AccueilLa UNELe « shutdown » n’est plus loin. La preuve par le chiffre

Le « shutdown » n’est plus loin. La preuve par le chiffre

Le ministre tunisien des Finances, Nizar Yaiche, l’avait dit depuis le 10 mars devant les députés. La situation économique et financière est très, très difficile. Il reste pourtant, selon les chiffres dont nous disposons de sources parlementaires, encore loin de la vérité.

Le scénario catastrophe de cessation de paiement de l’Etat, avait été évoqué par une partie de la scène politique tunisienne, pour faire peur à l’opposition qui avait fait tomber le gouvernement de Habib Jemni, sans arriver à se mettre d’accord sur son possible successeur.

Elyes Fakhfakh élu sous la menace d’un shutdown politique et financier pour absence de gouvernement, la conjoncture s’était brusquement retournée et assombrie après l’avènement de la pandémie du Coronavirus. Une nouvelle conjoncture qui a complètement chamboulé les priorités du nouveau gouvernement, l’obligeant à réorienter ses dépenses, de l’économique vers le sanitaire, le social et la survie de son tissu d’entreprises, publiques et privées.

Ces nouvelles priorités, absolues et vitales, ont cependant aussi, déstructuré le budget tunisien, notamment par les manques à gagner qu’il faudra par la suite (après le déconfinement et la fin encore imprévisible de la pandémie) colmater et mettre ensuite encore plus d’argent pour remettre la machine économique en marche. Il faut cependant se poser la question de savoir si la Tunisie a les moyens de cette politique du tout Corona, et si le budget 2020 pourrait soutenir toutes les mesures prises par le gouvernement Fakhfakh. Désormais, et à moins d’une grosse manne financière, le shutdown n’est plus aussi loin que le disent les dirigeants tunisiens.

  • Que s’est-il réellement passé ?

Le budget 2020 a été en effet construit sur la base d’un déficit de 3 Milliards DT ou 3 %, un endettement de 11 Milliards DT, et de recettes fiscales de 31 Milliards DT. Désormais, la croissance économique ne serait, au meilleur des cas, que de 0% ou proche de zéro, sinon négative. Cela signifie que les recettes fiscales seraient négatives de quelque 2,7 Milliards DT, sachant qu’un point de croissance devait rapporter au moins 1 Milliard DT, et sachant aussi que les prévisions de croissance pour 2020 étaient de 2,7% (la Banque Mondiale tablait sur 2,6 %).

Les dettes de l’Etat vis-à-vis des entreprises publiques se chiffreraient désormais réellement à un peu plus de 5 Milliards DT. Pour l’exemple, les dettes de l’Etat envers l’office des céréales (OC), se monteraient à plus de 1 Milliard DT à travers la BNA. L’Etat se doit ainsi de payer l’OC, pour que ce dernier puisse rembourser cette banque publique qui risquerait très gros, si l’Etat ne remboursait pas l’OC. Dans le même cas, on pourrait retrouver d’autres entreprises, vitales pour l’économie, comme la Stir ou la Steg, ou encore l’office de l’huile.

Dans le meilleur des cas, et pour rester optimiste, l’Etat pourrait rembourser la moitié des dettes de ces entreprises publiques, pour ne pas mettre en péril une partie du système bancaire tunisien. Cela devrait nécessiter au moins 5 Milliards DT de dépenses.

Il faudrait y ajouter aussi les quelque 6 Milliards DT en crédit d’impôt à restituer, comme l’avait promis le chef du gouvernement. Raisonnant minimaliste, on dira que l’Etat n’en rembourserait que la moitié. Plus optimiste encore, on pourrait dire qu’après audit, ces crédits d’impôts pourraient ne pas dépasser le 1 Milliard DT. Le total des dépenses exigibles pour l’Etat tunisien en 2020, ne serait dans tous les cas pas inférieur à 6 Milliards DT.

Avec un déficit budgétaire qui pourrait grimper au voisinage des 10 %, et les 11 Milliards DT de crédits à trouver, force est de noter que cette somme pourrait aisément être impossible à mobiliser, dans un marché international presqu’à sec. Cette dette, jugée insoutenable par plus d’un expert, deviendra, en plus, un énorme obstacle à tout nouveau recours à un FMI pour qui la condition sine qua non de toute aide reste la soutenabilité de la dette.

2021 devrait être plus qu’insoutenable, et apporterait aussi un remboursement de dette, en principal, supérieur de 2 Milliards DT par rapport à 2020. Crise oblige, l’impôt à récolter en 2020 devrait être nettement moindre que celui de 2019. Par exemple, l’impôt sur les entreprises pétrolières qui avait rapporté 1,046 Milliard DT, ne devrait pas pouvoir mobiliser autant, et même pas du tout, au vu des prix internationaux qui n’encouragent point les pétroliers à la prospection et à la production.

