Cherche bureau dans un immeuble parasismique au Centre de Tunis. Annonce bizarre, même à Tokyo, au Japon, où les nouveaux tours dont certains ont plus de 500 mètres de hauteur, sont faits pour résister aux séismes.
La question de la sécurité des constructions a été projetée, ces derniers jours, au devant de l’actualité, après le violent tremblement de terre ayant secoué le Sud de la Turquie et le Nord de la Syrie et détruit plus de 6000 immeubles et édifices en Turquie. Or, 9 millions sur les 17 millions d’édifices en Turquie sont des constructions parasismiques.
Cependant, il n’y a pas que les séismes qui guettent ce secteur, notamment en Tunisie où, dans maintes déclarations, la présidente du Conseil de l’Ordre des architectes en Tunisie, Leila Ben Jeddou, a multiplié, depuis quelques temps, les avertissements sur la détérioration de la situation du secteur du bâtiment et de la construction à divers plans.
Il y a quelques jours, elle a déclaré à des médias que le secteur de la construction en Tunisie agonise, annonçant avoir signé des décisions de fermeture de 26 projets pour migration à l’étranger des architectes qui en ont la charge. « L’Etat tunisien veut se transformer en Etat de retraités, a-t-elle dit à cette occasion, en allusion à l’exode massif des ingénieurs, architectes, médecins, informaticiens et universitaires tunisiens à l’étranger.
Déjà, en 2012, l’Ordre des architectes tunisiens a engagé une action en justice en référé au tribunal administratif pour annuler la mise en exécution du programme colossal de l’habitat social initié, grâce à des financements étrangers, par le gouvernement de la Troïka de l’époque, en violation , selon l’Ordre, des normes, des règlements de la construction et des lois organisant la profession d’architecte et d’ingénieur.
Depuis, architectes, ingénieurs, designers et autres intervenants mènent une lutte harassante contre les dérives de la construction immobilière en Tunisie, déplorant publiquement le silence des autorités, mais plus grave encore, leur participation à l’aggravation de la situation à travers l’adoption de législations et de règlements inappropriés.
Lutte harassante
L’opinion publique a été attentive, ces dernières semaines, aux mouvements de protestation virulents organisés par les architectes contre la loi de finances pour 2023 et le décret-loi numéro 2022-68 du 19 octobre 2022 relatif à l’amélioration de la réalisation des projets publics.
Ce dernier texte en particulier a été vivement critiqué, car il a institué la formule « clés en main » pour l’exécution des marchés publics concernant les projets de constructions civiles, conférant ainsi un pouvoir absolu au constructeur (entrepreneur) dans la réalisation du projet au détriment de ‘architecte devenu un simple collaborateur salarié de l’entrepreneur.
D’ailleurs, le combat des architectes tunisiens contre la formule « clefs en main » date depuis des années.
Aussi, ils sont allés jusqu’à faire des démarches afin que le président de la République ordonne la révision de ce décret.
La question concerne de grands projets en vue comme la Cité médicale et sanitaire de Kairouan.
D’après leur point de vue, l’architecte est soumis officiellement et administrativement à une déontologie, contrairement à l’entrepreneur.
S’agissant de la loi de finances pour 2023, l’Ordre des architectes l’a rejetée pour certaines dispositions jugées négatives et inopportunes dont celle relative au relèvement du taux de la TVA pour les architectes à 19%.
A cet égard, les architectes assurent que cette disposition et d’ autres similaires de la loi de finance pour 2023 va avoir de graves retombées sur le secteur du bâtiment en général, et sur celui de l’architecture d’une façon spéciale, et qu’il poussera les gens à éviter les services des architectes pour se retourner vers le non-formel.
Dépassements de tout genre
En effet, selon les architectes, leur profession et le secteur de la construction en général sont littéralement infectés par les intrus et l’informel, dans l’absence totale du respect des normes et du règlement.
Des échos, assez documentés, de cet état sont donnés fréquemment par des figures connues du secteur à travers des articles de presse dont Ilyès Bellagha, président de l’Association « architectes citoyens » ou encore l’ex président de l’Ordre des architectes Sahby Gorgi.
Mahmoud Gdoura, ancien directeur général de l’urbanisme au ministère de l’Equipement, a écrit déjà, il y a quelques années, sur les colonnes d’un média tunisien, un article intitulé « la corruption urbanistique ».
Dans un article beaucoup plus récent, Ilyès Bellagha a écrit : « à Tunis, des voies projetées par le Plan d’aménagement urbain n’ont pu être ouvertes faute d’emprises; celles-ci ont été occupées par des constructions quelques fois autorisées. Mais, les transformations d’usage (du résidentiel au commercial par exemple),de façon illégale, portant ainsi atteinte au droit des tiers, de villas donnant sur de grandes voies, en locaux commerciaux, salons de thé, salles de jeux, écoles ou lycées privés, .. ne sont plus des exceptions et leurs promoteurs ne se sont jamais inquiétés. Les dépassements urbanistiques, genre rajout d’un étage, empiétement sur la zone de retrait ou les trottoirs, non réservation de places de parking, etc, deviennent assez fréquents.
A Sfax ajoute-il , cela s’est produit le long des radiales (routes de Tunis, Mahdia, Teniour, Gremda, Lafrane, El Ain, etc) et beaucoup plus fréquemment dans le quartier central de «Sfax Al Jadida» où le plan initial de la zone de 1977 a été totalement défiguré, à en juger par la multiplication du CUF (Coefficients d’Utilisation Foncière) par 2 et 3 donnant lieu à des immeubles de R+8 et R+9 au lieu de R+3 et R+4 prévus initialement ; d’où la sur-densification de cet espace central ».
Ces derniers temps, l’Ordre des architectes a constaté le lancement de plusieurs appels d’offres pour la réalisation de projets publics, ne respectant pas les règlements, notamment la non participation de l’Ordre à la fixation des conditions du déroulement des concours d’architecture en lien avec ces projets et demandé, à chaque fois, aux architectes de ne pas se présenter à ces concours.
Jusqu’à ce jour, selon un rapport officiel, seulement environ 50 plans d’aménagement urbain de villes et autres localités ont été révisés, comme le stipule le règlement, sur quelques 440 plans au total.
S.B.H