Dans une décision attendue, le Conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie (Voir ci-dessus les photos, selon le site de la BCT) a réduit son taux directeur de 50 points de base, le ramenant à 7,5 %. Objectif affiché : stimuler une économie en berne face à une croissance atone et une demande intérieure fragilisée. Objectif, moins visible : arrondir les angles avec une décision plus politique qu’économique ou financière !
Entre l’impératif d’une croissance immédiate et la nécessité de préserver une stabilité à long terme, la BCT marche sur une corde raide, où chaque pas en avant pourrait précipiter une chute brutale si les réformes structurelles, tant évoquées en février, ne suivaient pas. En somme, ce pari audacieux pourrait se transformer en un remède pire que le mal.

– La BCT mettait pourtant en garde contre une « liquidité sous tension », et des banques « vulnérables »
Plantons d’abord le décor. Entre la fin de la semaine de l’avant Aïd, (entrevue du Gouverneur Nouri avec le président Saïed) et le début de la dernière du mois de mars (mardi avec un CM consacré à la loi organisant la BCT), cette décision a été scrutée, voire attendue. Il ne restait qu’à voir sa consistance en termes de pourcentage. C’est désormais chose faite. Ce choix soulève pourtant des interrogations, surtout à la lumière du communiqué de février 2025 et des pressions politiques croissantes pour financer le Trésor.
En février 2025, en effet, la BCT mettait en garde contre les risques d’une dépendance accrue du Trésor au financement interne, soulignant, entre autres, une liquidité sous tension et un système bancaire vulnérable. Cette baisse du taux directeur, en relâchant la politique monétaire, pourrait donc exacerber ces fragilités.
Autres risques, et non des moindres, les deux prérogatives essentielles de la BCT, à savoir préserver la stabilité des prix et des réserves de changes. Là aussi, même constat : même passées en dessus des 100 jours (101 le mardi 25 mars), les réserves de change, déjà sous pression, risquent de s’éroder davantage, si la demande de devises s’intensifie, tandis que l’inflation pourrait repartir à la hausse avec une politique plus accommodante.
– Le spectre de la politique politicienne?
Le spectre des pressions politiques plane également. Face à un Trésor en quête de fonds, la BCT semble céder à l’urgence de soutenir le budget, comme prévu dans la Loi de Finances 2025. Cette décision pourrait compromettre son indépendance fonctionnelle et surtout sa crédibilité.
Petit rappel qui s’impose : le communiqué de ce même CA, datant de février, appelait à des réformes structurelles plutôt qu’à des palliatifs monétaires. Tout était alors dit, et « la messe » aussi !
Or, même si l’objectif est noble, ce coup de pouce pouvant relancer l’activité à court terme, il expose la Tunisie à des déséquilibres financiers plus compliqués et complexes. Entre relance économique et stabilité, la BCT joue un rôle à relents politiques et qui pourrait s’avérer comme « jeu périlleux ».
Un média de la place indiquait, dès mardi dernier, qu’un « accord verbal aurait été conclu (NDLR : entre le président et le gouverneur de la BCT) pour que la BCT assouplisse progressivement sa politique monétaire, afin de devenir de plus en plus accommodante dans les prochains mois ».
L’information n’ayant pas été démentie, c’est le CA de la BCT qui, indirectement, la confirme en ayant décidé de cette baisse. Pas besoin d’un dessin pour croquer la situation !
Sachant que sur la forme, le CA de la BCT aurait pu attendre l’après l’Aïd : d’abord, la période des deux mois réglementaires de délais entre les réunions du CA n’étant pas encore écoulée (le dernier en date s’est tenu le 5 février) donc, il avait jusqu’au 5 avril pour donner du temps à la réflexion mais surtout à ce que l’INS puisse publier son indice des prix à la consommation. Soit! Mais, peut-être qu’avec le mois de Ramadan et les dépenses de l’Aïd, le timing n’étant pas politique.
– Détente monétaire vs tensions inflationnistes
Ce coup de pouce monétaire pourrait, certes, redonner un souffle à l’économie tunisienne en facilitant l’accès au crédit pour les entreprises et les ménages, il n’en expose pas moins le pays à des déséquilibres financiers potentiellement dévastateurs.
Une politique plus souple risque de fragiliser davantage un système bancaire déjà sous pression, avec des créances accrochées qui pourraient s’accumuler si les emprunteurs – galvanisés par des taux plus bas, par une éventuelle mais fort probable amnistie des infractions relatives aux chèques sans provisions – peinent à rembourser.
Par ailleurs, la détente monétaire pourrait relancer les tensions inflationnistes, alors que les prix des produits importés restent sensibles aux fluctuations du dinar, lui-même sous pression par des réserves de change en diminution et qui tient grâce à l’ingéniosité des fins limiers de la BCT.
