AccueilLa UNEBourguiba au secours de la démocratie et des démocrates!

Bourguiba au secours de la démocratie et des démocrates!

Auréolé le 1er juin 1955, lors de son retour triomphal, boudé en août après celui, tout aussi triomphal de son rival Salah Ben Youssef, pour être rétabli dans son leadership en novembre, à la faveur du congrès du Néo-Destour de Sfax, Habib Bourguiba sera installé définitivement dans un pouvoir sans partage avec la proclamation de la République, le 25 juillet 1957, et finalement désigné président à vie le 18 mars 1975. Oublié par ses contradicteurs et par les siens, entre sa destitution en novembre 1987 et sa mort en avril 2000, mais vite ressuscité, lors de ses obsèques, plutôt par une opposition démocratique et de gauche en quête de leader et à la recherche de sujets qui fâchent avec Ben Ali qui a longuement malmené le Combattant Suprême et lui a organisé des obsèques à la sauvette.

Eludé par les uns et attaqué de front par les autres depuis janvier 2011, son œuvre a été le plus souvent assimilée de la part des radicaux de la Révolution à de la corruption et de la répression qui auraient entaché l’Etat moderne dont il est le principal bâtisseur. La campagne électorale d’octobre 2011 l’a pratiquement passé sous silence, ne l’ayant jamais cité en termes positifs. Il aura fallu attendre l’appel lancé par Béji Caïd Essebsi (BCE), le 26 janvier 2012, à la troïka en vue de mettre fin à son usurpation du pouvoir en transformant le mandat de Constituante en mandat de pouvoir, pour que Bourguiba soit regardé avec plus d’aménité. En fait, BCE avait anticipé le combat avec les islamistes en intégrant la figure de Bourguiba et son projet de société dans la lutte qu’il a engagée pour « rétablir l’ordre des choses ».

D’ailleurs, le processus de création de Nidaa Tounès, mis en branle pratiquement lors du meeting de Monastir, le 24 mars 2012, s’est accompagné de la redécouverte de l’œuvre du Père de la Nation et de la pertinence du projet de société conçu par les réformateurs tunisiens et initié par Bourguiba. L’opinion découvrira progressivement que les islamistes veulent déchiqueter ce projet de société auquel les Tunisiens ont adhéré depuis le mouvement national, pour le remplacer par un autre importé du Moyen-Orient et du Golfe arabique. La gauche, sensible à ces thèmes, se les approprie et les développe tout en défendant ardemment ceux qui représentaient ce projet de société, taxés, pour l’occasion, de symboles de l’ancien régime. D’ailleurs, l’histoire retiendra que les démocrates et la gauche ont défendu avec conviction Nidaa Tounès, proclamé, samedi 16 juin 2012, par BCE et les autres formations destouriennes créées dans la foulée, comme composantes du projet moderniste, sans préjuger des délits ou reproches qui peuvent être faits aux Rcédistes ou Destouriens pour leur engagement antérieur.

Les positions politiques de plus percutantes ont besoin d’un background théorique et d’un ancrage historique. Et cette mission ne peut être menée à bien que par les chercheurs et les théoriciens de la gauche : ils avaient élaboré leur travail de manière assidue et régulière, dans l’espace académique, depuis au moins deux décennies, mais l’urgence politique a encore aiguisé leur éveil et leur agilité, les plaçant une nouvelle fois en éclaireurs. Ils étaient les mieux outillés parce qu’ils étaient bien proches de l’évolution de l’opinion de la société et assez préparés pour négocier le virage politique et idéologique sans complexe ni rancune, eux qui avaient pourtant combattu le despotisme de Bourguiba et enduré privations, prisons et exil lors de son règne.

S’accommodant des nouvelles réalités politiques, le Laboratoire du Patrimoine de l’Université de la Manouba dirigé par Abdelhamid Larguèche et l’Observatoire Tunisien de la Transition Démocratique animé par Hamadi Rédissi, symbolisant tous les deux la culture de la gauche dans le milieu académique et sur la scène politique, ont organisé les 2 et 3 août 2014, un colloque ayant pour thème : «Bourguiba, le Retour?». Abdelhamid Larguèche, qui a introduit le colloque en posant une série d’interrogations dont la plus essentielle : pourquoi revisiter Bourguiba ?, a laissé entendre que c’est l’actualité de ce dernier qui incite les chercheurs à s’y atteler, car l’ombre de Bourguiba plane toujours sur le pays et sur son paysage politique.

