Au terme du premier trimestre 2022, les investissements internationaux en Tunisie ont atteint le montant de 596 MDT enregistrant ainsi une hausse de 73,0% par rapport à la même période de l’année 2021. Or, comme le disent les chiffres de la Fipa, « cette hausse est due à une opération d’augmentation de capital d’un établissement financier ». Ce n’est donc qu’un leurre et presqu’une fausse hausse dont aiment se gargariser les responsables tunisiens.
Entretemps, la troisième enquête du cabinet Deloitte Afrique et l’Africa CEO Forum, réalisée en 2022 auprès d’environ 200 chefs d’entreprises du monde francophone et anglophone africain, a relégué la Tunisie au 16ème rang (ex-aequo avec le Cameroun) en Afrique des destinations jugées les plus attractives pour les investisseurs privés africains. La Tunisie, où le site de la Fipa met en exergue la puissance concurrentielle grâce à la baisse des salaires et des coûts, est classée loin derrière la Côte d’Ivoire, suivie par le Ghana et le Nigéria, en tête des meilleures destinations en Afrique, le Maroc pointe à la 7ème place en Afrique et l’Égypte, à la 15ème. Un classement, qui dément le langage officiel d’une « Tunisie place stratégique de l’investissement ».
Et d’ailleurs, mis à part les 8 « Awards Fipa-Tunisia 2022 » qui ont été remis par la Fipa aux entreprises étrangères installées en Tunisie, lors de l’ouverture de la 20ème édition du « Tunisia Investment Forum » (TIF 2022), le 20ème du genre, aucune intention d’investissement ou manifestation d’intérêt n’a été déclarée pendant les 2 jours du TIF.
– Déjà 9 mois aux commandes, et il cherche encore sa route
Le 24 juin, à la clôture du Forum, le ministre Samir Saïed qui intervenait au TIF sur « La relance de l’investissement » organisé dans le cadre du Forum de l’investissement, estimait pour ce faire que « nous sommes condamnés à mener plusieurs réformes en parallèle et à le faire autrement. En Tunisie, nous avions la manie de promulguer un texte à chaque fois où un problème se présente. Ces textes se sont accumulés formant un labyrinthe que nous devons aujourd’hui résoudre et simplifier. Nous devons inventer une manière autre que l’émission de textes pour accélérer la prise de décision ». Après 9 mois au poste de ministre en charge des réformes qui amélioreraient l’atmosphère et les condition d’investissement et garantiraient donc la relance économique, Samir Saïed en était encore ce jour-là à rappeler les « 223 pistes de réformes identifiées dans le cadre d’un dialogue public-privé récemment tenu sur les meilleurs moyens d’accélérer l’investissement. Parmi ces réformes, une liste de 43 mesures d’urgence économique a été arrêtée et leur entrée en exécution est prévue pour le 1er juillet 2022 ». Le ministre de l’investissement et e la planification était manifestement hors-piste, et « la poule devra donc attendre le grain à venir de Béja », car à l’entendre, la relance de l’économie attendra encore que la poule ait des dents !
Parmi ces mesures, le ministre a cité la suppression de 25 autorisations de l’investissement, l’amélioration des services du port de Radès, la réforme de la réglementation de change, la mobilisation de lignes de financement pour les PME, l’adoption de nouveaux pactes de compétitivité sectoriels et la prise en charge par l’Etat de 50 % des primes d’assurance à l’export vers l’Afrique.
S’agissant de la réglementation de change, il a fait savoir qu’un premier draft du nouveau code sera prêt au cours du mois de juillet 2022 et examiné par les parties prenantes, à savoir la Banque centrale de Tunisie (BCT) et les autorités concernées. En fait, tout ce qui doit être fait et ne l’était pas par les deux Saïed.
– Les piques de Majoul à Saïed et Nemssia
On ne sait pas si le patron des patrons, Samir Majoul, était sérieux lorsqu’il s’adressait à la cheffe du gouvernement pour dire que « on pensait aller vite, mais le gouvernement va plus vite que nous ». Venant de ce parfait francophone, cela nous a plutôt semblé être du domaine de de l’autodérision.
« L’actuelle loi sur l’investissement, excusez-moi Monsieur le ministre, est une véritable usine à gaz, et il va falloir très vite la décarboner ». Samir Saïed se contente de prendre note avec le sourire, avant que Majoul n’éperonne de nouveau tout le monde en assenant, en véritable pince sans rire, que « nous sommes un enfer fiscal », avant de s’adresser à la ministre des Finances, Sihem Nemssia, par un « c’est très simple, on veut une fiscalité de croissance, et on veut qu’elle soit payable à la réalisation, pas d’avance », disait Majoul à juste titre.
Au gouverneur de la BCT, Majoul demande « un code des changes moderne, qui libère les Tunisiens, qui encourage l’internationalisation de l’économie. Je veux que tous les Tunisiens soient riches en devises, et peut-être pénaliser ceux qui sont riches en Dinar », lançait encore Majoul devant Ferid Belhaj qui riait presque aux éclats.
Sur sa lancée, le président de l’Utica demande une logistique efficace, et des services portuaires et douaniers, opérationnels 24/24 et 7/7, un dédouanement flottant dès l’embarquement d’un port étranger. C’est possible. D’autres l’ont fait », disait encore Majoul, qui se prend au jeu de la joute verbale. « Plus jamais de bateau en rade », lançait-il avant de jouer sur les mots en proposant de « changer le nom du port (Ndlr : de Radès) pour éviter le pluriel de rades, car ça passe mal », lançait-il en quolibet devant Nejla Bouden qui en riait sobrement.
De l’open-Sky, Samir Majoul lance en guise de cris de détresse, que « l’enfer va s’ouvrir avant qu’on n’ouvre le ciel en Tunisie ». Et de synthétiser, en disant à juste titre que « les gens investiront en Tunisie, lorsque tous les atouts seront réunis pour cela », avant de terminer par ce jeu de mots qui synthétise aussi la condition du secteur privé, en disant que « du secteur privé, on n’entend que les privations ». Une belle prestation à écouter, pour ceux qui crient Haro sur le privé !
– « L’atermoiement tue la confiance et l’absence de réactivité repousse les investisseurs »
Autant d’idées qui avaient manifestement trouvé bonne oreille chez le vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la région Mena, Ferid Belhaj, qui a souligné à cette occasion, l’urgence pour la Tunisie d’agir vite et fort face à une concurrence acharnée à l’échelle régionale et internationale.
« L’atermoiement tue la confiance et l’absence de réactivité repousse les investisseurs » a-t-il estimé, soulignant que pour relancer l’investissement, le pays doit agir sur la gouvernance en favorisant la prévisibilité des écosystèmes et la clarté des règles du jeu.
Pour lui, l’Etat doit jouer son rôle de régulateur et de facilitateur plutôt que celui d’entrepreneur.
Les investisseurs ont également besoin, selon Belhaj, d’une justice commerciale professionnelle et transparente qui gère efficacement les contentieux économiques.
*Avec Tap