Premières mistoufles (تنبير) sur le nouveau président

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La Tunisie a désormais, officiellement, un nouveau président. Le chef de l’Etat Kais Saïed a, ce mercredi 23 octobre 2019, prêté serment, prononcé son sermon et rejoint son bureau à Carthage, où les Tunisiens ont pour la seconde fois vu un président partir et son successeur entrer, à pied et non à la descente d’un char. Même Kais Saïed disait en avoir fait le rêve pour ses enfants, dans une brève déclaration au micro de la Wataniya. C’est fait, et la Tunisie confirme qu’elle reste une exception, politique, dans tout le monde arabe et même dans une partie de l’Afrique.

Certains diront que c’est des mistoufles (تنبير). D’autres soutiendront que  ce ne sont que de simples critiques, formelles certes, mais qui doivent être faites par la presse, même si le nouveau locataire de Carthage et beaucoup de ses supporters et soutiens, ne l’aiment pas.

Le principal est de dépasser cet état d’euphorie, à notre sens surfaite, d’un passage de témoin démocratique, pour lequel beaucoup nous félicitent et beaucoup d’autres nous envient. Dépasser, aussi, l’habitude de ne voir du nouveau chef de l’Etat que les choses positives, de l’encenser dans la presse et sur les plateaux TV, après l’avoir descendu en flammes quelques semaines plus tôt. Ceux qui l’ont fait, en ce premier jour du mandat de Kais Saïed, on les avait déjà vus avec BCE et on les verra avec celui qui prendra la suite de Saïed. Et c’est, peut-être, en réaction à ces cliques de laudateurs et pour faire autre chose, que nous écrivons ceci.

–        Le maître des céans sur le banc des invités

La première remarque à faire est de l’ordre des fautes protocolaires. En effet, une  séance de travail entre quatre yeux a groupé  l’ancien et le nouveau président de la République au palais de Carthage, séance qui concrétisait la passation des pouvoirs, par ce qui y a été dit entre deux oreilles de secrets d’Etat, de dossiers brûlants et autres petits secrets passés d’une main à l’autre. Lors de cette séance de travail dans la salle de réception des invités du chef de l’Etat, et contrairement au protocole, Mohamed Ennaceur qui n’était plus président dès la prestation de serment de son successeur, avait occupé le fauteuil normalement réservé à l’hôte, alors que le nouveau président se retrouve sur le canapé des invités. Du coup, le nouveau maître de céans qu’était devenu Kais Saïed, est protocolairement relégué au rang d’un invité ordinaire. On dit ça, on ne dit rien !

–        Saluer ou embrasser le drapeau national ?

Seconde remarque, tout aussi protocolaire, mais qu’on pourrait expliquer, à volonté, soit par l’inadvertance, soit par le manque de préparation, c’est lorsque Saied se contente de saluer le drapeau national d’un petit geste de merci sur sa poitrine. L’usage, depuis Bourguiba, était que le chef de l’Etat embrasse légèrement le drapeau national à la fin de l’hymne national et lorsque le soldat le lui présente, incliné à son niveau. On remarquera que le nouveau chef d’Etat s’était fait rappeler aux règles du protocole par celui qui en a la charge, debout juste derrière lui, à peine visible sur la photo.

1. Le nouveau chef d’Etat, avec sa famille, au palais de Carthage. 2. K.S oubliant d’embrasser le drapeau
1. Le nouveau chef d’Etat, avec sa famille, au palais de Carthage. 2. K.S oubliant d’embrasser le drapeau

Autre remarque, et à notre sens aussi, capitale. En effet, à plus d’une occasion, l’ancien candidat qu’était le nouveau président, Kais Saïed avait promis et répété qu’il n’habiterait pas au Palais présidentiel et que sa famille n’y entrerait pas. L’homme était, alors, parfaitement dans son rôle de candidat antisystème.

Toute la Tunisie savait, comme lui certainement, que ni le protocole, ni surtout la sécurité, ne le lui permettront, et l’en dissuaderait même par tous les moyens s’il le fallait. Une fois président de la République, il devra obéir aux impératifs de la sécurité présidentielle. Saïed l’avait pourtant toujours dit et quelques fois répété.

