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Kamel Ayadi : « Le développement régional en Tunisie perclus dans le statu quo »

La révision à la baisse du budget de l’Etat pour l’année 2013, le développement régional , les causes majeures du sous développement de la région du Nord-ouest au détriment de celles des régions côtières ainsi que la stratégie du centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-ouest (CRSDNO) pour congédier ces insuffisances ont fait l’objet d’un entretien que nous a accordé Kamel Ayedi président fondateur du CRSDNO. Interview :

Des bruits circulent sur l’intention du Gouvernement de revoir le budget de 2013 et de réviser à la baisse ses objectifs. Qu’en pensez-vous ?

Oui, j’en ai eu vent aussi. En tout cas, cela ne me surprend aucunement et ne va pas surprendre tous ceux qui se sont intéressés au document du budget 2013, soit par l’analyse approfondie ou par la simple lecture avisée. J’ai personnellement organisé une journée d’étude pour analyser le budget 2013 avant qu’il ne soit adopté, et il y avait un consensus que les objectifs visés, dont en particulier la réalisation d’un taux de croissance de 4,5 pour cent, était un objectif ambitieux, voire même utopique. La réalisation d’une telle croissance s’est basée sur des scénarios difficiles à réaliser, notamment une reprise des exportations, la relance de l’investissement et, en particulier, l’investissement direct étranger, un retour progressif à la normal du secteur touristique, une bonne récolte au niveau de toutes les catégories des produits agricoles, et une réforme juridique pour booster l’investissement. Tous ces préalables ne sont pas faciles à réaliser quand on les analyse un à un.

En quoi résident ces difficultés ?

Pour ce qui est de l’accroissement des exportations, ce scénario ignore le fait que notre partenaire stratégique, en l’occurrence le marché européen qui absorbe plus de 70 pour cent de nos exportations connaît une récession, et son industrie automobile- là où se fait une bonne partie de nos exportations- résiste difficilement à la concurrence des pays asiatiques. S’agissant de la relance de l’investissement, c’est une vision utopique au vu de l’incertitude et l’insécurité qui prévalent. Idem pour la reprise du tourisme, compte tenu de la situation politico-sécuritaire. Pour les autres préalables en rapport avec l’agriculture, ils sont, le moins que l’on puisse dire, sujets aux aléas climatiques. Ce qui me paraît absurde, c’est aussi l’incohérence entre les objectifs économiques et la gestion des affaires politiques menées par les partis au pouvoir. Un proverbe dit : celui qui veut voyager loin ménage sa monture. En d’autres termes, une formation politique qui se fixe des objectifs aussi ambitieux, doit se donner les moyens de sa politique, jouer l’apaisement, créer un climat de confiance et de sérénité, être rassurant, avoir une vision claire sur l’agenda politique, et donner de la visibilité sur ses intentions. Tous ces facteurs qualificatifs sont primordiaux dans la réalisation des objectifs économiques quantitatifs.

Ceci étant, pour ce qui est de la situation économique en général, quelle est votre appréciation de la question du développement régional en votre qualité de président fondateur du Centre de Réflexion Stratégique pour le Développement du Nord Ouest ?

La question du développement régional est, à mon avis, au statu quo .Plus de deux ans après la révolution, la problématique du développement régional demeure entière. Il est vrai que le Gouvernement a inscrit dans sa priorité dans le budget de 2012 la question du développement régional à travers la mobilisation des fonds publics pour stimuler la création d’emplois dans les régions. Il y a eu un vrai élan et une volonté perceptible dans le premier budget qui a suivi les élections du 23 octobre. Malheureusement, il n’ ya pas eu une dynamique réelle dans l’espace et dans le temps, en plus de la question du développement régional qui n’est pas uniquement une question de mobilisation de fonds publics. D’abord, le levier de l’investissement public s’avère insuffisant, bien qu’il soit nécessaire pour juguler le problème du développement des régions défavorisées, ensuite, l’échec dans la réalisation des investissements prévus, vu que le niveau de réalisation était faible , même si le Gouvernement n’en assume pas toute la responsabilité, a laissé un sentiment d’amertume et de désabusement chez les citoyens par rapport à la capacité de l’Etat en général et de l’équipe au pouvoir en particulier à répondre à leurs aspirations légitimes. Malheureusement, depuis plus de douze mois, les préoccupations de la classe politique sont dominées par l’agenda politique, la question économique est reléguée au second plan.

En tant que président du CRSDNO, quelles sont alors, selon vous, les causes majeures du sous-développement de la région du Nord-ouest ?

