AccueilCe que je croisProjet d'amendement des statuts de la BCT : Les dérives 

Projet d’amendement des statuts de la BCT : Les dérives 

Sadok Rouai

Le projet de loi portant amendement des statuts de la BCT n’a rien à voir avec le débat sur l’indépendance, ou même l’autonomie de la BCT. Il s’agit d’un amalgame d’articles dont l’objectif principal est de diluer une institution, créée par les pères-fondateurs de la Tunisie en tant que symbole de l’indépendance financière du pays, pour la remplacer par une administration sous l’autorité de l’Assemblée des représentants du peuple et au service de la politique du gouvernement et des exigences budgétaires résultantes de la politique de compter sur soi.

Les auteurs de projet de loi considèrent que le texte actuel est à l’origine de l’accroissement considérable de l’endettement interne et externe de Tunisie. Selon eux (exposé de motifs – page 2), le renversement de la tendance à la hausse de la dette et l’élimination complète du risque de faillite du pays ne serait possible qu’à travers un amendement.

Il est peut-être superflu de rappeler aux auteurs de cet amendement l’origine véritable des problèmes financiers de la Tunisie. En politique, lorsqu’un programme est soutenu par une majorité, il est courant d’ignorer les avis divergents. Dans ce contexte, toute tentative de négociation visant à améliorer ce projet risque de ne produire qu’une version médiocre de la loi, plutôt qu’une mauvaise version.

La seule voie réaliste semble être de se résigner et de laisser le législateur suivre son cours, car il arrive souvent que les erreurs ne soient reconnues qu’à la suite d’expériences malheureuses.La Tunisie a déjà traversé de telles phases de gestion économique centralisée. L’épisode du collectivisme des années 1960 reste gravé dans l’histoire socio-économique du pays. De la même manière, l’adoption du projet d’amendement des statuts de la BCT pourrait n’être qu’une expérimentation de courte durée, qui, au final, risquerait d’aggraver davantage la situation économique de la Tunisie.

C’est dans cet esprit que nous allons essayer d’alerter le législateur à certaines erreurs contenues dans sonpropreprojet d’amendement.

  • Les outils mis à la disposition de la BCT ne sont pas cohérents avec les objectifs de la loi

A travers l’amendement de l’article 7, l’objectif principal de la banque centrale n’est plus le maintien de la stabilité des prix, mais englobe aussi le soutien del’État dans laréalisation de sesobjectifsdelapolitiqueéconomique,y compris dans les domaines de développement et de l’emploi et ce à travers l’alignement de la politique monétaire et la politique budgétaire afin de réduire le volume de la dette intérieure et extérieure ainsi que le coût de financement du Trésor.

Il est généralement reconnu que la croissance économique et la création d’emplois sont du domaine du secteur privé et que le rôle du secteur public se limite aux aspects sociaux et à la régulation et contrôle des marchés et à l’investissement dans l’infrastructure. En Tunisie, le secteur public est un frein à la croissance à cause de l’absence de réformes structurelles et l’accaparation du budget de l’État par les dépenses courantes, alors que le budget d’investissement est négligeable. Quant à la création d’emplois par le secteur public, elle est souvent fictive, pléthorique et improductive.

Lorsque le législateur impose à la BCT le soutien du développement et la création d’emplois, il doit normalement mettre à sa disposition les instruments adéquats. Ce n’est pas le cas et j’offre l’exemple suivant.

L’article 10, tel qu’amendé, exige que la BCT, dans la conduite de sa politique monétaire, ne peut qu’acquérir que les titres publics (bons du Trésor et autres). La banque centrale ne peut accepter des titres émis par les entreprises et les personnes physiques que si elle constate que les banques ne disposent pas suffisamment de titres publics. Les banques n’ont donc aucun intérêt à financer le secteur privé car elles ne peuvent pas réescompter ces crédits auprès de la BCT en cas de besoin.

On reproche aux banques de faire beaucoup de bénéfices et de financer le secteur public au détriment du secteur privé (voir Rapport Annuel BCT 2023). Cette tendance va s’aggraver davantage à cause de l’amendement des statuts de la BCT.

