Sans être à la limite déplorable, l’état des start-up en Tunisie n’est pas non plus enviable. Ceux qui s’embarquent dans cette aventure ont nécessairement le gène du risque, un allié majeur qui ne les dispense cependant pas d’avoir maille à partir avec des parcours hérissés d’obstacles, le plus souvent insurmontables. Et on oublie (pouvoirs publics et investisseurs) qu’au moment même où l’innovation devient un enjeu économique et politique essentiel, les créateurs de start-up ont vocation à remplir un office clef pour stimuler la compétitivité et la croissance. Témoin, ce paradigme que la Banque mondiale a érigé en modèle de référence où « l’opportunité offerte aux entreprises innovantes de lancer et de développer leurs idées génère la croissance économique et la création d’emplois, en repérant et déployant des solutions efficaces face à des problèmes de développement critiques ».
Le site « Fair Observer » basé aux Etats-Unis, reprenant un podcast de « Kerning Cultures » sur l’écosystème des start-up tunisiennes, relève que celles-ci, tout en se signalant par un essor inédit, font face à divers obstacles tout au long de leur croissance et leur développement. L’infrastructure des affaires dans le pays ne s’est pas encore hissée au niveau de ces « jeunes pousses » en expansion comme elles en ont l’air à première vue bien que la Tunisie ne soit pas un endroit idéal pour démarrer une entreprise.
Les inefficacités gouvernementales et institutionnelles de la Tunisie doivent encore cesser de l’être dans la foulée du Printemps arabe comme le constatait dernièrement l’agence de notation Moody’s qui a dégradé la note d’émetteur à long terme du pays de Ba3 à B1, quatre crans en-dessous de la catégorie d’investissement (Investment grade). Les institutions financières faibles du pays ne sont pas propices à la réussite des start-up.
« Nous avons des jeunes du 21e siècle, qui sont gouvernés par des gens du 20e siècle comme moi, en utilisant les lois du 19e siècle, et le mécanisme de prestation du 15ème siècle basé sur la papier », explique Noomane Fehri, directeur général de la BIAT Labs, et ex ministre des technologies de l’information et de la communication.
« Les obstacles semblent si énormes que je me demande pourquoi les entrepreneurs s’y embarqueraient et pourquoi ils ne s’occuperaient pas simplement à un travail normal, » renchérit Yahia Houri, directeur général de Flat 6 Labs , un fonds de capital de risque.
Le frein du dinar
Dès le moment de leur création en passant par les opérations au jour le jour, les start-up en Tunisie sont en butte à une grande variété de défis, allant des simples charges administratives à des obstacles plus complexes et inhibiteurs. Remplir les documents appropriés est long et ardu, l’obtention d’un prêt peut être très difficile, et le processus de réponse relatif à l’approbation du financement est lent et inefficace. Cependant, le plus grand obstacle auquel font face les start-up tient à la monnaie tunisienne, le dinar.
La Tunisie fonctionne avec une monnaie verrouillée, ce qui signifie que le dinar ne peut être échangé et dépensé qu’à l’intérieur du pays, donc sa sortie est illégale. Par conséquent, les start-up ont du mal à monnayer leurs produits en ligne et financer les opérations telles que l’achat de logiciels, la rémunération de collaborateurs à l’étranger, et la publication et la vente des applications sur iTunes et Google Play ne sont pas faisables sans la gymnastique compliquée du contournement.
« Vous ne pouvez pas faire beaucoup de choses … Je ne fais que buter sur des obstacles », se plaint Walid Soltane Madani, fondateur et PDG de Digital Mania , une société de jeux vidéo qui dispose d’ un portefeuille de plus de 90 jeux. « Soit vous abandonnez soit vous allez chercher une autre façon de faire. Nous avons donc simplement décidé : nous allons agir autrement ».
« La loi sur les start-up »
A l’effet de démanteler les barrières qui grèvent les entreprises, les Tunisiens se sont tournés vers la législation en vigueur. Soixante-dix d’entre eux, un composé d’entrepreneurs et de représentants d’institutions financières, sont actuellement en train d’élaborer et finaliser ce qu’ils appellent la « Loi sur les start-up ». Un texte qui prévoit 22 mesures portant sur une nouvelle batterie de lois et de politiques pour encourager et soutenir la mise en place d’un écosystème des start-up en Tunisie. Les nombreuses réformes comprennent la simplification du processus d’enregistrement et la fermeture d’une entreprise, des incitations fiscales, la rationalisation des processus d’importation, l’octroi d’incitations financières en faveur de ceux qui quittent leurs emplois pour lancer une entreprise, et la facilitation pour les start-up d’utiliser leurs dinars tunisiens à l’étranger.
« En un mot, le gouvernement doit permettre aux start-up de faire tout ce qu’elles jugent nécessaire pour leur performance … de ne pas entacher leurs progrès et de les laisser faire ce qu’ils regardent comme approprié », recommande Fehri.
Mais en attendant que la loi sur les start-up prenne corps, les entrepreneurs tunisiens continuent de prospérer grâce à l’élan qui est le leur et leur tissu communautaire en tant que société. Le cœur battant des communautés entrepreneuriales du pays est Cogite , un espace de co-working avec 166 membres et 23 start- up composé de jeunes entrepreneurs. Cogite est devenu un espace où de nombreuses histoires d’entreprise tunisiens commencent.
Ces communautés entrepreneuriales regroupent des jeunes, motivés et passionnés venant de tous les horizons de la société qui veulent exercer une influence en Tunisie. Un grand nombre de ces entrepreneurs voient dans le succès du dispositif des start-up une chance d’être dans le droit fil des objectifs de la révolution en apportant la prospérité nationale et de meilleures opportunités pour les Tunisiens, conclut « Fair Observer ».