Vingt jours après le vote de confiance à l’ARP pour les 11 nouveaux ministres du gouvernement Mechichi, les positions des trois protagonistes ne changeaient toujours pas. Ennahdha, qui croyait faire sa guerre de Troie par le biais de Hichem Mechichi, en bourrant le ventre du pouvoir qu’elle donnait l’impression de délaisser, par un chef de gouvernement honni par son parrain, et qui a dû se trouver une nouvelle ceinture politique pour son gouvernement, pour le reconquérir.
Vingt jours durant, les positions se durcissaient, murant les uns et les autres dans le déni des effets, économiques et financiers de cette crise constitutionnelle. Une crise aussi, où presque le moitié d’un gouvernement ne sait plus ce qu’elle doit faire, ni complètement « mariés, ni définitivement divorcés ».
– L’absurde Eureka de Mechichi
Certains, comme le ministre de la Santé, continuaient à exercer dans ce qui ressemble à un cabinet de gestion des affaires courantes. Pour d’autres, le cœur n’y était plus. D’autres encore, le super-ministre de l’Economie notamment, bouge dans tous les sens, essayant vainement de combler le vide d’un chef qui a d’autres chats à fouetter que de s’occuper du FMI qui ne sait plus sur quel pied danser avec lui, des finances de l’Etat qu’il dilapide en signant toutes les demandes que lui présente le syndicat ouvrier (UGTT), ou encore de ce qui se passe à Tataouine où il avait délégué l’armée pour garder la vanne. Certains, nouvelles recrues momentanées et les remerciés, ont certainement regretté d’avoir un jour dit oui, d’autres de n’avoir pas eu le temps de faire ce qu’ils se promettaient, d’autres de n’être pas partis de leur plein gré, et d’autres encore de voir leur pays et son économie ainsi dépérir.
Entretemps, las de consultations aussi contradictoire les unes que les autres, le chef Hichem cria « Eureka ». Et le voici qui annonce l’idée « de génie », de démettre une seconde fois, ceux-là mêmes à qui il avait le 27 janvier dernier, mis fin aux fonctions. Une idée ; qu’on me le permette, plus qu’absurde. Le chef du gouvernement les avait une première fois, officiellement puisque cela avait été voté par les représentants du peuple, démis de leurs fonctions de ministres.
Et le voici, dans un communiqué tout aussi officiel, qui les démet à nouveau et une seconde fois, des mêmes fonctions , à l’exception du ministre la Santé qui se retrouve, de fait, confirmé par celui qui l’avait chassé et contre l’avis de l’ARP qui avait voté contre eux. Absurde, la seconde décision l’est, dans la mesure où c’est Mechichi qui renvoie deux fois les mêmes ministres, sans avoir le moindre espoir de résoudre la crise du remaniement, ni même de contenter le chef de l’Etat qui ne demandait pas ces têtes-là et n’a jamais justifié son refus du remaniement par le renvoi d’aucun d’eux !
– Coups d’épée dans l’eau, ou l’art de couper la poire en deux ?
Et on se demanderait volontiers si dans la logique du 1er remaniement dont il semblait alors plus que convaincu, pourquoi ne pas avoir directement nommé des ministres intérimaires, sans aller jusqu’à insulter deux fois des ministres qui n’en demandaient pas autant pour partir ?
Dans son même communiqué de renvoi-bis de cinq ministres, le mal-aimé chef du gouvernement tunisien affirme que « la présidence du Gouvernement reste ouverte à toutes les solutions qui assurent l’achèvement des procédures de modification ministérielle, afin que les ministres puissent exercer leurs fonctions, dans le cadre de la Constitution ».
Par cette déclaration, en fin de communiqué, Mechichi laissait clairement comprendre qu’il espérait toujours garder les ministres votés par l’ARP pour son remaniement. Le 12 février 2020, en réponse à une question de notre journaliste Maha Sayadi, Mechichi avait d’ailleurs lancé son « je ne démissionnerai pas ». Et on pourrait comprendre que, par ce communiqué de dimanche 14 février 2020, Mechichi voudrait donner l’impression de faire un pas vers son détracteur, auquel il a reconfirmé le ministre (celui des Affaires étrangères, ministère réputé être du ressort du chef de l’Etat) ; une offre à Kais Saïed. Peut-être aussi, le geste de couper la poire en deux, genre « je remets ces cinq en place, et vous me confirmez les autres ». A quel jeu jouait donc Hichem Mechichi ? Et surtout, quelle sera la réaction de Kais Saïed ?