AccueilLa UNELa Tunisie extrêmement polarisée et politiquement fragmentée

La Tunisie extrêmement polarisée et politiquement fragmentée

Investi de mission messianique davantage que porteur de programme politique ou partisan,  l’élection de Kais Saied  à la magistrature suprême de la Tunisie a représenté la victoire d’une rhétorique anti-système et anti-élite utilisée par le candidat tout au long de sa campagne électorale. Ila  promis d’effacer le fossé entre les citoyens et les décideurs en inversant la pyramide du pouvoir par une réforme institutionnelle inspirée d’un concept vague et populiste de souveraineté. L’idée était de donner plus de pouvoir aux représentants locaux et à lui-même, en tant que garant des intérêts du peuple et de la nation, souligne une analyse livrée par le think tank Atlantic Council.

La nouvelle constitution, qui remplace celle établie en 2014, a pour objectif caché de garantir que l’autorité dont Saied s’est emparé en juillet 2021 reste fermement entre ses mains, en donnant une forme juridique à ce statut. Ainsi, les deux principaux piliers du projet de Saied sont clairement apparus. Premièrement, il s’agit d’étendre les pouvoirs du président en lui accordant le contrôle de l’exécutif tout en affaiblissant l’autorité du parlement et du pouvoir judiciaire. Deuxièmement, la nouvelle constitution mettra l’accent sur un processus particulier de fonctionnement politique de bas en haut.

Cette constitution ratifie un nouveau système de représentation ascendant. Elle donne théoriquement du pouvoir aux dirigeants locaux et aux assemblées au détriment des partis politiques, dont l’influence centralisée est sapée. Cependant, en y regardant de plus près, il est clair que ce système témoigne d’une double stratégie : affaiblir les partis politiques, les mouvements organisés, et donc toute opposition structurée au président ; et surtout, maintenir le véritable pouvoir exécutif entièrement entre les mains du président lui-même. Ce système donne l’illusion d’un pouvoir populaire (ressemblant d’une certaine manière à l’aspiration idéologique de la Jamahiryya libyenne de Mouammar Kadhafi), mais semble dépourvu d’une véritable chaîne de transmission au pouvoir. En effet, le pouvoir exécutif chargé de mettre en œuvre les programmes locaux et régionaux, considérés comme l’expression de la volonté du peuple, est fortement concentré entre les mains du président.

Les Tunisiens étaient-ils au courant des changements introduits par la nouvelle constitution avant le vote ? Le think tank  croit devoir soulever la question pour constater que  peu d’entre eux avaient déjà lu le projet de texte, ce qui montre bien que les 94,6 % de « oui » (bien que le taux de participation n’ait été que de 30 % environ) représentent un vote contre le système politique, plutôt qu’un véritable consensus sur la nouvelle constitution. Néanmoins, le vote confirme la présence d’une base populaire persistante pour le président, tandis que l’exultation qui a accueilli le résultat final du référendum souligne l’échec de la campagne de boycott lancée par les partis politiques et de la position neutre adoptée par les syndicats tunisiens. L’image finale est celle d’un pays extrêmement polarisé et politiquement fragmenté.

Une marge macroéconomique dérisoire !

La Tunisie est aujourd’hui aux prises avec une situation économique désastreuse aggravée par une crise alimentaire imminente due à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En effet, la Tunisie dépend de l’importation de céréales, et son plus grand fournisseur de blé est l’Ukraine, responsable de 41 % des importations. Tout cela risque d’accroître les niveaux de pauvreté déjà élevés.

La reprise économique du pays dépendra en grande partie de la capacité de Kais Saied à obtenir un nouveau plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI) au cours de cette année, afin de compenser l’incapacité du gouvernement à rembourser la dette extérieure du pays. Toutefois, les négociations en cours pour l’obtention d’un prêt de 4 milliards de dollars sont soumises à deux conditions : mettre en place une stratégie de réforme réaliste, impliquant des représentants de la classe politique, du monde des affaires et des syndicats, et appliquer des mesures d’austérité telles que le gel des salaires du secteur public, la diminution des dépenses salariales du secteur public et la réduction des subventions sur les produits de première nécessité comme la nourriture et l’énergie. Autant d’exigences difficiles à accepter pour le gouvernement tunisien. Avec l’exacerbation de la pauvreté, Saied et la cheffe du, gouvernement  Najla Bouden, choisi par le président en octobre dernier, ont peu de marge de manœuvre macroéconomique. Il existe une large opposition aux mesures d’austérité du FMI, menée par les puissants syndicats tunisiens, car elles pourraient aggraver la situation économique et miner davantage la capacité de l’État à stimuler la croissance économique.

Cela représente le test fondamental pour le régime de Saied alors qu’une tempête parfaite se profile à l’horizon : le retour des mesures d’austérité, les pressions internationales – qui avertissent Saied d’un risque sérieux de défaut économique sans aide financière extérieure – et une polarisation politique croissante suivie de protestations populaires. Dans ce cadre, le conflit actuel en Ukraine est un défi dangereux car il affecte profondément les économies de la région euro-méditerranéenne. Dans un premier temps, la Russie a détourné l’attention des Occidentaux de la Méditerranée, mais Saied ne peut pas compter sur cela, puisque les États-Unis et, dans une moindre mesure, l’Union européenne, ont déjà menacé de réduire leur aide si le président ne remet pas le pays sur les rails.

Si le « président du peuple » veut sauver le pays et, par la même occasion, son soutien populaire, il doit comprendre que changer la constitution et le système politique ne résoudra pas les profonds problèmes économiques et sociaux de la Tunisie. Il doit abandonner sa rhétorique accusatrice et lancer un dialogue national inclusif qui inclut les organisations politiques, les syndicats et les mouvements sociaux. C’est peut-être le seul moyen de préserver ce qui reste du projet démocratique tunisien, estime Atlantic Council.

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