Le dinar tunisien se signale par une paradoxale stabilité, alors que tous les indicateurs économiques et financiers du pays dégringolent vers les abysses.
L’ex gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mohamed Ali Daouas promène un regard expert sur ce miracle de la monnaie national :
Ce qui est frappant depuis le déclenchement de la crise sanitaire, c’est la relative stabilité des monnaies. Contrairement aux marchés d’actions et d’obligations qui ont connu des fluctuations très violentes, les taux de change n’ont pas beaucoup bougé. En général, dans une crise, chaque pays ou chaque zone économique encaisse les chocs différemment et l’évolution des cours de change reflète ces différences. Dans cette crise, les cours des devises sont restés relativement stables parce que les différents pays ou zones économiques ont été touchées presque de la même façon. Ceci s’explique aussi par le fait que toutes les banques centrales et tous les gouvernements ont réagi également de la même façon. Mais, l’euro, la monnaie contre laquelle s’échange le dinar le plus souvent, s’en tire plutôt bien. Il n’a pas baissé par rapport aux principales autres devises (USD, YEN, etc.) alors que certains pays de la zone euro comme l’Italie ou l’Espagne ont subi de plein fouet la crise sanitaire. L’euro se paie même le luxe de se renforcer un peu par rapport au dollar américain, parce que cette crise a renforcé la zone euro, d’abord, par l’action immédiate et massive de la banque centrale européenne (BCE), mais surtout par le revirement ultra pro-européen de l’Allemagne. Celle-ci n’a pas résisté, comme en 2008, à une politique ultra-laxiste de rachat par la BCE de dettes de pays en difficulté, elle a même accepté de faire sauter le dogme de la limitation du déficit budgétaire à 3%, et elle s’est même placée en pointe sur le projet de fonds de relance européen. Une zone euro soutenue par l’Allemagne, c’est un élément rassurant pour les investisseurs et donc de soutien pour l’euro.
En Tunisie, le dinar connaît une longue période de quasi stabilité alors que le pays a cessé d’être gouverné depuis plus d’une année (la dernière campagne électorale) et vit actuellement une nouvelle crise politique sans précédent. Ses principales institutions sont à l’arrêt. Ses fondamentaux économiques sont tous au rouge : une croissance de -6,5% est prévue d’ici la fin de l’année, le déficit budgétaire atteindrait 7%, le taux d’endettement flirterait avec les 90%. Des démarches ont déjà été amorcées avec certains créanciers pour rééchelonner une partie de cette dette. Et contrairement aux autres pays qui ont renoué avec la croissance grâce aux divers plans de relance, nationaux et régionaux, nos entreprises, aussi bien publiques et privées, sont laissées à leur propre sort (aucun plan concret d’assainissement ou de relance). Le secteur touristique est totalement sinistré. Après la production de phosphate, c’est au tour de celle du gaz de s’arrêter. L’investissement est en déclin, l’importation de biens d’équipement, de matières premières et de produits semi-finis est en chute. C’est ce qui explique l’amélioration de nos avoirs en devises et la baisse continue des demandes de liquidités des banques auprès de la banque centrale. Le taux de chômage est à son niveau historique le plus élevé (près de 2/5 de la population âgée de 15 à 29 ans, selon le CDG sortant). De tous ces facteurs, il n’y pas un seul facteur qui plaide pour la stabilité du dinar.
Mais plus dure sera la chute!
Rdv à la lecture des résultats de la saison touristique.