Il n’est pas facile d’apporter des explications au sous-développement d’une région ou d’un pays et d’en connaître les vraies causes, et encore moins d’identifier les solutions, surtout lorsque cette région possède les atouts et les préalables qui la prédisposent à un développement soutenu et durable. Il faut surtout éviter de céder à la tentation d’expliquer le sort que subit une région, telle que la nôtre par les politiques publiques uniquement, et de se rabattre sur les leitmotivs de l’exclusion et de la marginalisation, comme on l’entend souvent. C’est de la démagogie pure et simple et de l’instrumentalisation de la thématique du sous-développement à des fins politiciennes. A mon avis, les auteurs de ce genre d’explication, soit ils manquent de courage ou de perspicacité, ou des deux à la fois .Ils tentent de bercer les citoyens de ces régions dans le sentiment de la victime et de renforcer leur frustration pour l’exploiter à des fins politiques. Le sous-développement est difficile à expliquer. Il faut en rechercher les causes dans les facteurs endogènes, propres à la région elle-même, facteurs humains, historiques, culturels, ressources naturelles, positions géographiques, mais aussi dans les facteurs exogènes, tels que l’apport en investissement, les politiques publiques, l’infrastructure, la conjoncture etc. Ceci ne veut pas dire qu’on minimise le déficit des politiques publiques dans le sous- développement, mais on ne saurait jamais expliquer tous les malheurs par ce facteur. Cependant, et en dépit de cette complexité, il y a des indicateurs qui peuvent nous mettre sur la piste des vraies réponses.

Quels sont ces indicateurs ?

Curieusement, et contrairement à ce d’aucuns auraient tendance à penser, la région du Nord-ouest, tout comme d’ailleurs tous les gouvernorats de l’Ouest, ont reçu plus d’investissement public que les régions côtières, y compris le Grand Tunis, en termes de ratio par tête d’habitant. Entre 1992 et 2010, d’après les chiffres de la Banque Mondiale, les investissements cumulés par tête d’habitant pour les gouvernorats du NO ont varié de 3 à 5 milles dinars, soit à peu près le double des régions côtières. Bien sûr, il faut lire ces chiffres avec un peu de précaution, car il y de la manipulation aussi .Souvent, les projets d’intérêt national qui se font dans la région sont présentés comme des investissements de la région. A titre d’exemple, un barrage dont la fonction essentielle est de mobiliser les eaux pour les transporter afin de valoriser d’autres régions, ne doit pas être comptabilisé comme un investissement de la région là où il est édifié !! Son impact pourrait parfois être aux antipodes des attentes de la région .Il y a des projets qui sont physiquement localisés dans une région, mais qui contribuent à créer de la valeur ailleurs et créer des externalités négatives dans la région. C’est malheureusement le cas de le dire pour certains barrages qui ont augmenté la vulnérabilité de la région par rapport aux inondations mais qui permettent de créer de la valeur ailleurs.

Alors, si comme vous le dites, la région a eu sa part en matière d’investissement public, qu’est ce qui a fait alors qu’elle soit encore défavorisée par rapport aux régions côtières ?

Là où le bât blesse et là où on peut trouver des éléments de réponse, c’est au niveau de l’investissement privé. Pour la même période, les investissements privés cumulés par habitant ont été autour de 2500 dinars, alors qu’ils ont avoisiné les 10000 DT pour les régions côtières, c’est-à-dire que le ratio a varié de 1 à 4. D’autres indicateurs non moins révélateurs du déficit en matière d’investissement privé : le nombre d’entreprises par mille habitant/entreprise employant plus de 10 salariés) était, en 2010, de 0,24 dans la région du NO, alors qu’il était 5 fois plus dans le Grand Tunis et 3 fois plus dans d’autres régions côtières.

L’indice de l’investissement privé par habitant dans la région du Nord-ouest est le plus bas de toute la Tunisie, deux fois moins que le Grand Tunis et trois fois moins que le Nord-est .La croissance du nombre des entreprises entre 2005 et 2010 a aussi été le plus bas de toute la Tunisie. Idem pour l’indice des dépenses moyennes par habitant en 2005. Une autre spécificité, malheureuse dans la région du Nord-ouest, est sa croissance démographique négative, l’unique en Tunisie qui s’appauvrit en termes de ressources humaines. Un appauvrissement humain qui offre aussi une première explication au paradoxe dont je viens de parler.

Voici alors une première explication, le déficit en matière d’investissement privé est en grande partie à l’origine de l’absence du développement. Ce déficit peut s’expliquer par deux facteurs qui agissent de manière concomitante, à savoir l’insuffisance des infrastructures de liaisons routières et autoroutières, ferroviaires, le cadre de vie qui handicape l’attractivité de cette région et l’absence de politique de communication et de marketing territorial à même valoriser le potentiel de la région et attirer les investisseurs.

Votre centre a-t-il une stratégie pour contrecarrer ces insuffisances ?

Nous essayons de construire une stratégie autour de trois axes.

– Premièrement : Contribuer d’abord à donner de la visibilité au potentiel que recèle le Nord-ouest par l’identification des créneaux prometteurs et porteurs de développement comme celui du tourisme alternatif, ou aussi les industries de transformation etc. C’est une action de marketing territorial , de communication de sensibilisation et de lobbying.

-Deuxièmement : nous offrons une plate forme de rencontre, d’échange et de dialogue pour les cadres de la région du Nord-ouest. Fédérer et mutualiser les compétences les synergies, redonner espoir aux gens.

-Troisième axe qui consiste à assister les projets en cours ou aussi ceux qui sont encore au niveau des idées. Ceci permet de créer un accueil et un soutien populaire à ces projets, une forme d’appropriation qui permettra de sécuriser l’investisseur qui se sentira appuyé par la société civile et non pas livré à lui-même et à l’adversité de la conjoncture sociopolitique actuelle.

Khadija Taboubi

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