–        La famille Saïed, au complet, à Carthage

Il avait aussi, par deux fois au moins, au cours de sa campagne et au lors du Grand débat, affirmé qu’il n’y aura pas de famille à Carthage. Ses trois enfants, un garçon, les manches de chemise retroussées, et deux filles habillées un peu au-dessus du genou [Ndlr : Comme la jeune femme que sa juge de femme avait un jour renvoyée du tribunal] comme, par ailleurs à la Tunisienne, étaient déjà «chez eux» et dans la nouvelle demeure, à accueillir leur père de président frais émoulu. Demeure, par ailleurs, qui sera mitoyenne du palais en lui-même. C’est ce qu’il faut faire. Mais c’est ce qu’il ne fallait pas dire. Saïed voulait alors dire qu’aucun membre de sa famille ne profiterait de la position du père chef de l’Etat, pour l’accès à un poste ou à un privilège. Mais il ne s’en était pas bien expliqué, et cela est encore dû à son défaut de communication, qu’on espère va s’améliorer. Cela pour la forme.

On verra après, si son frère et ancien directeur de campagne, le suivra à Carthage en tant que conseiller. On attend aussi, pour voir si la 1ère Dame qu’est devenue, aujourd’hui de fait, sa femme qui est juge de métier et présidente du tribunal de 1ère instance à Tunis, va démissionner, pour éviter le conflit d’intérêts et éviter la cohabitation des pouvoirs, exécutif et judiciaire, sous un même toit.

Mais on sait déjà que son directeur de cabinet, Abderraouf Bettaïeb, est un ancien membre du bureau politique d’Ettayar Démocratique de Mohamed Abbou. On sait aussi que celui qui a toujours parlé au nom de Saïed, notamment sur Al Hiwar TV, Kais Karoui, est un ancien CPR comme il l’avait lui-même indiqué. Ce n’est pas la famille au sens généalogique, mais c’est la famille politique.

De gauche à droite : Le nouveau chef de cabinet, ancien ED, déjà à l’œuvre. 2. Kais Karoui, l’ancien CPR devenu un Pro-KS
De gauche à droite : Le nouveau chef de cabinet, ancien ED, déjà à l’œuvre. 2. Kais Karoui, l’ancien CPR devenu un Pro-KS

–        La phrase cheveu sur la soupe servie par Kais Saïed

Pour le fond, maints observateurs ont été interpellés par cette phrase proférée par Kais Saïed, lorsqu’il prononçait son sermon de nouveau chef d’Etat après avoir fait le serment officiel de nouveau président de la République. Un sermon solennel, fait dans un Arabe châtié, délivré  à la Jamel Abdennasser, qui détaillait les principes généraux de son mandat, comme le respect des conventions signées, la justice, le souci du social, le souci de la bonne gestion des deniers publics, la lutte contre le terrorisme ou le renforcement des droits de la femme. Comme un cheveu sur la soupe, il évoque «la disposition de beaucoup de personnes à faire don d’une journée de salaire pendant cinq années, pour rembourser les dettes et ne plus avoir recours au crédit».

Personne ne savait si c’était une décision, une proposition, ou un simple écho aux propositions de ses soutiens parmi la jeunesse. Une phrase, si détaillée, qu’elle dénotait complètement tout l’esprit de son sermon. Une phrase qui fait déjà peur, au moins à une partie de la population, déjà éprouvée par deux années de contribution de solidarité sociale, imposée par le gouvernement de Youssef Chahed. Le premier à réagir officiellement, sera Noureddine Taboubi, et il en fera une nouvelle ligne rouge. Il aurait été plus judicieux d’annoncer que la présidence de la République compterait resserrer son budget, ou même que le nouveau chef de l’Etat réduira sa rémunération pour contribuer à la réduction des dépenses de l’Etat, avant de penser à demander à la population de sacrifier une journée de salaire pendant cinq ans.

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