D’autres experts rappellent que la Tunisie pourrait gagner quelque 500 MDT sur le prix du pétrole après sa dernière chute. Encore faudrait-il que le prix du baril ne rebondisse pas plus haut, en cas de fin de pandémie d’ici juin ou juillet prochains. Une fin de pandémie et une reprise économique internationale, qui pourraient même doubler et même tripler la demande internationale et booster de nouveau les prix. Le gain sur la compensation des produits pétroliers ne représenterait alors qu’une goutte d’eau dans une piscine olympique à remplir de liquide sonnant et trébuchant. Se défendant de jouer les Cassandres, beaucoup d’experts économiques réalistes sont d’avis que la situation, notamment financière, à gérer par le gouvernement d’Elyes Fakhfakh, est plus que très difficile, et que sa mission paraît pour l’instant plus qu’impossible. D’où l’Etat tunisien apportera-t-il, et dans quelques mois seulement, tout cet argent ?

Y a-t-il des solutions ?

Les solutions existent certes. Mais elles sont plus que douloureuses. La première pourrait être le rééchelonnement de la dette, avec le FMI et le reste des bailleurs de fonds internationaux. La Tunisie disparaitrait alors des radars des agences de notation, et cela boucherait définitivement toute perspective de dette.

Le chef du gouvernement pourrait aussi augmenter les taxes et impôts. Déjà avec une pression fiscale officielle de 25,3 %, et des entreprises déjà plus que mises à mal par le confinement imposé pour lutter contre le Covid-19, la hausse des taxes et impôts tuerait ce qui reste des entreprises encore debout, et mettrait une pression, plus qu’insoutenable, sur le pouvoir d’achat du citoyen. Il ne resterait alors que la politique d’austérité, et elle sera très peu acceptée par ces mêmes citoyens. Les taux finiront toujours par tuer les totaux.

Autrement, et comme solution de très court terme, le gouvernement Fakhfakh pourrait négocier avec les syndicats un report de toute nouvelle augmentation salariale, promotions et autres avances, et même le report de celles déjà programmées pour 2020. Cela, sans compter l’incontournable paix sociale pour les 2 ou 3 prochaines années, sans grèves, ni sit-in, mais au contraire avec plus de travail et de productivité, à négocier aussi avec l’UGTT. C’est un excipient, mais pas le remède de cheval qu’il faut.

Certains membres de l’actuel membre du gouvernement, ont évoqué l’urgence de vendre les entreprises déjà confisquées. Cela pourrait marcher, mais pas dans l’immédiat. Cela demandera en effet beaucoup de temps, pour un budget et un pays, qui a des besoins plus qu’urgents d’argent cash et immédiat.

L’argent, en devises et en Dinars, existe cependant bel et bien en Tunisie. Cet argent, qui reste jusque-là en dehors des circuits officiels, est généralement estimé à au moins 4 Milliards DT. Il suffirait presque de se baisser pour le ramasser. Il suffirait pour cela de s’armer de plus de courage, politique. Une denrée rare depuis 2011.

  • Pourquoi ne pas tout dire, vraiment, à la population ?

Face à toutes ces difficultés qui s’annoncent incontournables, force est de constater l’inconscience populaire d’un peuple, jusque-là presque dorloté par un gouvernement, économiquement et socialement coulant, pour ne pas dire laxiste sur les devoirs du citoyen par rapport à ses devoirs par rapport à l’Etat.

Force est aussi de constater que le gouvernement se refuse toujours à dire toute la vérité, et rien que la vérité, sur la situation économique et surtout financière, à la population et continue dans sa politique de lissement des crises que traverse le pays depuis 2011. Il tranquillise même la population sur la disponibilité de liquidité en lui affirmant, comme lors de la dernière interview de Fakhfakh, qu’il reste toujours capable de distribuer les salaires.

L’Etat décide même que ceux qui percevront toujours leurs salaires entiers, même supérieurs à 1000 DT, pourront bénéficier du report et rééchelonnement de paiement de leurs crédits de consommation (Circulaire de la BCT en date du 25 mars 2020). L’impression que donne jusque-là le gouvernement, c’est qu’il aura de quoi faire face, et cela ressemble de plus en plus à une chimère. Cette dernière n’apportera que désillusion, et ensuite insurrection selon l’avis de plusieurs experts qui nous ont même conseillé de ne rien dire, ou de ne pas le dire en les citant !

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1 COMMENTAIRE

  1. Bravo pour cet article qui ne peut que déranger que ceux qui courent derrière les leurres et les chimères. Khaled toujours percutant .

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