AccueilLa UNEGhannouchi parvient-il à convaincre de la mutation de son parti ?

Ghannouchi parvient-il à convaincre de la mutation de son parti ?

Que veut le Tunisien après le concordat du Dialogue National (DN), Il veut retrouver les conditions d’être en paix avec soi-même, avec son environnement, avec la société dans laquelle il vit et avec les institutions de l’Etat.

Pour ce faire, il veut être rassuré sur ses acquis politiques et sociaux et sur le type de société que les Tunisiens ont choisi depuis l’Indépendance, et il veut voir le modèle de développement, adopté jusque-là, revu de manière profonde pour qu’il réponde aux attentes de la jeunesse et des régions intérieures.

Le silence du parti au pouvoir se prolonge sur ces thèmes, mais son président Rached Ghannouchi , commence à parler aux médias étrangers, après un long mutisme.

Au moment du grand blocage de la situation politique dans le pays et de la recrudescence du terrorisme, ces derniers mois , Rached Ghannouchi a cessé de s’adresser aux médias locaux , préférant accorder des interviews ou écrire des articles dans les médias étrangers , ciblant un public non averti ou acquis d’avance aux thèses islamistes . Et voici, après les dernières avancées du  DN, qu’il  se déploie dans plusieurs médias occidentaux ,cette fois, pour parfaire l’image de son parti qui se présente déjà comme une formation qui a cédé le pouvoir de plein gré , pour favoriser le consensus national . L’interview du jeudi 25 décembre 2013 à France 24, aborde la conjoncture politique , le processus du DN , et l’épilogue de la phase transitoire qui devrait se présenter sous un angle heureux , et son couronnement certain par la célébration solennelle, le 14 Janvier 2014 , de la passation entre l’ancien et le nouveau gouvernement , la signature de la constitution et l’annonce de la date des prochaines élections .

L’interview que le président d’Ennahdha a accordée, le même jour , à Gérard Haddad ,du Nouvel Observateur ,revêt un autre caractère . Son contenu se hisse à un niveau beaucoup plus élevé, en exposant la vision stratégique que se fait le parti islamiste du type de société qu’il veut ériger, du modèle de développement qu’il s’apprête à mettre en œuvre et de la nature des rapports qu’il compte entretenir avec les autres formations politiques.

Le journaliste intervieweur ne cache pas sa surprise d’entendre Rached Ghannouchi lui dire que ce sont les pays scandinaves qui inspirent son parti, puisqu’ils illustrent le meilleur exemple de sociétés qui allient démocratie et justice sociale. Voulant aller au-delà de ce constat heureux , mais jusque-là inexplicable , le journaliste pose la question à Rached Ghannouchi pour s’enquérir sur la mutation idéologique, voire théologique sur laquelle repose ce changement politique .Mais la réponse du leader nahdhaoui reste évasive , se contentant de dire que cela s’explique par la prise de conscience du non antagonisme entre l’islam et la démocratie, sans spécifier si ce sont les islamistes qui ont pris conscience de cette vérité pour se comporter dorénavant en démocrates ou est-ce que ce sont leurs partenaires libéraux et de gauche qui ont découvert cette vérité pour, soit se convertir à la démocratie « réelle  » du parti islamiste, soit admettre tous ses agissements violents et antidémocratiques , qui émanent de cette nouvelle démocratie de Monsieur Jourdain qu’ils sont en train de vivre sans s’en rendre compte .

Ce n’est que quelques instants plus tard que l’on réalise que ce schéma est de l’ordre de la projection et du souhait , car Rached Ghannouchi affirme que son parti veut faire de la Tunisie un modèle de démocratie musulmane, et qu’il veut être comparé aux partis chrétiens-démocrates qui existent en Europe, sans toutefois démontrer le lien entre la social-démocratie nordique et la démocratie -chrétienne plutôt germano-latine.

A la question portant sur les liens entre Ennahdha et les frères musulmans qui mettent l’accent sur la notion d’Oumma, la communauté des musulmans , le leader d’Ennahdha apporte une réponse tout aussi évasive : » Non, nous sommes Tunisiens, et notre seule préoccupation est le développement de notre pays, la Tunisie » sans autre précision qui expliquerait l’engagement des Nahdhaouis aux côtés des Frères Musulmans dans leur conflit avec la société et l’armée en Egypte , ni leur alignement sur les positions du Hamas dans sa guerre avec l’Autorité Palestinienne .

