Ils sont 1,8 million de Tunisiens qui résident à l’étranger (TRE), selon le recensement réalisé par le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger. 50% sont des actifs, composés de techniciens, de cadres et de professions libérales.
Au terme de l’année 2023, leurs transferts en devises se sont affermis de 5,4%, pour atteindre le niveau appréciable de presque 9 milliards de dinars, soit 5,6% du PIB.
Cet élan s’est poursuivi lors du premier semestre 2024 avec des transferts d’un montant de 4,3 milliards de dinars. Et gouvernement et gouverneur de la BCT ne tarissent pas d’éloges.
– Que connaît vraiment la Tunisie de ses TRE ?
C’est tout ce qu’on sait des TRE. Par contre, peu ou prou sur le nombre de ceux qui envoient régulièrement de l’argent, et à quelle moyenne mensuelle, les voies de transfert (Swifts bancaires par le code duquel on identifierait les banques, ou transfert WU ou autres applications.), et encore moins le potentiel financier de chacun des TRE, pour pouvoir anticiper budgétairement sur leur pouvoir d’influence et d’impact sur le budget de l’Etat, et éventuellement organiser des road-shows ciblés et efficaces dans les pays de résidence des TRE.
Les banques tunisiennes, réceptacles passifs desdites « réserves en devises » comptabilisées par la BCT après « Dinarisation », connaissent-elles combien y a-t-il de retraités expatriés dans leurs registres, et leurs niveaux d’épargne ? Disposent-elles d’une typologie des TRE par niveau du revenu, comme n’en aurait d’ailleurs pas la BCT ? Le fait est qu’il y a un problème de Data chez toutes les institutions tunisiennes qui sont en lien avec les TRE, et une véritable méconnaissance de leur vrai potentiel économique et financier !
Et ce n’est donc pas étrange à ce constat de méconnaissance de la population financière des TRE que le communiqué final du FNCTE (Forum national des compétences tunisiennes à l’étranger) a promis de « mettre en place une plateforme numérique et une base de données sur les compétences tunisiennes à l’étranger », comme le dit le communiqué du ministère de Nabil Ammar. Un communiqué qui voudrait presque réinventer la roue, en oubliant de citer certains organismes, déjà existants à l’étranger, comme l’Atuge, l’OTE (Office des Tunisiens à l’Etranger), ou encore l’Agence de coopération technique (ATCT), qui disposent au moins d’une partie de l’information, pour constituer la possible ossature d’un certain nombre d’actions et de mécanisme proposés par Ammar. Mais peut-être auraient-ils été oubliés, car obéissant à d’autres ministères ?!
– Les TRE seraient-ils politisés ?
En parlant au cours d’un forum destiné aux « compétences tunisiennes à l’étranger par le biais d’un discours, fait et lu par un cadre de la banque, le gouverneur de la BCT Fethi Nouri- et il sait de quoi il parle en faisant le décompte quotidien des réserves en devises dans les coffres de la BCT- a salué la résilience des transferts effectués par les TRE, qui « ont constitué un soutien infaillible et inconditionnel pour l’appui financier de nos familles et la consolidation des avoirs en devises et de l’épargne nationale ».
Et en termes de bon Marketing macroéconomique, Nouri profite de l’occasion, pour « inviter nos compatriotes résidents à l’étranger à investir davantage dans les produits financiers offerts par les secteurs bancaire et financier tunisiens » et ne trouve aucune gêne à leur faire la Promo « du climat de stabilité dont jouit la Tunisie actuellement, et qui a permis de contenir l’inflation, de stabiliser le niveau des réserves et, par voie de conséquence, la valeur du dinar », sans dire comment la BCT, dont le taux directeur est maintenu plus haut que l’inflation ( TD à 8 % contre 7 % pour l’inflation) fait pour y arriver, ni ce qui se fait en Tunisie pour maintenir certains autres ratios.