À cela s’ajoute le danger d’une perte de confiance des investisseurs internationaux, qui pourraient y voir un signe de faiblesse dans la gestion macroéconomique, freinant ainsi les entrées de capitaux nécessaires à la relance.
– Le plaidoyer de la BCT
Pour expliquer cette décision, voici l’argumentaire de la BCT tel que publié dans son communiqué :
« Les réalisations récentes de l’inflation ont engendré une révision à la baisse des perspectives de l’inflation au cours de la période à venir. Toutefois, les augmentations des salaires, aussi bien dans le secteur privé que public devraient occasionner des pressions à la hausse sur les coûts de production et stimuler davantage la demande dans un contexte des capacités de production moins dynamiques, en relation particulièrement avec le stress hydrique persistant et le rythme lent dans la mise en place des réformes stratégiques. Cette situation pourrait entraver une baisse plus sensible de l’inflation à court terme. En termes de moyennes annuelles, le taux d’inflation devrait revenir de 7% en 2024 à 5,3% en 2025.
La trajectoire future de l’inflation reste entourée de plusieurs risques haussiers. Elle serait particulièrement tributaire de l’évolution des prix internationaux des principaux produits de base et des matières premières, de la dynamique de la demande et de la capacité de gérer le déséquilibre du budget de l’Etat.
Après discussion et délibération, le Conseil estime que le processus de désinflation a achevé des progrès significatifs, et qu’il est important de soutenir sa poursuite pour atteindre des niveaux soutenables.
Dans ce contexte, le Conseil a décidé de réduire le taux directeur de la Banque Centrale de Tunisie de 50 points de base à 7,5 %. Cette décision reflète l’engagement du Conseil en faveur de la stabilité des prix, sans négliger le soutien à la croissance. Au vu des incertitudes grandissantes, le Conseil continuera de surveiller de près les risques aussi bien internes qu’externes entourant les perspectives d’inflation et se tiendra prêt à prendre les décisions nécessaires ».
– L’avis d’un expert, un vrai et qui ne mâche pas ses mots
« En vérité, la décision -éminemment politique de la BCT, ne va pas relancer l’investissement car, ce dont souffrent les investisseurs potentiels, c’est d’un contexte global des affaires qui est loin d’être Business friendly. En revanche, elle va entretenir une dynamique de la consommation mise à mal par la mort du chèque. Une dynamique qui va amplifier le creusement du déficit commercial, aggraver l’érosion des avoirs en devises du pays et condamner à plus ou moins brève échéance, le dinar ». C’est ce qu’écrivait le Professeur Hachemi Alaya, dans sa chronique « EcoWeek » du 30 mars 2025.

Selon lui, ce qui avait été décidé est « un outrage à la Dame de la rue Hédi Nouira », que « l’inflation tunisienne est loin de désarmer », qu’il y a confusion chez les décideurs économiques et monétaires tunisiens, car « l’accès au financement ne se réduit pas au coût », assurant que « J’ai beau fouiner dans toutes les études et rapports sur les obstacles à l’investissement en Tunisie, je n’ai trouvé nulle part le haut niveau des taux d’intérêt ».
Pour le Professeur Alaya, la planche de salut réside dans « l’urgence pour la Tunisie[est] de réaliser que la planche à billets ne crée pas de richesses (autrement, il n’y aurait plus de pauvres depuis longtemps), de limiter pour ne pas dire interdire, la souscription par la banque centrale et les banques commerciales aux Bons du Trésor et de faire du secteur public (STB-BNA-BH) un pôle dédié quasi exclusivement au financement de l’investissement ». A bon entendeur, s’il y en a, salut, s’il en a la réelle volonté !
De leur côté, certains connaisseurs n’hésitent pas à recommander à la BCT et aux banques de mettre en place un système de taux d’intérêts amovible et par secteurs d’activité, pour cibler celles qu’on voudrait relancer par un accès plus facile au crédit. Une facilitation qui deviendrait ainsi sélective, selon les choix économiques de l’Etat (par exemple, investissement ou consommation, et on pourrait même affiner plus les critères), et qui éviterait un impact généralisé sur l’inflation !
rappelons la crise des années 80 pour laquelle Rachid Sfar était ministre de l’économie, on a dévalué le dinar de 40% environ, cette dévaluation a obligé les pouvoirs publics d’analyser l’impact sur les secteurs d’activité et d’encourager plutôt les activités de pointe telles que les industries mécaniques, électriques et électroniques et délaisser les autres activités telles que le textile et les ind diverses,..cette décision a entrainé de subventionner ces secteurs de pointes pour un montant de 150 millions de dinars. Les investissement des matériaux de constructions et divers n’étaient pas encouragés, on n’accordait pas l’agrément à ces industries et même pour celles qui ont ont l’accord avant cette dévaluation ont été obligés de renoncer. L’investissement était plutôt choisis et les crédits aussi.