La réponse donnée par Rached Ghannouchi aux inquiétudes suscitées par la notion  » al-tadafu al-ijtimaï « , épinglée par les observateurs étrangers, qui renvoie au schéma marxiste de la lutte de classe, ne rassure guère : » Je voulais pointer par cette expression que la société tunisienne n’est pas homogène, lisse, qu’il y a en elle des forces antagoniques qu’on voudrait nier. Je voulais pointer ce fait occulté du discours politique et proposer que ces conflits trouvent leur solution dans le dialogue » dit-il , préférant rester dans la théorie sans la moindre référence à la réalité sur le terrain qui a abouti à la mort de Lotfi Naggadh par les Ligues de la Protection de la Révolution (LPR),aux agissements de la jeunesse estudiantine d’Ennahdha à l’Université , et à toutes les formes de violences verbales et physiques contre les opposants au parti islamiste .

Les déclarations de dirigeants nahdhaouis qui s’attachent à mentionner la référence de la Chariâa comme source principale de la législation, ne cachant pas leur opposition aux accords sur les orientations de la constitution, il les place dans le cadre de la diversité des courants au sein d’Ennahdha et de la ferveur religieuse de certains jeunes : «Comme tout parti démocratique, notre parti comporte différents courants. Mais, en dernier ressort, ce sont nos instances dirigeantes qui statuent à la majorité. Toute position autre que celle de nos instances doit être considérée comme une opinion personnelle ».

La complémentarité entre hommes et femmes, avancée comme thème majeur dans la constitution, a été retirée sitôt qu’Ennahdha s’est aperçue qu’elle a été incomprise : « Nous avons été mal compris. Nous voulions souligner que femmes et hommes sont complémentaires l’un de l’autre. Devant cette incompréhension, nous avons retiré cette proposition. Tout cela est derrière nous. Aucune modification ne sera apportée au code du statut personnel «, affirme-t-il , sans évoquer l’acharnement des dirigeants de son parti à faire passer l’article en question .

Rached Ghannouchi met en valeur l’acceptation de son parti de l’article premier de la constitution de 1959 , et l’utilise doublement , une première fois pour rassurer les occidentaux que les fondamentaux de la société choisie par les Tunisiens après l’Indépendance sont toujours d’actualité , et une deuxième fois pour prouver à ces mêmes occidentaux que l’héritage de Bourguiba ne fait pas l’objet d’attaques malveillantes de la part des islamistes . Seulement, une vidéo diffusée, en octobre 2012, a montré Rached Ghannouchi expliquer à ses interlocuteurs Salafistes que cette formulation du l’article premier de la constitution de 1959 suffit aux islamistes de tous bords pour instaurer l’Etat islamiste qu’ils prêchent.

Ne ratant pas l’occasion pour banaliser Bourguiba et le priver du rôle exclusif qu’il avait joué dans l’instauration de la modernité en Tunisie, Ghannouchi affirme à son interlocuteur : » Vous oubliez qu’au temps de Bourguiba il y avait déjà les yousséfistes, la gauche du groupe Perspectives, les nationalistes nassériens, les syndicalistes de Habib Achour», insinuant que le projet de Bourguiba était un parmi tant d’autres .

Il présente le rétablissement des Habous non pas comme un retour à l’ordre antérieur à l’indépendance, mais comme un choix d’efficacité d’inspiration anglo-saxonne : »Là aussi, on me fait un mauvais procès « , affirme Ghannouchi . « J’ai proposé de reprendre ce qui se fait dans les pays anglo-saxons sous le titre de fondations : Ford, Rockfeller, Bill Gates… Ces fondations jouent un rôle considérable aussi bien dans le développement des sciences que dans la philanthropie.

Abordant le judaïsme tunisien en disparition et la situation des Juifs tunisiens, Rached Ghannouchi n’a l’air de saisir cette présence que sous l’angle de l’investissement qui devrait accompagner le retour de la stabilité et les juifs avec : »Quand la Tunisie aura retrouvé sa stabilité et sa croissance économique, elle attirera les investisseurs et parmi eux, il y aura des juifs ».

Ce sont là les thèmes majeurs de cette interview qui devraient annoncer la mutation de l’islam politique en Tunisie après les accords qui concernent le DN . Mais on s’aperçoit que Rached Ghannouchi ne parvient pas à convaincre de l’avènement d’une chose qui n’a pas eu lieu. Et Ennahdha qui reste sur ses convictions, ses pratiques et ses habitudes, se prête à un jeu qui ne convainc personne en Tunisie , mais qui finit par décevoir ceux des étrangers qui y croient .

Aboussaoud Hmidi

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