Le jeudi 4 mai 2023, le chef de tout l’Etat tunisien recevait la 1ère de ses propres ministres. Avec Najla Bouden, le président « a insisté sur le rôle social de l’État et sur le fait que la Tunisie n’acceptera aucun diktat d’aucune partie, car les solutions doivent provenir de la volonté populaire tunisienne, être purement tunisiennes et au service de la majorité appauvrie qui a souffert et souffre encore de la misère et de la pauvreté. Il a souligné que les déclarations qui viennent de l’étranger n’engagent que leurs auteurs, et nul n’a le droit d’obliger l’Etat à ce que son peuple n’accepte pas, tout comme aucune partie en Tunisie n’a le droit d’agir contrairement à la politique déterminée par le Président de la République ».
– Une bonne nouvelle en a appelé une bien mauvaise
Le même jour dans la matinée, la ministre de l’Industrie, de l’énergie et des mines, Neila Gonji, était à La Mornaguia pour inaugurer le nouvel investissement de « Marquardt Automative », une extension à 200 MDT pour 1.500 emplois. Tout allait bien pour la ministre depuis octobre 2021 dans une atmosphère de liesse populaire, jusqu’à ce qu’une journaliste l’interpelle sur la question de l’augmentation des prix des hydrocarbures.
« Je l’ai déjà dit, le gouvernement se penche sur l’étude des hypothèses du système de compensation avec un meilleur ciblage. Elle est dans ses dernières étapes et devrait être terminée dans les jours qui viennent. Ce n’est qu’alors que pourront être claires les hausses de prix, quand, combien et comment », avait-elle répondu. Elle aurait, peut-être, dû s’arrêter à ces généralités, mais la journaliste la tanne et demande plus. « Ce n’est pas un retardement des augmentations des prix des carburants, mais des préparatifs logistiques ». Questionnée, encore, sur la détermination des populations cibles de la compensation, la ministre se laisse aller à un « il y a toute une vision en place. Elle ne concernera pas que les familles, mais tous les intervenants, familles et certaines catégories économiques ».
– Quiconque parle sera limogé
Le même jeudi 4 mai 2023 au soir, Neila Gonji est renvoyée par un simple communiqué laconique et sans autre forme d’explication. Peut-être que la décision présidentielle avait-elle été prise au cours de l’audience avec la cheffe Bouden. Et peut-être que c’était la ministre Gonji qui était concernée par le sermon présidentiel, avertissant que « aucune partie en Tunisie n’a le droit d’agir contrairement à la politique déterminée par le Président de la République ». La 1ère des ministres du chef de tout l’Etat avait-elle été mise au courant ? Avait-elle eu son mot à dire sur les raisons de ce limogeage ? Seule certitude, la déclaration de la ministre a été par la suite supprimée du site et de la page fb du ministère, photos et vidéos compris, comme si Gonji n’en avait pas parlé !
La ministre Gonji aurait-elle fait erreur de communication ? Aurait-elle parlé de ce qu’elle n’aurait pas dû en temps de bras de fer entre le FMI et Kais Saïed à propos des réformes exigées pour le crédit des 1,9 Mds USD ? Samir Saïed en avait pourtant dit plus qu’elle et plus d’une fois. Il est pourtant toujours en place. L’homonymie lui servirait-elle jusque-là d’excuse ou paratonnerre anti-ire présidentielle ? Le bouclier de « Captain Tunisia » tiendra-il longtemps ?
– Une 5ème victime du système Saïed
Gonji sera en tout cas la 5ème « victime » d’un chef de tout l’Etat, après Othman Jerandi des AE, Taoufik Charfeddine de l’Intérieur, Nasreddine Nsibi de l’Emploi et la formation professionnelle, et Fadhila Rabhi du Commerce. Pour tous ses limogeages, indigne comme pour Ali Kooli avant eux, aucune explication n’est donnée.
Des « victimes » qui donnent en tout cas la nette impression que le chef de tout l’Etat tunisien est un « dictateur managérial », qui limoge sur simples coups de tête, et ne participe guère à la stabilité gouvernementale, d’autant que Najla Bouden se retrouve avec deux portefeuilles non pourvus (l’industrie et l’emploi), et autant de chaises vides dans la grande salle des Conseils de ministres.
Tous ces limogés par communiqués laconiques, semblent selon nous être victimes d’un système de communication présidentiel, où le silence est de rigueur.
Le Président n’aurait pas dû démettre la Ministre de l’industrie, mais la rappeler à l’ordre si elle a parlé plus qu’il ne faut.
Neïla Gongi n’a pas commi d’erreurs en expliquant les mesures envisagées. Et elle est même la Ministre qui a le meilleur bilan depuis 1 an : 1) stratégie industrielle et d’innovation ficelée, 2) investissements industriels en nette reprise et avec des groupes allemands de taille (DraxlerMaïer, Marquardt, …), 3) plus d’une dizaine d’autorisations de production d’énergie solaire, malgré l’opposition du syndicat STEG et 4) déblocage de la production du phosphate pour atteindre plus de 70.000 tonnes au début 2023, soit plus qu’on en a produit durant les 7 années précédentes.