Manifestement, l’accord sur la migration conclu en juillet dernier entre la Tunisie et l’Union européenne a pris les allures d’une pomme de discorde au sein même de l’UE avec comme protagonistes la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le chef de la politique étrangère de la CE, Josep Borrell, et la Première ministre d’Italie, Giorgia Meloni.
C’est Borrell qui a déclenché les hostilités dans une lettre datée du 7 septembre, consultée par The Guardian, où il affirme que « plusieurs États membres ont exprimé leur incompréhension concernant l’action unilatérale de la commission concernant la conclusion de ce [protocole d’accord] et leurs inquiétudes concernant certains de ses contenus ».
Dans cette missive adressée au commissaire européen pour les pays voisins, Olivér Várhelyi, il ajoute que les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont « constaté que les étapes appropriées de la procédure d’adoption n’avaient pas été suivies » par la commission et que, par conséquent, le protocole d’accord ne pouvait pas être « considéré comme un modèle valable pour de futurs accords ».
On ignore pourquoi Borrell a écrit cette lettre deux mois après la signature de l’accord, mais il semble qu’il s’agisse d’une tentative de garantir qu’un accord similaire ne soit pas répété avec d’autres pays d’Afrique du Nord sans une consultation appropriée avec les États membres. Sa lettre rappelle un précédent conflit très médiatisé entre la Commission et les États membres concernant un accord précipité avec la Suisse sur un autre sujet.
Dans une attaque contre Giorgia Meloni et son homologue hollandais, Mark Rutte, Borrell souligne que « la participation aux négociations et à la cérémonie de signature d’un nombre limité de chefs de gouvernement de l’UE ne compense pas l’équilibre institutionnel entre le Conseil et la Commission ».
Une flottille de 17 navires pour la Tunisie
La lettre a été écrite quelques jours avant la visite dimanche de Von der Leyen et Meloni à Lampedusa qui, selon Rome, a été submergée par les arrivées en provenance de Tunisie.
L’accord visait à lutter contre les bandes criminelles qui dirigent les opérations de contrebande et à renforcer les contrôles aux frontières ainsi que les opérations de recherche et de sauvetage. Cependant, depuis la signature de l’accord, le nombre de personnes traversant la Tunisie vers l’Italie a augmenté de près de 70 %, même si les experts ont souligné que le mauvais temps en mai signifiait qu’une augmentation était inévitable en juin et juillet, lorsque la mer était plus calme.
Il n’en demeure pas moins que l’accord a été mené par Meloni mais, hormis l’objection de Borrell, il semble être soutenu par le reste de l’Europe, où la migration est considérée comme une question cruciale lors des élections, en particulier celles qui se profilent en Pologne et aux Pays-Bas.
Aucun argent n’a encore changé de mains en Tunisie, mais l’UE a déclaré ce week-end que des efforts visant à aider à maintenir la frontière étaient en cours, notamment le réaménagement de 17 navires destinés aux autorités tunisiennes pour des opérations de recherche et de sauvetage.
Meloni vs Von der Leyn
Un autre conflit est venu se greffer, le weekend dernier, sur ce contentieux, opposant cette fois-ci la Première ministre italienne Giorgia Meloni et la chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les priorités de la première citée sont de bloquer les départs, par le biais d’une mission navale européenne, et d’accélérer les rapatriements, tandis que Von der Leyen, a souligné la nécessité de voies légales et de couloirs humanitaires pour vaincre les trafiquants. C’était lors d’une conférence de presse conjointe à Lampedusa, où Meloni, plutôt que d’invoquer la souveraineté et les solutions nationales, comme par le passé, a appelé à des solutions européennes. Elle a proposé une vision d’une Europe forteresse, réaffirmant que la question n’est pas de savoir comment redistribuer les migrants au sein de l’UE mais comment mettre un terme aux départs illégaux.
Dans un compte rendu livré par Euractiv, elle a également appelé à davantage d’accords avec les pays d’Afrique du Nord sur le modèle tunisien et a demandé à l’UE de soutenir le budget tunisien même sans un accord entre la Tunisie et le Fonds monétaire international.
Meloni a également proposé une mission navale européenne non pas pour sauver les migrants mais pour lutter contre les passeurs et arrêter les départs. Elle a également appelé à des instruments européens plus efficaces pour les rapatriements, ainsi qu’à une plus grande implication de l’ONU et a annoncé que l’Italie prolongerait la durée de garde des migrants à rapatrier à 18 mois, le maximum légal selon les normes européennes, et que le ministère de la Défense apporterait son aide à la construction des installations nécessaires.
Un plan d’action en 10 points
Von der Leyen a souligné, pour sa part, l’excellente coopération avec l’Italie et a réitéré que la migration est « un défi européen qui nécessite des solutions européennes », basées sur « la solidarité et l’unité ». Elle a ajouté en italien que « l’Italie peut compter sur l’Union européenne ».
Cependant, elle a essentiellement rejeté la vision de Meloni, en proposant un plan d’action en 10 points. Son objectif était autant de sévir contre les trafiquants que de gérer les migrations, en créant des routes légales et des couloirs humanitaires pour protéger les migrants et vaincre les passeurs. Elle a appelé à une approbation et une mise en œuvre rapides du Pacte sur la migration et l’asile ainsi que de son plan d’action.