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Tunis : Le gouvernant a failli à son mandat et doit démissionner, selon le juriste Chawki Gaddès

La situation politique actuelle de la Tunisie, le conflit au sein de l’Assemblée nationale constituante, les fondements juridiques et politiques de la décision du Chef de gouvernement, Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates, sont l’objet d’une Interview accordée à Africanmanager par Chawki Gaddès, enseignant à la faculté des sciences Juridiques, politiques et sociales et secrétaire général de l’Association tunisienne de Droit Constitutionnel. Interview :

1. Qu’est-ce que vous pensez de la situation politique actuelle de la Tunisie ?

Après les élections du 23 octobre, les Tunisiens étaient tout espoir que le nouveau gouvernement pourrait redresser la barre. La situation actuelle est grave. Sur le plan économique, la vie quotidienne des Tunisiens est un réel baromètre de l’état inquiétant dans lequel s’installe notre vie de tous les jours. Sur le plan social, on pourrait faire le même constat : rien n’a été fait pour les familles déshérités, les chômeurs, les jeunes … La situation politique n’est entre autres que la conséquence de ces macro situations négatives.

Aujourd’hui et depuis des mois, on ne peut que constater une panoplie d’échecs politiques : échec du gouvernement qui n’a pas pu améliorer la situation économique et sociale du pays. Plus grave, il n’a pas pu garder et développer la confiance que le peuple doit avoir en ces gouvernants.

L’échec est aussi celui de l’opposition qui se devait de consolider ses rangs pour devenir un interlocuteur crédible et de poids de la majorité gouvernante.

Échec de la transition, puisque son but était de stabiliser le pays et d’amorcer la préparation du cadre juridique et de la mise en place des structures qui permettront d’instaurer la démocratie : l’ISIE, l’instance des magistrats, l’instance des médias et de l’audiovisuel, la justice transitionnelle …

Quant à l’ANC et son expérience, c’est un cuisant échec. S’y sont installés des représentants du peuple qui n’ont pas saisi l’enjeu de la période. Il fallait édicter des textes importants, rédiger le plus rapidement possible une constitution et contrôler le gouvernement. Les trois missions se sont soldées par des échecs.

Le constat est donc si clair et évident : les gouvernants de cette étape on failli à leur mandat, et à leur tête le gouvernement en place qui doit donc démissionner. C’est la logique même du régime mis en place qui est de type parlementaire.

2. Qu’est-ce que vous pensez de la décision de Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates ?

Mon avis c’est que c’était ce qu’il fallait faire, en décembre 2011, peut-être après six mois, donc avant l’été 2012, mais là, c’est un peu trop tard.

Mais comme l’adage affirme qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, rien n’empêche d’essayer.

3. Certains constitutionnalistes ont estimé que la décision de Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates est légale, puisque cela s’inscrit, selon eux, dans le cadre d’un remaniement ministériel, cela est-il juste ou non ?

Il faut commencer par dire que le problème est politique et que le cadre juridique tellement mal fait qu’il n’est d’aucune utilité dans ces conditions. Quand le pays était en ébullition, ce qui l’a calmé, c’est quand le président de la République par intérim, Foued Mbazaa, sans que le droit ne le lui permette, a décidé, par une action politique, de suspendre la constitution de 1959. Le peuple, la société civile, les politiciens de tous bords avaient applaudi. Donc, essayons ensemble de faire le constat d’échec et de nous en convaincre et puis, trouvons la thérapie adéquate qui est politique et non juridique.

Maintenant, en tant que constitutionnaliste, et avec tout le respect que je dois à mes maîtres, je ne justifierais pas la décision du chef du gouvernement, Hamadi Jebali par le texte sur l’organisation des pouvoirs publics. En effet, celui-ci ne permet les changements dans la composition gouvernementale que suite soit à une motion de censure, soit une démission pure et simple de la formation.

Il faut commencer par dire que l’on dilate trop le sens de l’alinéa deux de l’article 17 pour lui faire dire que le premier ministre a le droit de procéder à des remaniements ministériels qui, à ce propos, ne peuvent être que partiels.

En effet, le texte dispose que « … le Chef du gouvernement est compétent : … 2- Pour créer, modifier et supprimer les ministères et les secrétariats d’État, ainsi que pour fixer leurs attributions et prérogatives, après délibération du conseil des ministres et information du Président de la République ». Le texte en arabe dispose aussi bien qu’il est compétent. On voit bien qu’il s’agit de changements structurels et non de nomination à la tête de ces départements.

Quant à l’article 15, il s’applique dans la situation de mise en place d’un nouveau gouvernement. Il dispose que : « Le président de la république, après concertation, charge le candidat du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée Nationale Constituante de former le gouvernement. Le Président du Gouvernement, mandaté conformément au 1er paragraphe, forme le Gouvernement et soumet ses travaux au Président de la République … [qui] soumet, dès sa réception, le dossier de formation du Gouvernement au Président de l’Assemblée Nationale Constituante. Le président de l’ANC convoque une assemblée générale au plus tard 3 jours de la date de la réception dudit dossier de formation du Gouvernement, en vue de lui accorder la confiance à la majorité absolue des membres ». Une disposition qui ne s’applique que si le gouvernement change complètement, et le remaniement ministériel n’est que partiel par définition.

4. Le remaniement ministériel a été à l’origine d’une grande polémique en Tunisie ? Il a pris de larges dimensions bien que certains juristes le considèrent comme inutile, qu’est-ce que vous en pensez ?

Est-ce nécessaire ou pas ne peut découler que d’une analyse politique qui me dépasse. Je reste fondamentalement un juriste qui gère des textes juridiques, mais pas les faits politiques qui en découlent.

5. Dans quelle mesure peut-on dire que la loi rédigée par Habib Khédher est à l’origine du conflit au sein du gouvernement et de l’ANC ?

Il faut commencer par préciser que Habib Khedher n’est pas le rédacteur de la loi sur l’OPPP, il est seulement le président de la commission qui a été à l’origine du texte. Ce dernier peut être considéré comme étant à l’origine du conflit par le régime politique mis en place.

En effet, la période de transition démocratique dans laquelle la Tunisie s’est engagée ne peut se concilier avec la nature du régime parlementaire. Celui-ci fonctionne sans problèmes de stabilité dans les régimes de démocratie irréversibles. Cette situation est loin d’être celle de la Tunisie.

Mais, les rédacteurs et la majorité qui a voté massivement pour le texte n’étaient pas à même de rédiger un texte permettant éventuellement de sortir légalement d’une éventuelle crise politique comme celle que nous traversons. Le texte est muet sur la possibilité pour le chef du gouvernement de remplacer des ministres dans sa formation. La seule manière prévue est celle de l’article 19 qui prévoit une motion de censure contre l’un de ses membres.

6. Comment vous voyez les solutions pour sortir de cette crise politique ?

La concertation nationale est la seule solution à la sortie de la crise. A rappeler que personne n’a refusé la suspension de la constitution de 1959, en mars 2011. Aujourd’hui, il faudra que la grande majorité des Tunisiens commence par faire le constat de l’échec de cette étape, puis, elle découvre clairement l’impossibilité d’appliquer le texte sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics.

Une fois ces étapes passées, il faut charger le premier ministre de composer, comme il l’a déclaré, un gouvernement de technocrates dont les membres ne se présenteront pas aux élections.

Cela me rappelle étrangement la situation qu’a déjà vécue la Tunisie avec le gouvernement Caïd Essebssi. N’a-t-on pas dit que l’histoire était un perpétuel recommencement ?

Khadija Taboubi

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