Kais Saïed a, enfin, nommé une Cheffe de gouvernement. Il aura ainsi amorcé le désamorçage de la crise politique, nationale et internationale aussi, tous les partenaires étrangers de la Tunisie ayant dernièrement mis l’accent sur l’urgence de ce pas pour la Tunisie.
En nommant une femme à la tête du gouvernement à constituer-déjà, pense-t-on, choisi par le chef de l’Etat qui avait un temps expliqué sa lenteur par le choix des CV des ministres- Saïed a aussi fait un énorme coup de pub, pour lui et pour la Tunisie, qui va lui permettre au moins de reprendre son souffle, avant la prochaine étape d’installation du système démocratique en pyramide inversée qu’il prépare depuis des lustres.
Nejla Bouden sera ainsi la 1ère femme à occuper un tel poste de responsabilité, dans tout le monde arabe, et la Tunisie intègrera ainsi le club des 21 cheffes d’Etat et de gouvernement dans le monde, où Mme Bouden sera certainement la 22ème. Saïed a certes été contre la parité hommes-femmes en héritage, mais il est ainsi loin d’être antiféministe comme semblait l’indiquer son orientation vers un islam rigoriste, où la domination de l’homme est indiscutable, et le pouvoir toujours phallocrate.
Mme Bouden sera, aussi, la 3ème personnalité choisie par le chef de l’Etat tunisien pour ce poste, après deux choix directs, d’Elyes Fakhfakh et de Hichem Mechichi, qui ont tellement viré de bord chacun pour ses raisons, qu’il avait fallu les débarquer d’urgence, et une nomination indirecte, celle de Habib Jemli, qui n’a jamais abouti.
- Un programme purement social, dicté par Saïed à son « assistante »
Elle sera, aussi, comme l’a précisé le chef de l’Etat, « cheffe de gouvernement jusqu’à la fin des mesures exceptionnelles ». Et donc une cheffe temporaire en CDD (Contrat à durée déterminée). Personne, y compris elle-même, ne sait jusqu’à quand le provisoire de Saïed va durer, et Nejla Bouden est juridiquement vouée (Ndlr : Article 8 du décret 177) à être l’assistante d’un chef d’Etat qui, comme le spécifie le chapitre 3 du décret Présidentiel n° 2021-117 du 22 septembre 2021 relatif aux mesures exceptionnelles, cumule tous les pouvoirs de l’Exécutif, oriente sa politique générale, préside le Conseil des ministres, exerce le pouvoir réglementaire, nomme et démet. Une cheffe de gouvernement donc, aux pouvoirs très limités. Et voici que, dès sa nomination, le chef de l’Etat lui dicte son programme d’action qui sera « l’éradication de la corruption et le Fassed en général, l’éradication du chaos que connaît l’Etat et beaucoup d’entreprises, et répondre aux revendications des Tunisiens de leurs droits naturels en santé, éducation, transport, et une vie digne en général ».
Aucun mot cependant dans ce vaste programme social que veut Kais Saïed, sur l‘économie et les finances, les moyens de faire redémarrer la machine économique, et les moyens de financer tout cela, à commencer par les lois de finances, de 2021 et 2022.
- 3 raisons pour la plaindre
Primo : Universitaire chez les grosses têtes de l’ENIT, et en charge d’un programme pour le compte de la Banque Mondiale où on estime généralement qu’elle fait bien le boulot, Nejla Bouden sera confrontée, dès la constitution du gouvernement, à l’ogre de l’UGTT.
Noureddine Tabboubi l’a déjà dit, il attend le nouveau gouvernement de pied ferme, pour relancer les négociations salariales et activer les conventions déjà signées au même titre des salaires. Confrontée, et de manière urgente, au défi de trouver de l’argent, en plusieurs milliards DT, pour boucler une loi de finance 2021 déjà déficitaire plus que prévu, et pour mettre en place une nouvelle LF pour un budget, appelé à être encore plus dispendieux. Si l’on comprend bien les directives sociales que le chef de l’Etat lui avait données ce mercredi 29 septembre à Carthage, la nouvelle Cheffe de La Kasbah aura peu, très peu d’alternatives pour bien cuisiner pour un peuple affamé et gourmet.
Puiser encore chez les banques, en DT et en devises ? Elles ont déjà assez donné, et cela risquerait d’assécher la place financière ? Aller encore prendre crédit à l’étranger ? Cela risquerait de coûter trop cher pour une Tunisie déjà plus que très endettée et encore appelée à rembourser (la Tunisie a déjà remboursé 10,5 Milliards des 15 Milliards DT dus pour 2021, et devra débourser 17 Milliards DT en 2022), le Spread ayant déjà anticipé à la hausse les risques d’impayés sur le papier tunisien.
Secundo : Cheffe de gouvernement en CDD, qui ne fait qu’assister le chef de l’Etat (Ndlr : L’article 8 du décret 117 dit clairement que le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République assisté d’un Gouvernement dirigé par un Chef du Gouvernement), Nejla Bouden aura certainement du mal à négocier avec un FMI qui voudra certainement discuter avec le décideur final les conditions d’un programme d’assistance financière qui nécessitera des décisions, hautement politiques, que seul le chef de l’Etat pourra prendre, et qui aura beaucoup de mal à le faire tellement « Achaab Yourid ».
Tertio : Gérer un chef d’Etat qui a tous les pouvoirs, y compris sur une Administration qu’elle est pourtant supposée diriger et fédérer, pour la bonne réussite de son programme et de sa mission. Gérer aussi un chef d’Etat, autiste politique et managérial, plus enclin à ordonner qu’à discuter et écouter l’autre, à l’exception d’un peuple dont il est désormais l’unique timonier sur une embarcation, de prime abord, vouée à tous les tumultes. Financiers s’il ne fait pas les réformes nécessaires, et sociaux s’il se décidait à les faire.
C’est pour tout cela que Nejla Bouden qu’on félicite par ailleurs et à qui on souhaite bon courage, reste tout de même une cheffe à plaindre dans une cuisine (La Tunisie) où tout est encore sens dessus dessous, et qui refuse de reprendre le travail avec plus d’ardeur tout en économisant ses moyens ! « Qui veut voyager loin ménage sa monture » dit le proverbe. Sauf que la cheffe de gouvernement ne dispose d’aucune des brides de cette monture. Ce n’est pas du défaitisme, c’est du réalisme !