On a souvent dit qu’un homme politique, quand il parle, ou bien il se répète, ou bien il se contredit. Dans quelle catégorie faudrait-il classer les nôtres, à commencer par le premier d’entre eux, le président de la République, Kais Saied ? La question se pose avec une remarquable singularité à la lecture du communiqué de l’Elysée, rendant compte de l’entretien téléphonique qui avait eu lieu plus tôt samedi, entre le président de la République française, Emmanuel Macron, et son homologue tunisien, en ce sens que Kais Saied semble avoir commis deux impairs. Le premier, c’est d’être revenu, comme sur une vulgaire vue de l’esprit alors qu’il en faisait une question capitale de son mandat, à savoir accepter l’idée de Dialogue national. Le second, ce fut de pardonner à un chef d’Etat étranger de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Tunisie en lui assurant que « le gouvernement serait formé dans les prochains jours et un dialogue national serait lancé dans la foulée ».
Mais ce qui fait encore davantage grief, c’est l’affirmation de l’Elysée que « le chef de l’Etat [français] a rappelé au Président de la République tunisienne qu’il suivait avec la plus grande attention la situation politique, économique, sociale et sanitaire de la Tunisie ». D’autant plus que l’on serait, dans cette configuration, à des années-lumière de ce que chef de la magistrature suprême affirmait avec force, peu de semaines auparavant, catégoriquement et sans contredit, que « La Tunisie est un pays souverain et la souveraineté est pour le peuple » et qu’ « il n’y aura aucune ingérence dans les choix de la Tunisie qui découlent de la volonté du peuple », comme l’énonçait un communiqué, posté sur la page officielle de la présidence de la République. Et d’appuyer encore sa profession de foi en soulignant que « la question de la souveraineté de l’Etat tunisien n’a jamais été discutée, et elle ne fera pas l’objet de négociations avec quelque partie que ce soit », notant que » la Tunisie n’accepte pas d’être à la place de l’élève qui reçoit les cours et attend ensuite la remarque ou la note qui lui sera attribuée ».
« Nécessité fait loi »
On ne peut pas affirmer que Saied soit revenu à de meilleurs sentiments, ayant rangé définitivement au magasin des accessoires ses convictions souverainistes et son souci presque messianique de ne pas troquer l’indépendance et l’invulnérabilité de la Tunisie en échange d’une contrepartie, même bénéfique voire salutaire pour ses citoyens. Au demeurant, le propre d’un homme politique, plus est président de la République ou Souverain monarchique, n’est-il pas de transiger, d’être acquis à un sens avéré de la tactique pour faire aboutir les intérêts de la Nation qu’il dirige ? Face à cette sacrosainte obligation, s’effacent sans coup férir toutes les autres considérations et tous les dogmes réputés indéracinables. Sans doute aurait-il été plus convenant de prendre cette immixtion pour une démarche « amicale » qui aiderait son destinataire à surmonter avec plus de chances de succès un écueil contingent certes, mais qui pourrait rejaillir sur des enjeux essentiels.
Le fait est que c’est l’obligation de résultat qui ne doit pas être perdue de vue alors que le pays est aux prises avec les difficultés les plus coriaces auxquelles il ait à faire face depuis des lustres. Et ceci justifierait parfois que l’on tourne casaque.
Le Dialogue national : abdication ou acquiescement !
Venons-en maintenant à la question du Dialogue national dont Kais Saied ne voulait même pas entendre parler. L’UGTT s’y est investie tout son saoul sans parvenir à convaincre le chef de l’Etat d’y consentir. Il n’en a pas moins dit oui du bout des lèvres à la proposition de l’Organisation ouvrière dont le secrétaire général a fait le pied de grue pour arracher un feu vert franc et univoque du Palais de Carthage.
Faisant, au départ, la sourde oreille, le président de la République a changé en quelque sorte son fusil d’épaule pour traîner les pieds, s’attirant enfin les foudres de la centrale syndicale qui, en désespoir de cause, l’a mis en garde contre la concentration de trop de pouvoirs entre ses mains sans dialogue », et en estimant que « le président a perdu sa légitimité en violant la Constitution ».Au demeurant, elle ne s’est pas exceptée de rappeler que « l’amendement de la Constitution et de la loi électorale est une question qui concerne toutes les composantes de la société », et qu’« il n’y a pas d’autre solution à la crise actuelle que la concertation, le partenariat et le dialogue sur la base des principes nationaux et de la souveraineté de la Tunisie ».
Saied trouverait-il la parade sans perdre la face en chargeant la cheffe du gouvernement de cette mission dans laquelle elle sera assistée par une «équipe ministérielle dédiée ? Mais l’interrogation qui vaut d’être posée est de savoir de quoi on va discuter et s’il y aurait lieu de toucher aux prérogatives que le président de la République s’est octroyées une première fois le 25 juillet et derechef le 22 septembre.