Avec Marine Le Pen à sa tête, le Front national, qui continue de rejeter l’étiquette de parti d’extrême droite, même si ses postures sur l’immigration, l’islam, l’économie, le social disent le contraire, n’a jamais été aussi proche du palais de l’Elysée. La fille du fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, a su « ennoblir » des idées qui sentaient le souffre et effrayaient une frange de la population qui tient aux dorures du politiquement correct. Et la mayonnaise a pris. A tel point que le physicien Serge Galam, qui avait réussi le tour de force de prédire le triomphe de Donald Trump à la présidentielle américaine dès l’été 2016, alors que personne ne pariait un dollar sur le républicain, s’est penché sur le phénomène Le Pen. D’après lui ses chances de remporter le scrutin d’avril-mai 2016 ne sont pas négligeables…
Quand le spécialiste des systèmes désordonnés, qui a intégré le Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po), parle on l’écoute. Dans un billet publié le 26 mars sur le site de Libération, il a fait savoir que l’ »abstention différenciée » pourrait être favorable à la candidate du Front national. Serge Galam a accordé un entretien à franceinfo sur cette trouvaille qui affole les états-majors des concurrents de Marine Le Pen. Interview :
Franceinfo : Le « plafond de verre », selon vous, est-il toujours efficace pour empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir ?
Serge Galam : Le « plafond de verre », c’est ce « bouclier » qui empêche le Front national d’accéder au pouvoir. Il explique le fait qu’à chaque fois, ou presque, qu’un candidat du FN franchit le premier tour, dans notre système électoral, il perd au second. Et notamment à la présidentielle. Pourquoi ? Parce que l’ensemble des partis de droite et de gauche refusent toute alliance avec ce parti. Dès qu’un candidat du Front national est en lice, il y a une mobilisation des électeurs pour l’empêcher de passer, ce qu’on a appelé « le front républicain ».
Mais, aujourd’hui, il y a deux facteurs nouveaux. D’une part, s’il n’a jamais franchi la barre des 50% au second tour, le FN a tendance à augmenter ses scores aux élections. D’autre part, une fraction de l’électorat en a assez de se déplacer aux urnes pour voter « contre ». En 2017, l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République reste très improbable. Le sondage le plus favorable que j’ai vu pour elle la créditait de 45% des voix au second tour, contre 55% à François Fillon. Contre Emmanuel Macron, elle obtiendrait 40%. Mais « improbable » ne signifie pas « impossible », en raison d’une mobilisation qui s’est érodée.
C’est ce que vous appelez « l’abstention différenciée » ?
Oui, c’est à ce moment-là qu’intervient l' »abstention différenciée ». Les électeurs qui ont l’intention de voter Marine Le Pen veulent vraiment voter pour elle, et ils se déplaceront. Dans l’hypothèse d’un second tour où le FN serait présent, une part substantielle des électeurs déclarent qu’ils n’iront pas voter pour François Fillon ou pour Emmanuel Macron, mais uniquement contre Marine Le Pen. Et beaucoup ne le feront pas. Une partie d’entre eux va se dire : « C’est trop dur pour moi de voter pour François Fillon, même contre Marine Le Pen ». L’aversion sera si forte qu’ils n’iront pas.
D’autres, pour d’autres raisons, vont tenir un raisonnement analogue à l’égard d’Emmanuel Macron. Chaque candidat ayant des chances de se qualifier au second tour « désactive » ainsi des électeurs potentiels. On peut donc supposer que l’abstention, par rapport aux intentions de vote, sera moindre pour Marine Le Pen que pour son adversaire au second tour.
Et là, vous sortez votre calculette, avec une formule pour mesurer le taux d' »abstention différenciée »… et les chances de Marine Le Pen de gagner ?
Oui. Si les électeurs de Marine Le Pen se mobilisent fortement, et ceux de son adversaire nettement moins, elle peut gagner. Il faut bien comprendre qu’elle peut gagner, même avec des intentions de vote inférieures à celles de son adversaire, s’il y a un fort écart entre les taux de participation pour l’un et pour l’autre. Pour un taux donné de participation pour Marine Le Pen, on peut calculer le taux d’abstention pour son challenger qui lui permet de gagner. J’ai mis au point une formule mathématique pour le calculer.
Prenons un exemple avec une participation globale de 79% au second tour et 44% d’intentions de vote pour Marine Le Pen. Si 90% des personnes qui indiquent vouloir voter pour elle le font réellement, et que 70% de ceux annonçant qu’ils voteraient pour son concurrent le font réellement, elle obtient une majorité de 50,25%. Autrement dit, il existe un seuil de participation critique pour son challenger. Si celui-ci ne l’atteint pas, Marine Le Pen peut gagner.