AccueilLa UNELe trépidant soir du 25 juillet livre ses premiers secrets

Le trépidant soir du 25 juillet livre ses premiers secrets

A ce jour, il n’a filtré du déroulé du soir du 25 juillet 2021 que peu d’éléments qui donnent une image des circonstances réelles qui ont entouré les décisions du président de la République. Toutefois, on commence à en savoir assez pour s’en forger une idée.  Sous le titre « La querelle du président tunisien avec les partis l’a poussé à s’emparer des  rênes du pouvoir », l’agence Reuters révèle en prologue à son récit que Hichem Mechichi, alors chef du gouvernement, était en route pour une réunion urgente avec le président de la République sur la sécurité nationale, lorsqu’il a essayé  sans y arriver de joindre par téléphone des officiers supérieurs.

Ce n’est qu’une fois arrivé au palais  de Carthage que Mechichi a appris la vérité : le président Kais Saied invoquait l’état  d’exception pour le démettre, geler le parlement et s’emparer du pouvoir exécutif. Les officiers qu’il avait essayé de joindre étaient déjà là.

Ses décisions, qualifiées de coup d’État par les opposants, ont interpellé les Tunisiens et les États étrangers qui se sont pris à s’interroger sur l’avenir du pays dont la révolution de 2011 a inspiré le Printemps arabe et a ensuite suivi un chemin démocratique inégalé par ses pairs.

« C’est la première fois depuis longtemps que je ne vois pas les choses évoluer dans une direction positive », a déclaré Safwan al-Misri, de l’université de Columbia et auteur d’un livre sur la Tunisie.

Des entretiens avec des fonctionnaires tunisiens et d’autres personnes proches des principaux acteurs de la crise montrent comment les querelles sur le système politique ont abouti à l’intervention de Saied.

La crise a été déclenchée par les élections de 2019, au cours desquelles les électeurs ont rejeté l’establishment en choisissant Saied, un indépendant anticorruption, et en renvoyant un parlement profondément fragmenté, rappelle Reuters.

Saied s’est brouillé avec Mechichi et le président du Parlement, Rached Ghannouchi. Leur querelle a porté sur le contrôle des forces de sécurité – le moment où, selon une source politique,  le président de la République a compris qu’il devait agir.

Saied assuré du soutien de l’armée

« Saied était sûr que l’armée le soutiendrait », a déclaré une source proche du chef de l’Etat lequel,  depuis, n’a  fourni aucune feuille de route précise, mais on s’attend à ce qu’il introduise le régime présidentiel dans une nouvelle constitution, mettant ainsi fin à des années de lutte entre les branches rivales de l’État.

Cependant, à l’exception de la prise en charge des institutions de sécurité et d’autres ministères clés, Saied ne semble pas bien préparé, a déclaré le politologue Mohammed Dhia-Hammami.

« C’est un homme fort qui se trouve en position de faiblesse », a-t-il déclaré.

À l’approche des élections de 2019, après des années de stagnation économique, les acteurs établis tels que le parti islamiste modéré Ennahdha de Ghannouchi étaient impopulaires.

Le gouvernement instable qui en est finalement issu s’est effondré en quelques mois et Saied a désigné Mechichi comme chef du gouvernement. Ils se sont rapidement brouillés sur le choix des partenaires de coalition de Mechichi.

« Le président nous a dit qu’il abhorrait  la traîtrise. Et celle-ci venait de ceux qui lui étaient les plus proches », a déclaré un politicien de haut rang proche de Saied, cité par la même source.

Mechichi n’a pas répondu aux efforts de Reuters pour le contacter par téléphone et par SMS.

En janvier, après un différend sur un remaniement, Mechichi a déclaré qu’il annexait à ses prérogatives le  ministère de l’Intérieur par intérim, se plaçant ainsi au centre de l’appareil de sécurité. Cela signifiait que la réconciliation avec le président devenait impossible, selon deux sources proches de Saied, et les deux hommes ne se sont pas rencontrés pendant deux mois.

En avril, Saied a déclaré que les forces du ministère de l’Intérieur relevaient de son autorité. Mechichi a répondu en nommant un allié d’Ennahdha à la tête des services de renseignements.

Lors d’une réunion avec deux partis politiques, Saied a déclaré que cela montrait que « Mechichi n’était là que pour servir les intérêts de ses alliés », a déclaré l’une des personnes présentes.

« Il semble que Saied ait alors décidé de destituer Mechichi et de faire tomber son gouvernement », a ajouté cette source.

Protestations

Pendant ce temps, la pandémie de coronavirus s’aggravait et la réponse du gouvernement faiblissait. Mechichi et Ghannouchi, qui a 80 ans, tombent tous deux malades.

Le dimanche 25 juillet, le premier jour de la reprise de travail de Ghannouchi après deux semaines de maladie, des manifestations dans plusieurs villes ont donné lieu à des attaques contre les bureaux d’Ennahdha – violence que Saied a ensuite invoquée pour déclarer les pouvoirs d’urgence.

Le président  de la République a appelé Ghannouchi vers 17 heures, a indiqué une source proche du chef du mouvement Ennahdha, la constitution exigeant la consultation du  président du parlement et du chef du gouvernement.

Saied a affirmé ne pas y avoir dérogé. Mais des sources d’Ennahdha ont déclaré qu’il avait simplement dit à Ghannouchi qu’il allait reconduire l’état d’urgence en place depuis 2015.

Mechichi était à son bureau. Il avait rencontré Saied la veille pour discuter de la pandémie et a été surpris de recevoir un appel à 19 heures le convoquant au palais. « Il est parti à la hâte sans connaître aucun détail », a déclaré un sien collaborateur.

Lorsqu’on lui a annoncé qu’il était limogé, Mechichi n’a pu qu’accepter, a dit la source qui lui est proche, et après l’annonce, il a été reconduit chez lui par les services de sécurité.

L’annonce de Saied a également surpris Ghannouchi. Joint par Reuters peu après, il l’a dénoncée comme un coup d’État.

Ghannouchi avait déjà parlé avec Mechichi des protestations. Après la déclaration de Saied, il a essayé de le rappeler mais n’a pu le joindre qu’à 23 heures.

Il a demandé à Mechichi s’il se considérait toujours comme le chef du gouvernement et lui a demandé de rejeter publiquement les décisions  de Saied, mais il n’a  pas donné de réponse claire, selon une source d’Ennahdha.

Déjà, les rues se remplissaient de partisans du président, jubilant à l’idée qu’il semblait s’attaquer au désarroi et à la stagnation du système.

Au cours des heures suivantes, Saied a chargé un allié de superviser le ministère de l’intérieur, tandis que l’armée encerclait le parlement, la télévision et le palais  du gouvernement à la Kabah.

Saied avait déjoué les plans de ses adversaires, conclut Reuters.

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