  • Les amendements proposés ignorent les règles de fonctionnement des marchés

Un législateur peut introduire des distorsions aux règles de fonctionnement des marchés et peut même nationaliser une activité économique.  Ce qu’il ne peut pas faire c’est introduire des dispositions qui ne sont pas cohérentes avec les règles du marché. J’offre trois exemples :

  • Sur le plan de la politique monétaire

A travers l’amendement de l’article 10, le législateur élimine le rôle du conseil d’administration dans la conduite de la politique monétaire qui va consister dorénavant en l’achat par la BCT de titres, principalement publics et pour lesquels la BCT est tenued’appliquer un taux d’intérêt de 1% par an sur toute dette publique à son profit, qu’elle soit souscrite ou achetée après son émission.

Ce qui est grave c’est que le législateur a éliminé toute référence à la cession de titres par la BCT, contenue dans l’ancienne section 2 de l’article 10 qui spécifie que « La banque centrale peut revendre sans endos les effets et créances précédemment acquis. » a été éliminée.

On ne peut pas conduire une politique monétaire sans la possibilité d’opérer des ponctions de liquidités sur le marchéà travers la cession des créancesprécédemment acquises. C’est le moyen le plus orthodoxe utilisé par les banques centrales pour contenir les pressions inflationnistes et maintenir la stabilité des prix qui est censé être l’objectif principal de la BCT.

  • Sur le plan de la politique du taux de change

L’article 7 a été également amendé par l’ajout d’un autre objectif à la charge de la BCT à savoir : maintenir la stabilité du taux de change du dinar et éviter son effondrement. En pratique, la BCT doit intervenir uniquement pour soutenir le dinar pour éviter des dépréciations. Aucune référence n’a été faite au sujet de la politique de la BCT pour contrecarrer l’appréciation du dinar.

Il faut noter que lorsqu’une banque centrale s’engage à défendre sa monnaie, elle intervient généralement sur le marché des changes en vendant des réserves de devises pour acheter sa propre monnaie, augmentant ainsi la demande pour la devise nationale et soutenant sa valeur. L’intervention de la banque centrale peut également impliquer une hausse des taux d’intérêt afin de rendre la détention de la monnaie nationale plus attrayante.

Cependant, l’expérience de certains pays montre que cette stratégie peut avoir des limites. Si les pressions du marché sont trop fortes (par exemple, en raison de la faiblesse des fondamentaux économiques ou de la spéculation), la défense de la monnaie peut épuiser les réserves de devises ou nuire à l’économie en augmentant les taux d’intérêt, ce qui pourrait finalement amener la banque centrale à abandonner cette défense.

D’un autre côté, le législateur n’a rien indiqué au sujet de la politique à suivre en cas d’appréciation du dinar. Sachant que la gestion flexible du dinar conduite par la BCT a été bénéfique au pays pour sauvegarder un peu la compétitivité de l’économie et favoriser les rentrés en devises des tunisiens à l’étranger et du tourisme.

  • Sur le plan de la gestion des avoirs en devises

La gestion des réserves de la banque centrale ne fait plus partie d’une politique d’investissement définie par le conseil d’administration et sujette aux règles de liquidité, de sécurité, et de rendement. D’dorénavant, elle doit seulement être conforme aux exigences budgétaires de l’État.

Dans le cadre de ces exigences, la BCT sera dorénavant obligée de prendre à sa charge le remboursement du service de la dette du Trésor ((principal et intérêts) par des ponctions sur ses avoirs en devises tant que les réserves sont égales ou supérieures à 90 jours d’importations.

Si la BCT estime que le niveau des réserves serait inférieurà 90 jours, elle peut, en consultation avec le gouvernement, proposer des solutions de financement en devises, qui seront soumises à l’ARP qui doit les approuver par une majorité absolue.

Les auteurs de cet amendement semblent ignorer la situation actuelle de la Tunisie en matière de coût et de possibilité d’accès aux marchés financiers internationaux avec un rating de CCC+.

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