Preuve encore, peut-être et selon nous, de cette volonté non dite de politiser le phénomène des TRE, le ministre Nabil Ammar qui insistait devant eux, et après leur avoir assuré que le Forum est placé sous le haut patronage du président de la République, sur la « nécessité de rassembler toutes nos forces et nos meilleures compétences pour préserver notre sécurité nationale dans toutes ses dimensions et protéger nos intérêts », les appelant à « contribuer à cet effort national et de constituer un élément important de soutien au processus de développement », les invitant à « s’approprier véritablement ce processus ».
– Qui a pensé à leur offrir, plus et mieux que le commun des épargnants ?
Et au lieu d’orienter les TRE vers l’unique banque tunisienne de droit français (TFBank), et d’ordonner à cette dernière de leur accorder les taux les plus compétitifs et les plus attrayants, Nouri évoque des « mesures incitatrices en leur faveur en matière de frais bancaires sur les transferts de fonds de l’étranger, de produits d’épargne disponibles, de taux de rémunération des dépôts en devises ou en dinars convertibles ».
Or, selon une source bancaire responsable en Tunisie, qui a requis l’anonymat, « en plus des charges du correspondant bancaire, il y a des commissions à percevoir en local sur les transferts de fonds, et c’est du domaine de l’interprétation de chaque banque ». Pour l’épargne, notre interlocuteur nous fait d’abord observer que l’épargne en devises n’existe pas en Tunisie, comme il n’est pas encore permis de lancer des emprunts obligataires en devises. « Comme pour les locaux, l’épargne des TRE est conventionnellement rémunérée au taux brut plafonné à 7% sans aucune exception dont il ne reste que 5,6 % en net pour l’épargnant, sauf interprétation personnelle du banquier en cas de montants importants ».
– Nemsia voudrait l’argent des TRE convertis en Obligations
Au même Forum le mardi 6 août 2024, la ministre des Finances, Sihem Boughdiri, a préféré parler du commun des TRE qui reviennent chaque année, chargés de cadeaux à leurs proches (Ceux qu’elle était allée questionner sur les conditions de leur retour, en présence des douaniers dont ils étaient supposés dénoncer les éventuelles défaillances. Notre photo), pour parler des « exonérations fiscales et douanières lors de l’acquisition d’équipements et de technologies ». Sont-ce ceux-là les véritables cibles de l’investissement créateur d’emplois que recherche la ministre des Finances et sa collègue de l’Investissement ?
S’adressant aux talents tunisiens à l’étranger, la ministre des Finances a déclaré : « Nous sommes impatients d’augmenter le volume de vos transferts financiers et de les convertir en obligations financières, ce qui contribuera à accroître le solde en devises fortes et à réduire la dette extérieure ». La ministre qui tente vainement de lancer des Obligataires en devises à cause du non amendement du Code de change, n’a rien dit sur un possible meilleur taux de rémunération que les malheureux 7% bruts de l’épargne, ni sur un possible taux bonifié qui intéresserait les TRE-Investisseurs, ou même ceux qui braveraient les alléchantes offres d’intermédiaires parallèles qui sillonnent le Boulevard Belleville à Paris pour détourner les éventuels TRE désireux d’éviter les WU et autres.
– Des compétences, à reconquérir, à chérir et à conserver intra muros
L’autre volet de cette problématique des compétences tunisiennes, dont les responsables tunisiens ne voient que la manne financière pour gonfler les réserves en devises, c’est la cause même du départ de ces compétences à l’étranger. Des départs, comme pour les spécialistes en TICs ou les médecins et autres agents de santé, motivés par les mauvaises conditions de travail en Tunisie, dont les conditions matérielles. Des conditions, qu’aucun des hauts responsables tunisiens n’a pensé à améliorer et l’annoncer dans le Forum pour donner de nouvelles perspectives à ceux, parmi les compétences que produit la Tunisie, qui pensent déjà migrer en Europe et ailleurs dans le monde. Des compétences, comme les Startupers qui demandent toujours le changement du Code de change. Des compétences, on le répète, jusque-là fêtés en tant que pourvoyeurs de devises pour les caisses de l’Etat, et pas encore bien étudiés et traités comme plaie du budget et de l’économie qu’il va falloir soigner avant que la gangrène ne s’installe sans retour !