Ce lundi encore, les enseignants ont fait grève à leur manière. Ils avaient reçu une première enveloppe d’augmentations salariales de 181 MDT et en veulent une seconde de 205 MDT. Ce lundi encore, une nouvelle entreprise tunisienne (la TUS de Mohsen Fradi) décidait de mettre la clé sous porte, minée par les grèves, légales et sauvages, de ses employés qui veulent tout et tout de suite. Quelques jours plus tôt, le SG de l’UGTT se targuait d’avoir empêché la constitutionnalisation du droit au travail au cours du premier séminaire du genre en Tunisie sur le droit de grève qui, lui, a été introduit dans la Constitution. Peu de temps après, l’un de ses lieutenants, Samir Cheffi, demandait la révision de toutes les lois sociales et revendiquait désormais le partage des bénéfices.
– Dépassé par sa base, le SG de l’UGTT ne dialogue pas, il acquiesce.
Force est de reconnaître pourtant, d’abord, le rôle historique de l’UGTT dans la lutte contre le colonialisme français et les martyrs qu’a dû payer la Centrale syndicale dans cette lutte, à commencer par l’illustre Farhat Hached, jusqu’à l’éminent rôle de la même UGTT dans la réconciliation politique et le départ de la Troïka, en passant par son non moins éminent et déterminent rôle dans la révolution de 2011.
Force est aussi cependant de reconnaître le dérapage de l’action syndicale, d’abord par rapport à son rôle de partenaire économique surtout et social aussi, mais ensuite par rapport à son rôle de garant de la paix sociale où le maître-mot est le bon arbitrage entre les droits des travailleurs et les droits de l’Etat. Un dérapage concrétisé par l’explosion du nombre de grèves et la profusion des mouvements sociaux de tous genres. Un dérapage aussi, conduit par les syndicats de base que le Bureau exécutif de l’UGTT et sa Commission administrative n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu retenir. L’impression qui se dégage en tout cas de cette gabegie sociale, est que la direction de l’UGTT est complètement dépassée par ses bases. Sans aller jusqu’à l’avouer publiquement, la Centrale syndicale le dit sous cape. Elle ne sait plus dire non aux demandes, mêmes contraires aux intérêts de l’Etat, du pays et de son économie. Et si elle ne soutient pas toutes les grèves, elle acquiesce et laisse ses dirigeants régionaux organiser toutes sortes de mouvements, comme dans le cas de Dhehiba alors qu’elle aurait dû jouer un rôle d’apaisement. A bien des égards, l’UGTT ressemble désormais plus à un autiste qu’à un citoyen normal qui sait faire la part des choses, entre l’important et l’essentiel, entre l’usage de la grève et l’abus des grèves, entre les intérêts des travailleurs et ceux de l’Etat.
– Comme l’autiste, l’UGTT vit dans son propre monde
L’une des caractéristiques de tout autiste, c’est qu’il vit en dehors du monde qui l’entoure et dans le sien propre. Celui de l’actuelle UGTT est sous le joug des intérêts, matériels et immédiats des ouvriers. C’est vrai que le pouvoir d’achat s’est nettement effiloché ces quatre dernières années. C’est vrai aussi que les prix ont grimpé au pinacle. Il est cependant tout aussi vrai que la production de ces mêmes ouvriers a baissé, beaucoup baissé depuis 2011. Les chiffres de l’INS le confirment chaque mois. Même chose pour la productivité dont Houcine Abassi ne veut même plus entendre parler, comme lors des journées de l’entreprise en décembre dernier à Sousse.
Depuis 2011, en effet, l’UGTT a basculé dans une vision économique plus marxiste que même simplement socialiste. Une vision qui n’existe que dans les esprits de ceux qui ont choisi ce nouveau modèle économique sans le dire. Une vision où le partage des bénéfices doit être la règle. Une nouvelle méthode de répartition équitable des richesses, chères aux socialistes, qui ne tient même pas compte de l’obligation de création de valeur ajoutée et de richesses par le travail avant de penser à son partage. Une vision enfin où le droit de grève est garanti par la Constitution et qui oublie allègrement le droit au travail.
– Une UGTT sourde aux autres.
Comme un autiste, l’UGTT, son SG, ses DGA et toutes ses bases, sont sourds au reste du monde. Ils ne répondent pas lorsque les autres, gouvernement, chef de l’Etat, société civile et simples citoyens les interpellent. Ils sont dans leur propre monde comme dans une sphère hermétiquement fermée. Depuis 2011, il n’y a de monde que le leur, il n’y a de discours que ceux qu’ils tiennent et il n’y a de thèses que celles qu’ils défendent. Tout le reste est mis entre parenthèses. Le reste, pour eux, ce sont des comploteurs contre les droits des travailleurs et des milices qui ne cherchent qu’à les détruire.
– Une UGTT qui ne répond plus que par des gestes et des réponses stéréotypés
Face au ras- le- bol de toute une population, à l’abus de grèves dont se rend coupable la Centrale syndicale, l’UGTT répond par plus de grèves, par le mépris de tout ce qui n’est pas son point de vue, la «Hogra» pour tout ce qui n’est pas «UGTTiste» car, pour elle, si tu n’es pas avec l’UGTT, tu es contre l’UGTT, point barre. Elle répond aussi par des stéréotypes comme ceux du complot et des milices, de l’actuel parti au pouvoir, sinon de l’ancien régime. Tous ces mots ont déjà été utilisés jusqu’à l’usure par les partis de l’ancienne Troïka. Cela les a conduits à la défaite d’octobre 2014.
Un mince fil sépare l’autisme du monde réel, le possible du réalisable, le légal de l’illégal, l’usage de l’abus, le droit du devoir, le droit de chacun du droit de l’autre et le droit d’un groupe du droit de tout un Etat. L’autisme de l’UGTT l’éloigne chaque jour du réel politique et même du réel social. Cet autisme la conduit même, de l’avis de plus d’un observateur, vers l’autodestruction. Par ses revendications sans fin et ses grèves tous azimuts, l’UGTT touche le citoyen lambda dans le vif de sa chair. Certains diront qu’elle tombe, de plain-pied, dans le piège et court ainsi vers sa perte. L’usage du droit de grève, c’est bien. En abuser ça craint…pour l’UGTT !
Khaled Boumiza
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