AccueilLa UNELa Révolution, une déprimante désillusion !

La Révolution, une déprimante désillusion !

La Révolution a tellement brouillé les pistes que les Tunisiens en sont arrivés à s’emmêler les pinceaux dès lors qu’il s’agit de savoir quand elle a éclaté et à quelle date faut-il la célébrer. Il y a  ceux qui s’accrochent au 14 janvier 2011 et les autres dont beaucoup d’iconoclastes qui plaident pour le 17 décembre 2010, date à laquelle Mohamed Bouazizi s’est  immolé par le feu. L’actuel président de la République, Kais Saied, se rallie ardemment à cette occurrence par bien des côtés historique sans cependant  prendre la peine de se rendre, en ce jour  à Sidi Bouzid pour les besoins de la commémoration comme il en avait manifesté l’intention et fait officiellement l’annonce.

Il est vrai, comme le relève le journal londonien « The Guardian », que dix ans après son acte de désespoir, Bouazizi est passé de mode en Tunisie, tout comme la révolution que sa mort a inspirée. Certes, la  Tunisie est une démocratie. Elle a résisté aux assassinats, aux attentats terroristes et aux abîmes idéologiques de ses dirigeants, à des moments cruciaux où elle s’est retirée du précipice du retour à un régime autoritaire, comme ce fut le cas en Égypte, et de la guerre civile, comme en Syrie, au Yémen et en Libye. Mais  les Tunisiens  sont malheureux et désillusionnés. Ils rejoignent des groupes jihadistes qui sont parmi les plus nombreux par habitant de tous les pays du monde et constituent la majorité des migrants par bateau vers l’Italie cette année.

Pour la plupart d’entre eux, la révolution a été vécue comme une baisse du niveau de vie. La croissance économique a diminué de plus de moitié depuis 2010, et le chômage est endémique chez les jeunes, qui représentent 85 % des chômeurs. « Rien n’a changé », affirme  un témoin oculaire  qui a vu depuis son kiosque en face de la route Bouazizi dévoré  par les flammes après que ses produits et sa brouette ont été confisqués. « Les choses vont de mal en pis ».

Une expérience démocratique brève voire inexistante

Les fruits de la révolution sont les plus évidents au Palais du Bardo, où les manifestants organisent des sit-in et où les  députés  se chamaillent sous la coupole ornée de feuilles d’or. La fusion facile des époques et des cultures qui constitue la Tunisie moderne est citée comme l’une des raisons pour lesquelles elle a soutenu une expérience démocratique qui, ailleurs, a été de courte durée ou inexistante. Les analystes soulignent également sa petite armée apolitique et une société civile qui a trouvé les moyens de s’épanouir malgré l’autoritarisme, donnant du lest à la nation lors de la chute de Ben Ali.

La géographie a aussi été d’un secours conséquent « La Tunisie a toujours été en quelque sorte éloignée du centre de gravité du monde arabe et était moins importante en raison de sa taille et de son manque de ressources naturelles », explique Safwan Masri, chercheur principal à l’université de Columbia. « Elle était marginalisée par le reste du monde arabe et n’était pas significative en termes de jeux géopolitiques plus importants ».

D’autres soutiennent que le caractère unique de la Tunisie est exagéré et que, dans des moments où elle aurait pu facilement suivre le chemin d’autres États arabes du printemps, elle a été sauvée par de sages décisions. Il y avait Ouided Bouchamaoui, l’ex présidente de l’Organisation patronale tunisienne et lauréate  lauréat du prix Nobel. Au milieu de l’année 2013, la querelle entre le parti islamiste Ennahdha et les laïques a gelé les discussions sur une nouvelle constitution. Lorsque deux dirigeants de gauche ont été assassinés par des djihadistes présumés, la ville de Tunis s’est remplie de manifestants enragés. Un mouvement similaire en Égypte venait de faire tomber le gouvernement des Frères musulmans, dont les partisans ont été massacrés dans les rues. « Croyez-moi, après le premier [assassinat], puis le second, nous avions peur de perdre notre révolution », dit Bouchamaoui, citée par le Gaurdian. « Cela aurait été une guerre civile, ou la confusion partout, et nous aurions été comme la Libye.

Avec trois autres leaders de la société civile, Bouchamaoui a demandé aux antagonistes politiques du pays de s’asseoir autour d’une table pour des négociations de dernière minute. « Pour être très franche avec vous, ce qui nous a aidés, c’est la situation en Egypte », dit-elle. « Ennahdha avait peur que nous ayons la même situation ici ».

Mais le quartet devait également persuader les opposants aux islamistes qu’ils ne pouvaient pas simplement les exclure du système. « La démocratie, c’est accepter les autres », se souvient Bouchamaoui en racontant aux dirigeants de l’opposition récalcitrants. « Nous ne pouvons pas demander la démocratie et ensuite dire que nous ne sommes pas d’accord avec les résultats des élections. C’est ça la démocratie ».

Leur succès a ouvert la voie à des élections libres successives et a valu à Bouchamaoui et à ses collègues le prix Nobel de la paix en 2015. Mais des années de lutte pour l’identité tunisienne ont laissé peu d’oxygène pour résoudre les problèmes économiques qui ont alimenté la révolte.

Une démocratie de forme

L’argent étranger met également en péril le mouvement de la démocratie. « Nous avons vu beaucoup d’investisseurs partir à l’étranger, en regardant des destinations  comme le Maroc ou l’Égypte qui i ont la même main-d’œuvre qualifiée et bon marché, mais avec moins de problèmes, moins de revendications sociales », déclare Youssef Cherif, directeur du Centre de Tunis de l’Université Columbia.

La stagnation se nourrit d’une nostalgie croissante de l’ancien régime, incarnée par le populiste de droite Abir Moussi, un avocat et député qui évoque la « stabilité » de l’ère Ben Ali et bénéficie d’une couverture amicale sur les chaînes d’information saoudiennes et émiraties.

Hichem Amri, un activiste social, affirme que la démocratie tunisienne ne souffre pas d’une incompatibilité fondamentale avec l’islam, ni d’une quelconque tension autoritaire dans la politique arabe. Il s’agit plutôt, dit-il, de quelque chose qui a commencé à résonner plus fort à Washington et à Londres au cours des dix dernières années : le sentiment que la démocratie telle qu’elle est pratiquée ne fonctionne que pour une élite à Tunis et sur la côte, sans s’étendre suffisamment loin dans des communautés comme Sidi Bouzid pour donner aux gens un droit de regard sur les forces qui façonnent leur vie.

« Il y a une démocratie de forme et une démocratie de profondeur. En Tunisie, nous pratiquons la démocratie de forme », dit Amri. « Partout dans le monde, le fossé entre les élus et les citoyens est énorme. Et la Tunisie fait partie de ce monde ».

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