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Tunisie : «Je ne suis pas Robin des bois», mais il faut que les riches contribuent plus

Elyes Jouini est une tête bien connue en Tunisie. C’est un mathématicien, universitaire franco-tunisien membre de l’Institut universitaire de France et Prix du meilleur jeune économiste de France dès 2005. Depuis, se suivent les distinctions internationales.

Juste après la révolution, il est nommé ministre chargé des Réformes économiques et sociales au sein du 2ème gouvernement provisoire tunisien. Il quitte cependant ce poste le 1er mars 2011, à la suite de la démission de Mohamed Ghannouchi, pour reprendre ses activités d’enseignant chercheur. «Je ne suis pas Robin des Bois, mais je pense que la contribution fiscale aujourd’hui des plus aisés est très inférieure à leur capacité contributive et qu’à l’inverse, les classes moyennes font aujourd’hui face à une inflation importante», a-t-il dit à Africanmanager, lorsque nous l’avions rencontré à la conférence de la Biat, le 17 janvier à Tunis. Interview :

Vous connaissez bien la conjoncture économique, les ratios, qu’est-ce qu’il faudrait en faire ?

Je pense qu’il faut avoir déjà un projet et un programme de long terme. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les décisions semblent en tout cas être prises au jour le jour et qu’il n’y a pas de vision partagée. Il est très important, non seulement que le gouvernement ait une vision, mais surtout une vision partagée, qui soit aussi portée par l’ensemble des acteurs politiques, économiques, pour pouvoir se projeter. Et c’est là que nous aurons des négociations sociales qui soient respectueuses du projet et qui permettront par la suite de relancer l’économie.

Je pense qu’il y a des sujets fondamentaux à aborder en profondeur. En premier lieu, la question de la fiscalité. Nous avons une fiscalité injuste. Il faut alors une meilleure répartition de la charge sociale. Il faut travailler à réintégrer progressivement tout le secteur informel dans le secteur formel. On n’y arrivera pas simplement avec le bâton. Il faut aussi la carotte pour amener ce secteur informel à contribuer, lui aussi, à la création de richesses et au financement de l’Etat.

Concernant la fiscalité et comme vous l’avez reproché à l’expert invité par la BIAT, il semblerait qu’il faille, selon vous, prendre chez les riches pour donner aux pauvres ?

Oui certainement. Je ne suis pas Robin des Bois, mais je pense que la contribution fiscale aujourd’hui des plus aisés est très inférieure à leur capacité contributive et qu’à l’inverse, les classes moyennes font aujourd’hui face à une inflation importante. Ces classes moyennes gagneraient à avoir un peu plus de pouvoir d’achat, tout en réduisant la fiscalité qu’ils supportent. On sait bien que, lorsque l’on est dans la catégorie des 10% les plus aisés, lorsqu’on a du patrimoine, on a énormément de possibilités pour contourner la fiscalité. Il faut donc arriver à trouver des modalités plus justes de sorte que chacun contribue en fonction de ses moyens.

Prendre des riches pour donner aux pauvres, n’est-ce pas aussi diaboliser les créateurs de la valeur ajoutée ?

Non. De toutes les façons, c’est le principe même de l’impôt, c’est que l’on prend à tout le monde.La question qui se pose est de savoir est-ce qu’on est en train de prendre à chacun en fonction de ses capacités contributives ? Est-ce qu’un taux de 30% est plus juste ou moins juste qu’un taux de 28 et de 32% ? C’est l’équilibre des forces sociales qui définit le bon niveau.

Aujourd’hui, nous sommes dans la situation des inégalités qui sont criantes, aussi bien les inégalités régionales que les inégalités entre individus.

On sait bien que le principe même de la stabilité de l’économie et de sa pérennité, c’est d’avoir une classe moyenne solide sur laquelle on puisse s’appuyer. C’est dans l’intérêt même des riches, même si je n’aime pas utiliser le mot riche, mais dans des catégories qui ont aujourd’hui un patrimoine important pour préserver leurs propres patrimoines. Ils ont intérêt à ne pas avoir une révolution ou des mouvements sociaux qui soient particulièrement violents et là, le partage ne se fera plus en fonction de la règle de droit mais d’une manière sauvage.

On le voit bien, aujourd’hui, dans les exactions qui sont commises dès qu’on a la moindre manifestation. Si on veut éviter tout ça, il faut qu’on redéfinisse des règles. Et si on redéfinit les règles pour qu’elles deviennent acceptables par tous, on ne sera plus dans cette course indéfinie à l’augmentation de salaire où finalement aujourd’hui, les entreprises sont en train de dépenser de plus en plus concernant des augmentations salariales non-productive parce que le prix de l’emploi qu’elles payent ne correspond pas à la valeur de marché. En revanche, il faut laisser fonctionner les mécanismes de marché et ensuite faire une redistribution qui assure une pérennité de ces mécanismes de marché.

Parlons des dernières mesures de la BCT concernant le commerce extérieur et aussi le dinar. Vous disiez, lors de la dernière rencontre économique de la Biat, qu’il s’agit de fausses bonnes mesures. Pourquoi !

Lorsqu’on décide de ne plus financer l’importation de certains produits, cela veut dire quoi ? Cela veut dire que nous laissons importer ces produits par ceux qui ont une assise financière suffisante. Cela veut dire aussi qu’on va diminuer l’importation de ces produits et qu’on va concentrer certaines importations entre les mains de ceux qui ont une assise financière suffisante. Ils vont donc se trouver en situation de quasi-monopole et pourront donc renchérir, puisqu’ ils ne sont plus financés et qu’ils se financent eux- mêmes. Ils vont faire monter les prix de leurs produits importés et qui sont bien sûr plus chers et que le citoyen ou le consommateur va payer ce différentiel.

Et pour la valeur du dinar par rapport aux deux principales devises que sont l’Euro et le Dollar ?

S’agissant de la question du dinar, moi je pense que malheureusement, on n’avait pas le choix. De toutes les façons, maintenir un dinar plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, aurait consommé toutes nos réserves de change parce que le seul dinar aurait été soumis à des attaques du marché. Là c’est simplement la réalité des prix. Et si on veut lutter contre la chute du dinar, nous sommes appelés à reprendre l’investissement, à favoriser l’épargne et à relancer l’économie pour que le dinar retrouve des couleurs. Mais on ne peut pas le maintenir artificiellement. On ne peut pas avoir seuls raison contre le marché.

La solution c’est donc, selon vous, de le laisser péricliter ou de suivre les conseils du FMI ?

Ce n’est pas un conseil de la part du FMI. L’analyse du FMI n’est que, pour une bonne part, suffisante lorsqu’il dit que la baisse du dinar va améliorer la compétitivité. Je pense aussi que ce n’est pas vrai. La baisse du dinar va diminuer les importations oui. On va donc permettre d’améliorer le déséquilibre de la balance, mais il faut bien voir que si la baisse du dinar est le résultat d’autres choses, ce n’est pas quelque chose qu’on a décidée parce que cela faisait plaisir à telle ou telle partie de baisser le dinar. Le dinar baisse, parce que notre économie est en mauvaise santé et ce n’est qu’en relançant l’économie que l’on pourra remonter le cours du dinar. Mais ce n’est en tout cas pas en cassant le thermomètre que l’on va guérir le malade.

Entretemps, on le laisse flotter ou on le dévalue carrément ?

De toutes les façons, il est flottant. Donc, on peut penser qu’aujourd’hui il est à peu près à sa valeur du marché. Si l’économie ne redémarre pas davantage, il continuera, progressivement, de baisser.

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