Arrogant. C’est la première impression que le prochain chef du gouvernement tunisien en devenir, a produite lors de sa première conférence de presse. «C’est vrai que le peuple ne m’a pas élu. Mais il a élu le président de la République avec un taux inédit. Et ce dernier, posez-lui la question [Ndlr : pourquoi moi], car moi je n’en sais rien, il m’a choisi. Mon choix par le chef de l’Etat est mon unique légitimité. Je suis là dans cette configuration et j’y resterai, fidèle».
Ainsi parlait Elyes Fakhfakh à Dar Dhiafa, visiblement mis très mal à l’aise par la question de la journaliste de la radio nationale, sur ses 0,3 %, qui oubliait manifestement que la légitimité ne lui est pas encore acquise, et que les seuls habilités à la lui donner, sont les représentants du peuple. Ces derniers sont, en effet, tout aussi élus par le peuple, et dans un régime où les législatives déterminent, constitutionnellement, le choix de chef de gouvernement. «Saïed l’a peut-être nommé pour ses beaux yeux verts, et peut-être aussi parce qu’il avait appelé à voter pour lui au second tour des présidentielles de 2019, mais c’est nous qui lui donnerons, ou pas, sa légitimité», commente un député, ayant requis l’anonymat, pour Africanmanager. Commentant, de son côté, cette même conférence de presse, le spécialiste en Com Slaheddine Dridi fait remarquer sur sa page fb, que «dans le discours d’Elyes Fakhfakh, le président revient comme un leitmotiv, comme une obsession. Charité bien ordonnée commence par … la présidence».
- Entre chef de gouvernement et 1er ministre, Fakhfakh a choisi d’être l’homme du président
Force est aussi de lui rappeler que le chef de l’Etat, dont il dit tirer sa légitimité, n’y pourra rien, si l’ARP venait à le refuser, ou à lui opposer un jour une motion de censure. L’ARP est ce qu’elle est, tant dans sa composition et parfois même dans son niveau, mais elle reste l’émanation du peuple, et c’est elle qui votera oui ou non.
Mais, peut-être voulait-il par une telle étrange position qui dément les assertions de Kais Saïed qu’il n’a pas de gouvernement, prouver qu’il prend ainsi sa revanche sur un peuple qui l’avait rejeté, et rabaissé à 0,3 % des voix, et lui dire à la face (médias), qu’il ne lui doit rien, mais simplement à son bienfaiteur Kais Saïed. Il donne déjà ainsi de lui-même, et pour les députés appelés à lui voter leur confiance et celle de tout le peuple qu’ils représentent, l’image d’un ancien candidat aux présidentielles, quelque part aigri, et qui se courbe devant celui qui l’a repêché, pour ne reconnaître que son autorité et cheviller sa légitimité à la sienne avec un étrange lien de vassalité qu’il tente de tisser, avant même de prendre ses quartiers à La Kasbah.
On aurait aimé voir un chef de gouvernement, plus est détenteur de plus de pouvoirs que le chef de l’Etat lui-même, se prendre au sérieux dans ses nouveaux habits de nominé pour La Kasbah, et faire montre d’indépendance, de respect de la constitution et de volonté de convaincre les vrais représentants du peuple.
On découvre au contraire, dès sa première conférence de presse, un candidat qui se trompe manifestement de maître et abdiquerait presque en faveur du locataire de Carthage. Et comme s’il ne se voyait déjà que simple 1er ministre d’un chef d’Etat, il aurait quitté Dar Dhiafa en direction de Carthage, dès la fin de la conférence de presse, selon des sources médiatiques, pour y rencontrer celui dont il dit être l’unique dispensateur de sa légitimité, et lui rendre compte.
- La coalition se fera sur la base du vote du second tour des présidentielles
Mais, peut-être aussi, n’avait-il pas dit et fait tout cela que par respect et reconnaissance à celui qui l’a repêché, et son parti Ettakattol, de l’oubli politique, et qu’on devrait laisser travailler et ne le juger que sur pièce, lorsqu’on verra ses 25 ministres et la structure de son gouvernement.
Que signifierait alors qu’il dise que «j’ai commencé les discussions [Ndlr : pour la formation du gouvernement], pour la construction de la ceinture politique, et la vision commune du programme du gouvernement à former, avec les parties politiques qui s’étaient retrouvées, lors du second tour des présidentielles, pour un vote en faveur des principes portées par le président Kais Saïed». Un peu plus tôt (11’’ minute de la vidéo de la conférence de presse), il précisait que «j’ai choisi la base sur laquelle je veux que se fasse la coalition. Ce sera celle du second tour des élections présidentielles. Sur cette base, j’ai choisi avec qui discuter et qui fera partie de ma coalition».
On comprendra alors que tous ceux qui n’avaient pas voté Kais Saïed ne soient pas dans le gouvernement Fakhfakh, ou ne se retrouveront pas dans cette ceinture qui pourrait être de «taille S». Et si ce n’est pas cela un «gouvernement du président», on se demanderait quoi d’autre !
- Fakhfakh qui critique le haut taux d’endettement, en promet encore plus
Pour ceux qui avaient fait de la très grosse dette de l’Etat, comme lui, un motif principal d’opposition, remarquons que Fakhfakh prévoit déjà d’endetter encore plus la Tunisie. On ne sait pas, jusqu’ici, s’il sait que les bailleurs de fonds ne font pas, comme lui, la différence entre bonne et mauvaise dette, et solidaires, ils ne donneront pas plus de dette sans être auparavant payés pour la «mauvaise» dette. Une dette est une dette, et pour y échapper il faudra plus de travail et plus de productivité.
Remarquons aussi, concernant la question de la dette, la mauvaise foi manifeste de Fakhfakh, lorsqu’il a transcrit, sur son mur, le contenu de sa conférence de presse, où on ne retrouve par ailleurs plus aucune trace de la séquence où il évoquait les parties politiques qui avaient voté Saïed lors des présidentielles, ou sa décision d’amplifier l’endettement de la Tunisie.