Cherchant à trouver une réponse à l’actualité de Bourguiba, Hamadi Rédissi, relève que le leader tunisien incarne trois valeurs : le nationalisme (par opposition à l’allégeance à l’étranger), le sens de l’Etat (face au délitement des institutions) et l’islam modéré (miné par le fanatisme et l’extrémisme). Et à la question de savoir si le bourguibisme est une pensée, Rédissi répond par l’affirmative, recommandant, à cet effet, de faire la distinction entre l’homme (dont la carrière est controversée) et l’œuvre.

Partant du « Testament intellectuel de Bourguiba» écrit en 1975 et remis confidentiellement à Ezzeddine Guellouz, au début des années 1980, alors directeur de la Bibliothèque Nationale, Abdelhamid Larguèche affirme que ce document est « un mélange d’humanité, du sens des réalités, de la reconnaissance et de l’éthique d’un homme qui maîtrisait les grandes questions de son époque ».

Dans un style condensé et presque lyrique, Larguèche souligne :« Pris comme un discours de la « vérité », écrit dans un style serein, Bourguiba s’y adonne à une relecture de son propre itinéraire, de celui de son pays et de son peuple. Le nationalisme n’est pas un fanatisme, et l’histoire politique doit se lire de manière cumulative permettant d’apprécier l’apport de chaque génération. Le fait national est un fait principalement urbain et citadin » .Et Larguèche d’ajouter que Bourguiba réhabilite dans son testament les précurseurs, y compris ceux qu’il a jadis combattus, et voit dans cette démarche une «autocritique» à la quelle il se livre, reconnaissant humblement qu’il n’était pas seul à construire l’édifice dont il s’enorgueillît toujours.

Pour élucider l’œuvre de Bourguiba en matière de libération des femmes, Dalenda Bouzgarrou-larguèche a procédé à une confrontation intellectuelle entre le leader et son précurseur, Tahar Haddad . Les deux hommes qui appartiennent à la même génération et se réclament des mêmes idéaux de réformisme social radical, divergent quant au contexte de l’action et la hiérarchie des valeurs. Pour Haddad, en intellectuel révolté, la priorité est donnée à l’opposition à la mauvaise tradition qui maintenait la société tout entière dans les abîmes, alors que Bourguiba, lui, désignait tout simplement les limites de cette vérité dans les conditions d’asservissement colonial. Partant du fait que le politique est le niveau et le point nodal de tout processus de délivrance de la société entière, Bourguiba ne voit point de salut et de refonte de l’édifice social sans libération politique et sans souveraineté. A la foule qui criait «vive Bourguiba», après la promulgation le 13 août 1956, du code du statut personnel, il répondait humblement, «dites : vive Haddad», réhabilitant ainsi Haddad, une fois la femme libérée dans le cadre d’une société nouvelle et indépendante.

Les rapports de Bourguiba avec l’islam sont abordés par Asma Nouira et Alaya Allani, qui ont démontré que Bourguiba a mis en œuvre une conception de l’Etat et du modèle social interdisant tout usage abusif du religieux en société comme dans la gestion du politique. Cette approche l’a amené à placer l’islam dans une position d’interface entre l’espace privé et un espace public aménagé par l’Etat en conformité avec les choix modernistes. Evoquant le lourd malentendu entre le leader et les islamistes et les confrontations successives de l’Etat bourguibien avec l’islam politique, les deux conférenciers y ont vu une suite logique de cette opposition entre deux modèles, celui bourguibien de l’Etat civil aménageant l’espace religieux et le projet islamiste, considéré dans la vision bourguibienne comme un contre-projet de société et d’Etat.

La genèse et la construction de la politique internationale bourguibienne ont été analysées par l’historien Hédi Jalleb, qui a retracé les grandes étapes de l’approche du leader appliquée à un paysage international mouvant dont la dynamique n’est pas toujours saisissable. Du non-alignement de Bandung au célèbre Discours de Jéricho, Bourguiba apparaît comme l’homme des compromis historiques, de l’attachement à la légalité internationale et des solutions pacifiques des conflits coloniaux et postcoloniaux.

La question identitaire a été abordée par l’historien Saïd Bhira qui a montré comment Bourguiba faisait sur le long terme la lecture de l’émergence d’une entité tunisienne, territoriale d’abord, mais aussi culturelle et sociale, faisant du pays une entité à part, mais participant des grands ensembles, maghrébin, arabe et méditerranéen.

Aboussaoud Hmidi

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