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Rached Ghannouchi s’adresse à l’opinion étrangère à défaut d’ « oreilles » locales

Rached Ghannouchi est dans l’embarras, se trouvant dans l’obligation de répondre à trois franges de l’opinion publique aux soucis bien différents : la première est celle de son propre parti qui veut voir ses acquis apportés par la révolution et les élections d’octobre 2011 se confirmer et se raffermir. Jusqu’il y a peu ,Ghannouchi était le chef incontesté de son parti , et les islamistes s’abreuvaient de ses analyses et discours , mais, depuis qu’il a proposé d’entrer en discussion avec d’autres partenaires politiques en dehors de la troïka , et mis le leadership de son parti en jeu , sa popularité a décliné, et ceux qui se sont accrochés au pouvoir à n’importe quel prix , au sein du parti islamiste , ont commencé vraiment à lui en vouloir .

La deuxième frange de opinion publique est celle du Tunisien moyen , qui aime entendre Ghannouchi , non pas parce qu’il croit en ses idées , mais parce que ce dernier demeure , à ses yeux , le chef du parti majoritaire qui gouverne le pays , et qui a son mot à dire sur le présent et l’avenir de la Nation .

La troisième n’est autre que l’opinion internationale : régionale, arabe, islamique et occidentale . Ghannouchi n’est-il pas un des leaders de la révolution qui a engagé le printemps arabe et bouleversé la donne politique et géostratégique dans la région, et un illustre dirigeant de l’organisation internationale des frères musulmans ?

Il faut reconnaître qu’au début, c’est-à-dire avant les élections d’octobre 2011, et même pour un moment, après la formation du gouvernement Hamadi Jébali , les choses étaient faciles pour Rached Ghannouchi : il tenait à peu près le même langage aux trois franges de l’opinion publique et il était écouté , par elles , de manière assidue . Mais depuis, les choses se sont gâtées, et ce qu’aime entendre cette frange de l’opinion publique ne convient pas forcément à l’autre, et le même argumentaire n’arrive pas à les convaincre toutes les trois, de la même manière.

L’opinion publique étrangère veut s’assurer que la dynamique déclenchée en Tunisie fait l’objet d’un consensus national , et suscite l’engagement de tous les partenaires politiques et sociaux , pour mener le pays , loin de toute hégémonie , violence ou terrorisme , vers une issue heureuse de la période transitoire qui devrait être couronnée par des élections justes et transparentes .

En Tunisie même, les deux franges de l’opinion publique (celle du parti au pouvoir et celle de l’opinion générale du pays) divergent sur la base d’appréciations différentes et même opposées de la situation et des politiques à suivre pour en sortir. Ces appréciations touchent le bilan de l’exercice du parti islamiste, le terrorisme, l’évolution du Dialogue national et les responsabilités de son blocage .

Pour les Nahdhaouis , le bilan des deux gouvernements est largement positif : chiffres à l’appui , le terrorisme est un épiphénomène exagéré pour des raisons politiques , et le Dialogue national est grippé parce que le processus d’élection des membres de l’ISIE a été bloqué par le tribunal administratif , ce qui arrête automatiquement les deux autres volets , constitutionnel et gouvernemental , du dialogue .Pour ce qui est de la désignation du chef du gouvernement , le parti majoritaire , qui se considère mandaté par le dernier scrutin pour préserver l’esprit et les acquis de la révolution , ne peut céder le pouvoir qu’à une personnalité capable de parachever cette mission historique , et ne voit personne lui convenir mieux qu’Ahmed Mestiri .

L’opinion publique nationale ne voit pas les choses du même œil .Le bilan du gouvernement est négatif et les chiffres évoqués ne reflètent pas le climat général de plomb, caractérisé par l’irruption du terrorisme, la propagation de l’insécurité, et la détérioration du pouvoir d’achat du citoyen. Cet état de choses est dû, en premier lieu, au manque d’expérience des nouveaux responsable et leurs choix partisans (nominations de Nahdhaouis aux rouages de l’Etat et largesses décernées à titre de réparations aux anciens détenus politiques islamistes). Le Dialogue national auquel Ennahdha a adhéré, presque à reculons , est chaque jour saboté par le parti islamiste et ses alliés . L’attachement à la candidature d’Ahmed Mestiri au grand dam de la grande majorité des participants au dialogue ou l’ajournement de la démission du gouvernement Ali Laârayedh sine die, montrent que le parti Ennahdha veut se maintenir au pouvoir et se dérobe devant les obligations de la feuille de route proposée par le Quartet et admise par toutes les parties .

Face à ces divergences inconciliables, le chef d’Ennahdha ne trouve pas mieux que de tenir un triple langage pour répondre aux attentes de ses trois interlocuteurs, donnant de plus en plus l’image de quelqu’un qui se renie continuellement .

Placé devant pareille situation , il adopte une stratégie bien simple . Le discours qu’il tient dans les instances de son parti ne filtre pas, et le blackout est expliqué par le caractère interne et strictement confidentiel des débats à l’intérieur du parti. Les apparitions publiques et les déclarations aux médias locaux se font de plus en plus rares, depuis août dernier , date du revirement qui a amené le parti islamiste à ouvrir un dialogue avec Nidaa Tounès , après la fameuse rencontre de Paris avec Béji Caïd Essbsi .

Les médias étrangers restent le seul recours qui permet au président d’Ennahdha de s’exprimer. Seulement, le discours tenu dans ce cadre suscite , partiellement, l’enthousiasme de la base partisane islamiste , mais le citoyen moyen ne s’y reconnaît pas , car c’est un discours qui ne convainc plus les nationaux .

A cet effet, on cite l’article publié par Ghannouchi sur le site Al-Jazeera net, mardi 12 novembre, et l’interview qu’il a accordée au journal algérien Achourouk, dans son édition du 14 novembre 2013 . Ghannouchi y souligne successivement la disposition d’Ennahdha à coopérer avec le Quartet et les autres partenaires politiques .Et tout en affichant sa conviction que la période transitoire ne permet pas la division de la classe politique en pouvoir et opposition , ni le classement des partenaires politiques en vainqueur et vaincu , il ne se prive pas de revendiquer le statut de vainqueur à son parti et de dicter à ses partenaires les conditions de désignation du prochain chef du gouvernement . Il rappelle, sans gêne, que son parti est majoritaire, et il est, de ce fait , mandaté par le peuple pour mener la révolution à bon port . Il énonce, pour le public étranger auquel il s’adresse, son attachement à la démocratie, à l’esprit de consensus et sa conviction des bienfaits du dialogue et de la concertation.

Il se dépense pour convaincre de la bonne foi du parti islamiste et invoque les sacrifices consentis pour rassurer ses partenaires , mais demande en retour à être lui aussi rassuré , en autoproclamant, pour l’occasion , son parti comme étant le seul mandaté pour choisir le successeur d’Ali Laârayedh . Rached Ghannouchi , imbu de l’esprit hégémonique qui demeure celui de son parti depuis son accession au pouvoir , insiste cette fois , sur le droit qui revient à ce même parti d’être le maître du jeu pour la phase restante de période transitoire , comme si rien n’avait changé depuis .

Aboussaoud Hmidi

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