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Tunisie : Les apprentis sorciers.

Il y a quelques mois, dans l’une de ses toutes premières interviews télévisées, le chef d’un Gouvernement tunisien qui dénonçait «l’amateurisme» des médias, annonçait publiquement et avec le sourire, que son gouvernement apprenait encore à gouverner. Quelques temps auparavant, le chef de son propre parti justifiait que «on est en première année démocratie». Cela avait été, en son temps, dénoncé par quelques médias comme étant semblable au comportement d’un novice qui essayait d’apprendre le métier de coiffeur, mais sur les têtes des orphelins (traduisez, يتعلم الحجامه في روس اليتامى), car ils n’avaient personne pour les défendre. Le bilan économique de ce gouvernement n’a pas besoin de plus que ce qui en a été dit. Reste le bilan politique, et il n’en appelle pas moins force remarques.

– Une démocratie, en flagrant délit de déni.

Une année après la prise du pouvoir par la troïka à dominance nahdhaouie, alors que le gouvernement de Hammadi Jbali présentait son propre bilan, force est de constater que l’actuel gouvernement tunisien n’a pas toujours appris à gouverner un pays de presque 11 millions d’habitants.

Brusquement ouvert à la démocratie, le pays n’en connait pas encore les limites. Des limites qui existent pourtant dans des lois, mais que les gouvernants n’arrivent toujours pas à assimiler, loin des haines et des souvenirs personnels et à appliquer. Le cas le plus flagrant est celui d’Ennahdha qui refuse de dialoguer avec un autre, tout aussi légalement constitué que lui ou d’un politicien comme Mohamed Abbou qui oppose allègrement la logique révolutionnaire à la logique démocratique lorsqu’on lui parle des droits des confisquées ou ceux des Destouriens et oppose la logique de la démocratie à l’opposition lorsqu’elle lui parle de prise complète des pouvoirs par la troïka.

– Une liberté d’expression, entre trop et pas du tout.

Brusquement ouvert à la liberté d’expression, le pays n’arrive toujours pas à arrêter leur liberté dans les limites de celles des autres. Les signalétiques d’arrêt qui existent pourtant dans les lois, mais que les gouvernants n’arrivent ou ne peuvent toujours pas à faire appliquer. Brusquement ouvert aux droits politiques et civils, le pays n’arrive toujours à les assimiler. Les cas les plus flagrants sont ceux du très grand nombre de grèves illégales, toujours payées, jamais réprimées, des sit-ins qui deviennent, révolutionnairement, un droit inaliénable alors qu’ils n’a jamais existé dans aucune loi. A contrario, c’est la liberté d’expression qui dénigrée, insultée, menacée, non reconnue ou détournée. Du Ben Ali tout craché.

– Une gouvernance, tout aussi despote que celle de Ben Ali.

Ayant vécu, presqu’un demi siècle sous le despotisme puis le népotisme de deux présidents où l’Etat était leur propre bien, le pays n’arrive toujours pas déterminer les limites entre bonne et mauvaise gouvernance, allant jusqu’à transplanter les défauts du despote dans les habits de l’apôtre, au nom de la légitimité carcérale et de la légitimité électorale. Les ressemblances entre ancien despote et nouveau gouvernant, deviennent alors surprenantes. Cela, d’autant plus que ces ressemblances se confirment, mois après moi, ramenant la Tunisie vers les sentiers battus du RCD, de ses pratiques de financement avec le nombre d’hommes d’affaires désormais recrutés par Ennahdha, de ses velléités hégémonistes lorsqu’Ennahdha refuse tout dialogue avec ceux qui ne sont pas de son avis, et enfin de ses pratiques d’exclusion lorsque le RCD excluait de la vie politique tous ceux qui ne font pas allégeance à Ben Ali, son chef.

– Une justice, tout aussi injuste ou absente qu’avant.

Ayant vécu, presqu’un demi siècle sous des régimes injustes, le pays n’arrive toujours pas à rétablir la justice et à rendre la justice de manière juste et faire la différence entre ce qui est juste et ce qui l’est moins. Le cas le plus flagrant pour une Révolution, dite de la dignité, est celui de la confiscation où les raisons d’un Etat, dominé par Ennahdha et l’ancien parti de Moncef Marzouki qui étaient les ennemis personnels de Ben Ali, deviennent la seule raison d’exister d’un Etat. On ne reviendra pas sur les dizaines d’emprisonnés qui attendent toujours que la justice passe, les dizaines d’interdits de voyage qui attendent toujours que les accusations se matérialisent et enfin les centaines de morts et de blessés qui attendent toujours que la justice finisse d’enquêter et de les entendre pour se prononcer.

– … Et les gaffes qui n’en finissent pas d’éclabousser des apprentis sorciers!

Il y a quelques semaines, le ministre de l’Investissement, Riadh Bettaieb nous annonçait fièrement, en marge d’une rencontre où nous évoquions l’incompétence du gouvernement à trouver les bonnes solutions à la Tunisie qu’il dirige, que «la compétence a changé de camp». Une année après le 23 octobre 2011, ce ne semble pas encore être le cas. Tout au long d’une année, en effet, les bourdes et les gaffes s’étaient accumulées, parfois de manière ridicule.

La dernière est la prestation du ministre des Domaines de l’Etat, Salim Ben Hamidane lorsqu’il annonce puiser ses informations sur Facebook pour essayer de porter atteinte à Mohsen Marzouk. Il s’apercevra amèrement que ses «informations » étaient fausses, celles selon lesquelles il a participé à l’organisation des élections présidentielles de ben Ali. Avant, il y avait sa piètre prestation concernant les revenus de la confiscation.

Les gaffes, c’est le chef du Gouvernement qui les fera en premier, lorsqu’il se prend à Sousse pour le prochain «Calife des croyants », lorsqu’il crie au complot et accuse les habitants du Sahel dont il fait partie, lorsqu’il se dispute avec son chef d’Etat à propos de Baghdadi Mahmoudi, lorsqu’il essaie de l’amadouer par le renvoi du Gouverneur de la BCT, lorsqu’il lance une campagne qui ne s’arrête pas contre les médias. Ses déclarations, répétées et jamais confirmées, sur la date des prochaines élections, n’en sont pas moins maladroites et gaffeuses.

La palme des gaffeurs reviendra certainement au ministre conseiller Lotfi Zitoun. On n’oubliera pas les frasques du président provisoire Moncef Marzouki dont sa fameuse réplique de «bonté divine ou encore sa déclaration au congrès d’Ennahdha. Mais le Roi des gaffes et des bourdes, restera Rached Ghannouchi. Les dernières séquences vidéo avec les salafistes, l’obligeront à parcourir les plateaux TV, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Tunisie, pour s’excuser en expliquant ce qu’il ne semblait pas vouloir réellement dire.

Fin 1940, Walt Disney Production lançait le court métrage d’animation «l’apprenti sorcier». Cela racontait les mésaventures de Mickey qui, incapable de faire le travail domestique, essaie de se faire aider par la sorcellerie pour exécuter ce travail et se retrouve dans une maison inondée et à la dérive. 71 années plus tard, en octobre 2011, Ennahdha prenait le pouvoir en Tunisie et croyait pouvoir diriger un pays avec d’anciens prisonniers, certains devenus hommes d’affaires. Elle prenait ses promesses pour des baguettes magiques, comme d’autres prendraient des vessies pour des lanternes. La sorcellerie religieuse ne semble pourtant pas encore marcher, mais les apprentis sorciers refusent toujours de l’admettre !

Khaled Boumiza

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