AccueilLa UNEUn gouvernement à tout prix. Mais à quel prix ?

Un gouvernement à tout prix. Mais à quel prix ?

Habib Jemli s’accroche, et ne veut pas lâcher. Le manque de temps (une semaine avant l’expiration du délai légal de la prolongation d’un mois), et la dispersion de la scène politique au sein de l’ARP, semblent même avoir contribué à durcir ses positions sur la question de changement de ministres.

«La composition du gouvernement proposé sera soumise au vote de confiance du parlement sans aucun changement», déclarait en effet à l’agence TAP, le chef du gouvernement missionné, Habib Jemli.

  • L’UGTT voudrait qu’on vote Jemli. Pourquoi ?

Ce dernier semble même avoir fait exprès de jouer le temps, afin d’arriver à cette situation où tout le monde sera obligé de lui voter la confiance. Une position qu’adopte déjà l’UGTT dans une séquence vidéo sur sa page, le SG Noureddine Taboubi appelant à voter Jemli [ar]. «Moralement, juridiquement, constitutionnellement, il est du devoir de toute la classe politique de voter le gouvernement, et combler le vide», disait le 1er responsable de la toute-puissante centrale syndicale. Il y a manifestement un maillon qui manque dans l’analyse de cette position de l’UGTT. Une position qui, à bien entendre et décortiquer la vidéo de Taboubi, arrive presque ex nihilo, et sans autre forme d’introduction. La même UGTT, cette fois-ci par la voix de Sami Tahri, critiquait pourtant ferme le gouvernement du même Jemli.

Un paradoxe qui illustre, peut-être, le piège dans lequel le chef de gouvernement missionné semble désormais avoir réussi à entraîner tout le monde en Tunisie ; «moi ou le gouvernement du président» semblait-il vouloir dire à une classe politique terrifiée par cette perspective.

  • Ennahdha critique Jemli et ne sanctionne pas sa désobéissance. Pourquoi ?

Sponsor officiel de Jemli, la 1ère formation politique à s’élever contre Jemli a été Ennahdha, qui n’a été interpellée par ce qu’il faisait qu’à la veille de l’annonce officielle du gouvernement, dont elle critique depuis plusieurs ministres et demande leur changement. «Initialement, la mission donnée à Jemli a été de former un gouvernement politique», disait Rached Ghannouchi la semaine dernière dans le hall de l’ARP. Pourquoi alors ne pas le lui avoir rappelé lorsqu’il avait tourné casaque et renvoyé Ghannouchi sur les roses, en annonçant sa décision de constituer un gouvernement de compétences nationales ?

Le revirement de Jemli contre Ennahdha et son indiscipline par rapport à l’objet de la mission qui lui avait été confiée par son sponsor, datent du 23 décembre, et sont restés impunis. Des «fuites» avaient même parlé de mésentente entre Ghannouchi et Kais Saïed, le même jour, à l’occasion de la rencontre des deux hommes avec Jemli, rencontre qui précédait de quelques heures le fameux point de presse où le chef de gouvernement missionné déclarait officiellement désobéissance à un parti islamiste qui voulait un gouvernement politique, comme le disait Ghannouchi.

  • Jemli se dit être prêt au changement des ministres avant de se rebiffer. Pourquoi ?

Entre le 23 et le 4 décembre qui est la date de la déclaration de Ghannouchi à l’ARP, c’est une dizaine de jours qu’Ennahdha aurait juste utilisés pour sonder l’opinion publique et la scène politique sur les ministres et certains «sinistres» qu’elle a mis sur la liste de son poulain.

Et ce n’est qu’après avoir constaté son double échec, d’abord, amener Jemli à un gouvernement politique et ensuite, à y réussir l’implantation de présumés indépendants et compétents qu’elle a rejoint le concert des critiques.

Entretemps, Jemli était déjà monté sur ses grands chevaux, changeant même de monture, en se mettant du côté d’un chef d’Etat qui, contrairement à Rached Ghannouchi, serait contre tout changement de la liste du gouvernement.

Jemli pousserait ainsi toute la scène politique vers le choix cornélien, entre un gouvernement décrié par tout le monde, tant sur le plan de l’indépendance que sur celui de la compétence, et le passage au «gouvernement du président». Ou encore entre le gouvernement qui ne plaît à personne, et l’enfoncement de la Tunisie encore plus dans la crise politique, économique et financière. Jemli serait prêt à toutes les concessions pour faire passer son gouvernement, quitte à y introduire des changements après le vote, comme il le déclarait le 4 janvier 2020 sur Shems Fm. Il savait pourtant que ce n’est pas faisable, sans compter le coût financier d’un tel changement, tout ministre ayant droit à 3 mois de salaires et de privilèges, après son renvoi.

  • Et si le gouvernement Jemli passait pour échouer ensuite. Qui sera responsable ? «Certainement pas moi», dira Ennahdha !

Et si ce gouvernement passait vendredi prochain, malgré toutes les tares et les «cadavres dans les placards» qu’on attribue à certains de ses membres, et qu’il ne réussissait pas à redresser la barre, notamment économique en si peu de temps, se posera alors la question de la responsabilité de son échec. Avec toutes les critiques que le parti islamiste en a fait, Ennahdha pourra aisément dire qu’il n’en supporte point.

Tous les indices disent, pour le moment, que Jemli ne passera pas. Mais c’est compter sans la versatilité des députés. Il faut aussi attirer l’attention sur le fait que le passage au «gouvernement du président», ne se fera pas sans prix. Un prix en temps perdu chez un peuple qui est déjà au bord du «burn out», politique, économique et financier et qui attend des solutions, urgentes et à effet immédiat. Un prix aussi en attentes, d’abord pour reprendre les discussions avec les bailleurs de fonds, et ensuite pour toute l’administration qui ne sait plus sur quel pied (et surtout avec quelle troupe) danser. Un prix en réformes toujours pas engagées, avec un coût toujours grandissant de la non réforme. Et enfin, un prix en attentisme de toute la classe d’affaires et d’investisseurs. Un vrai dilemme cornélien où le gagnant perdra toujours, à moins que tout le pays ne se remette au travail, avec une production et une productivité plus grande, et que le Dinar ne vote, lui aussi, le gouvernement proposé, ou très vite un autre. Et ce n’est pas encore sûr !

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