AccueilLa UNEEnnahdha mêle les genres et court deux lièvres à la fois!

Ennahdha mêle les genres et court deux lièvres à la fois!

Faut-il prendre pour de l’argent comptant la démarcation décrétée en 2016 par Ennahdha entre l’action politique et l’activisme islamique. Beaucoup en doutent et produisent un éventail de faits, gestes et propos qui accréditent le contraire. Par exemple, le fait que l’ex ministre des Affaires religieuses et l’un des ténors du Mouvement, Noureddine Khademi, prenne la tête d’une grande manifestation devant le Parlement pour protester contre le rapport de la Colibe sur l’égalité successorale. Selon certains observateurs cités dans un article de la fondation Carnegie, cela porte à croire qu’Ennahdha n’est pas pleinement engagé dans sa rupture avec sa vocation prédicatrice (Daawa) et ne faisait que projeter une image qui rassurerait les laïcs tunisiens et leurs alliés en Occident.

Cependant, la réalité est plus compliquée, note Carnegie qui estime que, malgré ses assurances données en 2016, la politique d’Ennahdha et sa Daawa ne sont pas dépareillées pour toujours, mais fonctionnent en parallèle. Le parti s’attache à défendre un consensus national sur le rôle de l’islam en Tunisie, un islam modéré qui renforcerait la démocratie tunisienne. Pourtant, tout cela comporte des risques, et les efforts d’Ennahdha ont démontré à la fois sa flexibilité et ses limites.

Un arrangement aux allures d’une dichotomie

Certes, Ennahdha avait annoncé lors de son congrès de 2016 qu’il était devenu un parti de « démocrates musulmans » où la religion prenait rang d’une inspiration morale plutôt que d’une vision idéologique globale du monde, comme le font souvent les mouvements islamistes. Mais, en réalité, il s’est agi davantage d’une division du travail que d’une rupture nette entre parti et mouvement. Les dirigeants du parti ont préféré parler de spécialisation, ce qui signifie que les compartiments, politique et religieux d’Ennahda se sont spécialisés chacun dans leurs domaines respectifs, à l’instar des partis européens de gauche qui ont établi une démarcation entre les activités politiques et syndicales. Cet arrangement ne constituait pas un effort machiavélique visant à tromper les adversaires politiques et la communauté internationale, mais plutôt une réponse à la nouvelle situation politique, reconnaît toutefois Carnegie.

Le mouvement Ennahdha a fait montre d’une faculté d’adaptation qui a été fortement soulignée quand il avait accédé au pouvoir et cherché à se faire connaître et à se légitimer. Par exemple, il a hébergé une nouvelle classe d’entrepreneurs islamistes tunisiens qui croyaient en un capitalisme orienté vers l’islam, reproduisant le modèle du parti turc pour la justice et le développement. Il a également soutenu un programme d’égalité des chances pour les femmes en promouvant des dirigeantes charismatiques, telles que Mehrezia Labidi, et la maire de Tunis récemment élue, Souad Abderrahim, qui ne porte pas le voile et l’image de l’islam libéral.

Malgré le pragmatisme et l’adaptabilité d’Ennahdha, la décision de séparer le parti et le mouvement a eu des conséquences sur sa base. Le parti a perdu le soutien de l’opinion publique depuis que cela a donné l’impression d’abandonner la Daawa. Des enquêtes menées en 2011, 2013 et 2016 par le Baromètre arabe ont révélé que le pourcentage de répondants exprimant une «grande confiance» à Ennahda est passé de 22% en 2011 à 8,5% en 2016. Le parti devra y faire attention, surtout si les tendances négatives des sondages sont confirmées lors des prochaines élections législatives, prévient Carnegie.

2019, année jonchée d’incertitudes

Le parti Ennahdha reste un acteur majeur de la politique tunisienne, même s’il a perdu un peu de soutien en donnant l’impression qu’il a abandonné la Daawa. Il devra s’assurer que les divisions internes ne deviennent pas permanentes, et tenir compte du fait qu’en Tunisie, il existe un climat d’aversion générale à l’égard de la politique des partis, qui peut potentiellement l’affecter de manière néfaste.

Ennahdha a le choix entre deux voies à suivre cette année. S’il remportait la majorité aux élections législatives de 2019, il pourrait consolider sa position d’acteur politique principal du pays et gagner la confiance dans sa transformation initiée en 2016. Si toutefois le parti perd du terrain, des voix critiques à l’intérieur d’Ennahdha pourraient se dételer, portant sérieusement un coup à la séparation de la politique et de la Daawa.

Pourtant, les conditions actuelles suscitent de nombreuses autres incertitudes. D’abord, rien ne garantit que les forces laïques acceptent la participation d’Ennahdha au gouvernement. Ensuite, la détresse sociale et économique généralisée en Tunisie pourrait conduire à des troubles chroniques et à des émeutes. Une telle situation, conjuguée à la menace terroriste persistante, pourrait donner lieu à une sorte de quasi-tutelle de la part des technocrates nationaux et des institutions financières internationales, rendant plus difficile la tâche d’Ennahdha à la direction, prévient Carnegie.

Ce scénario pose des risques fondamentaux pour Ennahdha et porterait un coup dur à l’exception démocratique tunisienne. La Tunisie continue de faire face à la contradiction d’avoir des élites politiques qui appellent à la démocratie sans avoir pleinement accepté un parti islamiste fort. Depuis 2011, le pays est aux prises avec ce dilemme. L’atmosphère de méfiance qui règne dans la politique nationale aujourd’hui pourrait bien signifier que cet état de choses se poursuivra, sans espoir de solution, conclut la fondation Carnegie.

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