Dans une autre grille de lecture, ce qui se passe en Tunisie depuis quelques jours dans une ambiance macabre est d’une banalité affligeante, tant il est toujours attendu de pareils évènements au cours du mois de janvier. L’habitude n’est même pas nouvelle. Elle date depuis des lustres et remonte même à l’ère Bourguiba. De nouveau cette année donc, quelques villes tunisiennes se font secouer par des manifestations nocturnes, comme un rappel par l’image, des manifestations de janvier 2011 qui avaient fait tomber le régime de Zine El Abidine Ben Ali.
Sur la page officielle d’Ennahdha, on préfère parler de l’enterrement de la femme du gouverneur de Tozeur. Sur la page officielle de Nidaa Tounes, on s’attarde encore sur son désengagement avec Ennahdha. Sur la page du Front Populaire de Hamma Hammami, c’est l’annonce d’une conférence de presse sur «la manière de faire front aux dernières augmentations» ou l’annonce d’un manuel de procédure de la fronde déjà promis sur le plateau d’Al Hiwar par le même Hamma. Sur sa page des réseaux sociaux, l’UGTT dénonçait encore l’augmentation des prix et appelle le gouvernement au respect de ses engagements, alors que le syndicat de la Steg préparait déjà une nouvelle grève demandant une nouvelle augmentation salariale.
«La situation économique et sociale du pays est très critique. Nous sommes assis sur un volcan. Pour la première fois depuis 2011, un sentiment d’instabilité, ce sentiment précurseur des révoltes existe à un degré très grave dans le pays», disait Saïd Aïdi sur sa page officielle, comme une Lapalissade.
Et l’ancien ministre de la Santé, comme le reste de l’opposition, de verser ensuite son fiel politicien sur le gouvernement de Youssef Chahed : «Il fait preuve de beaucoup de légèreté et ce n’est pas une politique basée principalement sur la propagande qui éliminera ce risque d’explosion sociale. Un gouvernement sans vision et à court d’idées, un gouvernement qui, jour après jour, se contente des effets d’annonce sans suite, un gouvernement incapable de négocier et de constituer une force de proposition et d’équilibre face à ses interlocuteurs nationaux et internationaux, un gouvernement dont la composition est le fruit de petits compromis et de grandes compromissions, un gouvernement qui est chaque jour un peu plus déconnecté de la dure réalité du citoyen. Ce gouvernement s’acharne à continuer sa politique de l’autruche et de fuite en avant alors que le pays est en ébullition». Un réquisitoire qui résume tous les reproches faits au GUN (Gouvernement d’union nationale) et que pourrait formuler chacun des opposants de Youssef Chahed et même ceux participant à son gouvernement. On en croirait presque le ministre des Affaires foncières, Mabrouk Korchid, qui s’étonnait que «les augmentations touchent les plus riches et fassent descendre les plus pauvres dans la rue pour protester» !
Cherchez une proposition ou un simple appel à manifester sans débordements pour éviter de retomber dans l’instabilité politique, vous ne trouvez cela nulle part et dans aucun communiqué, car il n’y en a pas, d’aucun parti politique. Cherchez aussi le son de voix d’un député de Nidaa Tounes ou d’Ennahdha qui dénoncerait ce dessein par la protestation, dite populaire et munie d’un slogan qui appelle à la mobilisation, vous n’en trouverez point. Cherchez l’ombre d’un de ces députés qui irait parler à ces manifestants pour en calmer les ardeurs et les rappeler à la raison dans un pays endetté jusqu’au cou et déficitaire jusqu’au trognon, vous n’en trouverez point. Tous suivent ce qui se passe dans un silence complice, perfide et félon.
C’est le cas d’ailleurs de presque toutes les composantes de la scène politique tunisienne, y compris les partis au pouvoir. Pourtant, les principales forces politiques, présentes à l’ARP, ont voté ou participé en décembre, avec plein d’imprécations, au vote des mesures de la loi des finances 2018, que tous contestent et remettent en cause en janvier. A croire qu’ils auraient laissé faire pour se donner l’alibi des manifestations et des grèves de janvier, dont ils espèrent la chute du gouvernement, et les raisons objectives de leurs demandes de son départ.
Saïd Aïdi comme les autres savent pourtant très bien que ni la société, ni l’économie du pays dont ils guettent les troubles annonciateurs de chute du gouvernant ne supporteraient une nouvelle explosion sociale et qu’ils seraient astreints eux aussi s’ils étaient à sa place aux mêmes compromis et compromissions. On ne choisit pas son peuple, mais on a les dirigeants qu’on mérite !