toutes le parties politiques ,et leur engagement à bannir ce fléau de la vie publique tunisienne . Un premier congrès régional s’est tenu, il y a quelques jours à Siliana , et il sera suivi par d’autres, en préparation du congrès national .
La violence en Tunisie postrévolutionnaire a revêtu un caractère double : une violence revendicative, spontanée, qui est l’œuvre de petites gens, d’une jeunesse marginalisée, habitée par un sentiment de mal-être, en quête d’espoir, de dignité et de vivre mieux. Cette violence a accompagné les premiers pas de la révolution, et a imprégné son évolution d’un radicalisme, compréhensible malgré, parfois, son caractère excessif. Mais, avec le temps, une autre forme de violence s’est installée dans la vie publique. Celle-là a pris un caractère institutionnel, échappant néanmoins à tout cadre étatique. Au début de la révolution , elle existait , et est illustrée par la forte présence salafiste et par des milices prêtes à agir ,ça et là ,pour « dégager » tel responsable , tel patron ou tel investisseur ,dans telle ou telle zone industrielle ,et surtout en milieu rural .Mais, à partir du 25 mars 2012 , on a assisté à l’irruption du phénomène de la violence institutionnalisée en pleine Avenue Habib Bourguiba : les salafistes qui font une démonstration de force (ghazoua de l’horloge ) , Habib Boussarsar qui profère des menaces de mort contre Beji Caïd Essebsi , et les Recoba ,Imed Dghij et Mohamed Maalej qui roulent des mécaniques tout le long du boulevard.
C’était une réplique orchestrée par Ennahdha , au meeting organisé, la veille , à Monastir, par Nidaa Tounès , en présence des forces politiques centristes .
Le message émis par le parti islamiste, le 9 Avril 2012, à l’adresse de l’opposition et des démocrates du pays, se résumait comme suit : voici ce qui pourrait vous arriver si vous voulez agir à votre guise, sans l’accord préalable de l’establishment nahdhaoui .
Quelques semaines plus tard, plus précisément, la veille de l’annonce officielle de la formation de Nidaa Tounès , prévue le 15 Juin 2012 , on montera de toutes pièces le « drame d’Elebdellia » (le 12 Juin ) et on donnera, le 14 Juin 2012 , l’autorisation aux ligues de la protection de la révolution (LPR). Et ainsi, on verra la violence institutionnalisée, avec pour objectif d’empêcher l’émergence des forces centristes, qui pourraient porter l’espoir de l’alternance : les meetings sont sabotés, les militants des partis centristes malmenés ,et Lotfi Naggadh trouvait sa fin tragique au milieu des siens, sans qu’on ait pu lui porter secours . Le nouvel ordre politique s’installe en Tunisie .
Tous ces agissements et manœuvres ont eu lieu au moment où le gouvernement Hamadi Jebali bat de l’aile, et son exercice se solde par un fiasco total.
Ces deux sortes de violence, trouvaient, en fait, leur racine dans la Tunisie des années 1990 -2000. La violence radicale, qui ponctuait les revendications et était portée par la contestation populaire, celle de la jeunesse s’exprimant, pour sa part, depuis deux décennies, dans les quartiers populaires, les stades, et autres lieux publics. Des affrontements opposaient les populations révoltées aux forces de l’ordre. Les évènements du Bassin minier en 2008, de Ben Guerdène, en 2010, préfiguraient le scénario vécu pendant la révolution du 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011. L’autre forme de violence, on l’a vécue à ciel ouvert, en 1990/1991, lorsque Ben Ali a mis au pas l’islamisme politique, et ensuite, lorsque le même Ben Ali a cadenassé toutes les ouvertures de la vie publique et a commencé à tirer sur tout ce qui bouge, verrouillant ainsi la vie publique et brimant toute forme d’opposition qui pourrait conduire à l’alternance.
Les jeunes et les démunis qui exprimaient leurs revendications et leur ras-le-bol avec violence pour faire entendre leur voix , défiant répression , insouciance , marginalisation et « hogra » , s’engageaient ,implicitement à cesser cette violence le jour où ils seraient « compris » . Si vous revenez, nous reviendrons, disaient-t-ils, lors des Kasbah 1 et 2 .
A l’opposé, la violence dont il était fait usage pour museler les autres formes d’expression , verrouiller la vie publique , empêcher l’émergence de forces politiques , et barrer la route à toute alternance est une violence institutionnalisée , qui , de par ses objectifs inavoués, ne peut jamais prendre fin , tant que la société tient à s’exprimer , et à voir sa richesse intellectuelle incarnée dans sa superstructure politique .
Ennahdha reprend à l’identique ce que faisait Ben Ali , pour « faire aboutir » son projet d’hégémonie et de verrouillage politique , tandis que les forces vives reprennent , elles, le combat entamé, depuis des décennies, pour faire aboutir leur projet démocratique , le modèle de développement qu’ils veulent efficient et généreux , le projet de société que les Tunisiens ont choisi depuis deux siècles .
Aboussaoud Hmidi