AccueilLa UNEUn rapport «explosif» sur les Tunisiens en instance de déportation en Italie

Un rapport «explosif» sur les Tunisiens en instance de déportation en Italie

Les déportés tunisiens en Italie privés de leurs droits en vertu des politiques européennes de « gestion des migrations ». Tel est l’un des principaux constats posés par un rapport intitulé  » Étude sur les conditions de séjour et les trajectoires des migrants tunisiens rapatriés par l’Italie «  élaboré par Avocats sans Frontières (ASF), Associazione Studi Giuridici sull’Immigrazione (ASGI) et le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES). Il examine les raisons de la migration « irrégulière » par mer des citoyens tunisiens vers l’Italie et les conditions auxquelles ils sont confrontés à leur arrivée. Les données fournies par 53 expulsés sont utilisées pour  souligner les  mesures de contrôle qui entraînent des retours systématiques dans le pays et pour attirer l’attention des autorités sur le traitement discriminatoire dont ils font l’objet et qui néglige leurs besoins sociaux.

Les arrivées de migrants tunisiens en Italie ont triplé en 2021 par rapport à 2018 et les Tunisiens ont été la principale nationalité des arrivées par mer en Italie, représentant plus d’un tiers du total. Les efforts diplomatiques visant à stopper les départs se sont intensifiés au cours de l’été 2020, entraînant une augmentation des expulsions et des opérations menées par les garde-côtes tunisiens pour intercepter les navires dans les eaux tunisiennes, ce qui a conduit à l’interception de six fois plus de personnes en 2021 qu’en 2018.  Quelque 1 922 Tunisiens ont été renvoyés d’Italie en 2020 (1 872 en 2021), ce qui représente 73,5 % du nombre total de retours, suivis par l’Égypte et l’Albanie, avec respectivement 231 et 140 retours.

La traversée peut  coûter jusqu’à 15 000  dinars

Cette étude s’appuie sur les informations fournies par 53 Tunisiens expulsés d’Italie, qui ont été interrogés par des avocats tunisiens. Les données révèlent que les migrants tunisiens sont principalement de jeunes hommes issus de milieux défavorisés (en termes de conditions socio-économiques, de capital économique et de qualifications professionnelles). Bien qu’ils soient souvent dépeints en Europe comme des criminels tentant d’échapper à la punition, ce n’est pas le cas.

Les principales villes d’origine des personnes interrogées sont Sfax (22%) et Médenine (19%), et la majorité (75%) d’entre elles ont entre 20 et 30 ans. Ils avaient un niveau d’instruction moyen et la moitié d’entre eux (50,9%) étaient sans emploi. Ils gagnaient en moyenne 100 dinars tunisiens par mois, soit environ 31 € ou 26 £ (la moitié n’avait aucun revenu, 11% gagnaient entre 200 et 400 dinars et 19% entre 400 et 600 dinars).

Le coût moyen des traversées était élevé, comparé aux revenus moyens : le prix moyen était de 4 645 dinars (1 430 € ou 1 230 £), le prix le plus élevé payé était de 15 000 dinars (4 600 € ou presque 4 000 £), et 71% des participants ont contracté des dettes pour payer leur voyage. 26% des participants ont tenté plusieurs traversées.

Les citoyens étrangers détenus se voient souvent refuser des informations sur les raisons de leur détention, leur statut juridique et la date à laquelle leur expulsion est prévue. 89% des participants à l’étude n’ont pas été informés de la raison de leur détention ; 84% d’entre eux ont participé à des audiences sur leur détention, mais n’ont pas pu faire appel de leur ordre d’expulsion et de leur détention ; les appels interjetés par sept personnes n’ont pas abouti. Les CPR sont jugés dépourvus d’un cadre juridique adéquat, ce qui signifie qu’ils manquent de garanties fondamentales et permettent l’exercice de larges pouvoirs discrétionnaires par les autorités publiques et la direction des centres de détention.

Traitement différencié

Le traitement différencié et les restrictions portent atteinte aux droits fondamentaux de certains détenus. 52% des participants ont affirmé ne pas avoir suffisamment de nourriture sur les navires de quarantaine, 14% ont déclaré ne pas avoir de lit ou de chaise, ni de  matelas et linge de lit propre, et 96% se sont plaints d’un manque d’accès aux douches ou à l’eau chaude, bien que la plupart aient reçu des kits d’hygiène. La pire situation a été observée dans les  centres de détention (CPR), où de multiples violations des droits sont perpétrées, des mauvaises conditions de détention à la confiscation des téléphones portables, en passant par le manque d’accès à Internet, les longues suspensions des visites et l’impossibilité de recevoir des appels téléphoniques de l’étranger.

La « partie émergée de l’iceberg »

Les auteurs du rapport  prennent soin de souligner  qu’il  ne s’agit là que  de « la partie émergée de l’iceberg », à savoir l’impact de la politique migratoire axée sur la sécurité sur des milliers de personnes contraintes de vivre dans l’illégalité et qui sont criminalisées par les politiques et les pratiques de détention. L’analyse socio-économique montre l' »homogénéité sociale » des déportés tunisiens d’Italie. Au niveau consulaire, le refus de visas permettant une migration légale peut résulter du chômage et du manque de droits à l’aide sociale. La méthodologie de traitement des visas permet aux personnes les plus riches d’échapper aux filets mis en place par la gestion des migrations. D’autres motifs de refus de visa peuvent s’appliquer si les demandeurs ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays d’origine, dans un système visant à faire de la mobilité un privilège dans lequel les autorités consulaires ont le pouvoir discrétionnaire de refuser des visas en raison d’interprétations personnelles ou de « soupçons ». Cette procédure discriminatoire est le moteur des politiques migratoires de l’UE depuis 20 ans.

Une fois les jeunes Tunisiens sont pris dans la « toile » de la gestion migratoire, il est difficile de se libérer en raison des activités d’accueil qui les laissent sans information dans des situations conçues pour les empêcher d’exercer leurs droits. La détention rapide dans les CPR en attente d’éloignement est promulguée sans que les autorités fournissent les informations nécessaires sur la possibilité de demander une protection internationale, les raisons de leur détention et de leur éloignement, la possibilité d’accéder aux services d’un avocat et la date de leur « retour » prévu.

Les conditions de détention dans les hotspots et les CPR (surpopulation, durée de la détention, violence omniprésente et restrictions qui violent leurs droits) alimentent l’insécurité et le malaise psychologique, conduisant à des tentatives de suicide, ainsi qu’à l’avilissement de ces personnes et de leurs relations sociales. La plupart des participants ont contracté des dettes pour payer leur voyage, ce qui soulève la question du coût des politiques migratoires pour les familles des migrants.

Il est  précisé  que le rapport doit être considéré comme faisant partie des efforts visant à s’opposer aux mécanismes de contrôle et de répression des migrations, qu’il s’agisse des conditions de détention et des violations des droits de l’homme, ou de la violence et des logiques discriminatoires motivées par une volonté d’exclusion qui sous-tendent ces mécanismes de contrôle. Demander le respect des normes dans les  centres de détention n’est pas une façon de légitimer ces structures, mais plutôt de remettre en question leur existence et le système de gestion des migrations dont elles font partie, avertissent les auteurs de l’étude.

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