AccueilLa UNETunisie : Hamadi Jbali, l’homme qui sait écouter les journalistes.

Tunisie : Hamadi Jbali, l’homme qui sait écouter les journalistes.

L’homme était passé directement, de la prison au pouvoir. Une prison où il était incarcéré, pour la première fois, pour un article de presse intitulé «le tribunal militaire, une institution non constitutionnelle qu’il faut dissoudre». On ne sait pas si, maintenant chef du Gouvernement, il a l’intention de réaliser lui-même ce qu’il demandait. Seule chose sûre, c’est que ses ennemis d’hier passent toujours par cette institution. Son lien avec le monde des médias, existe donc, et c’est ce qui l’avait, peut-être, décidé à consacrer une partie de son temps [presque 3 heures], à revenir aux sources, écouter ceux chez qui il avait fait ses premiers pas dans la politique.

En blouson et chemise ouverte, il s’était volontairement mis en face de presqu’une vingtaine de patrons de presse, à écouter et essayer de démêler les écheveaux d’un monde où le matériel flirte allègrement avec les principes et la déontologie. Un monde aussi, celui des médias, où le politique et le journaliste, ne pouvaient être que des frères ennemis. Un monde enfin, qu’il avait pourtant quitté, sans pouvoir le comprendre, surtout lorsqu’il s’était retrouvé de l’autre côté de la barrière et sous les nouvelles règles, de liberté d’opinion, de démocratie et de transparence, qu’il avait pourtant appelées quelques dizaines d’année auparavant, de tous ses vœux les plus pieux.

L’homme, comme son parti dont il refuse pourtant de se détacher même temporairement pour se consacrer à toutes les parties, ne comprenait pas que les médias ne soient pas aux côtés de celui qui se dit «le chef du Gouvernement de tous les Tunisiens» et l’homme qui croit, certainement avec forte conviction, qu’il ne travaille que pour son pays. Il résumera pourtant très bien, devant les patrons de presse, la situation qui le dérange manifestement dans son travail de chef de Gouvernement. «Il y a une crise de confiance, claire, entre le Gouvernement et les média », dit-il presque avec consternation, celui qui se croit dans son propre droit de vainqueur d’une élection, libre et démocratique. Il ne se passe,en effet, rarement une journée, sans que la presse, papier, audiovisuelle ou Internet, ne le «gratifie» d’un article, d’une analyse ou d’un commentaire critique.

On ne sait alors pas si, en disant devant les médias présents, que «tout cela est naturel dans un contexte de révolution, car nous vivons toujours une période de gestation révolutionnaire où la société tunisienne tâtonne encore pour trouver le modèle idéal», il croyait bien ce qu’il disait ou que ce n’était tout simplement que du domaine du politiquement correct face aux patrons de presse.

L’homme n’est pourtant pas le seul à commander. Il est à la tête d’un gouvernement, «d’union nationale», mais politiquement tricolore. Il est chef du Gouvernement d’un parti où les avis politiques diffèrent et vont parfois d’une extrême à un autre. Il est enfin, bien qu’il dise le contraire, représentant, mieux, le SG d’un parti dont une partie de la base est assoiffée de pouvoir et l’autre exprime bruyamment d’énormes attentes politiques qu’elles croient légitimes. «Comment voulez-vous que j’exclue du pouvoir des personnes qui ont toujours connu l’exclusion politique», dira-t-il aux médias en réponse à leurs questions sur les critères de nomination des Gouverneurs et des responsables d’institutions publiques. Le chef du Gouvernement, n’est, en plus, pas le seul à lire cette même presse, et ils sont donc différents à réagir, à interpréter, à bien dire ou médire de ce qu’elle écrit sur leur première expérience gouvernementale à tous.

L’homme vit, visiblement, un dilemme et semble en être conscient même s’il s’en cache habilement derrière son sourire et derrière une disponibilité apparente, vis-à-vis de toutes les questions et de tous les instants, face à un secteur, celui des médias, qu’il sait pourtant de l’autre côté de la barrière.

Pendant les trois heures de la réunion, Hamadi Jbali «prendra son mal en patience», faisant montre au fur et à mesure d’une bonne capacité d’écoute et d’une capacité même à recevoir des leçons. Sans totalement réussir à restaurer, plutôt à installer, un climat de confiance, il posera des questions, prendra des notes, avec une attention parfois soutenue. Une attention, comme lorsqu’il explique encore une fois qu’il n’a nullement l’intention de mettre la main sur la presse, ni publique ni gouvernementale, ou comme lorsqu’il aborde la question des décrets n° 15 et 16 en mettant en avant sa volonté de tout remettre en discussion, avec les professionnels. Une sérénité, peut-être de circonstance et, en tout cas, un sens de l’acceptation de l’avis de l’autre, comme lorsque les patrons de presse lui expliquent qu’il est presque impossible d’installer un climat de confiance dans une conjoncture qui manque toujours de perspectives économiques, de positions et de décisions claires à propos de la question sécuritaire et des salafistes et même d’absence de communication. «S’il y a toujours des choses à critiquer dans l’action du gouvernement, il n’y a toujours rien qui permette d’écrire quelque chose pour la défendre », lui dira un des présents, avant qu’un autre ne l’interpelle que « ce n’est pas tant l’image de l’horloge de l’avenue surplombée d’un barbu qui lève un drapeau noir qui nuit à l’image de la Tunisie, que l’existence même de tels phénomènes. Assis à ses côtés, le ministre des Droits de l’homme, Samir Dilou, qui s’était illustré par de méchantes attaques répétées contre la presse, hoche enfin la tête. Peut-être en signe de compréhension. Les médias tunisiens ont cependant tellement vu de contradictions dans les positions des uns et des autres dans un même parti-gouvernement, que la réunion ne pouvait que se conclure sur un sentiment mitigé, et nous croyons, partagé entre médias et gouvernement. La réunion du chef du Gouvernement, provisoire [Jbali en a ri lorsqu’on le lui a rappelé] avec les patrons de presse, signait ce jour une sorte de trêve. Signera-t-elle la paix ? Seule chose sûre, comme les patrons de presse tunisiens l’ont fait clairement comprendre au chef du Gouvernement, c’est que la presse continuera à défendre sa liberté, même acquise au fond d’un fauteuil, mais certes dans la douleur de 23 ans de brimades.

Khaled Boumiza.

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