La seule chose dont on est à peu près sûr à ce jour, c’est que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, va garder sa place, au moins dans les mois qui viennent, et probablement jusqu’aux prochaines élections générales de 2019. Non pas parce qu’il soit le meilleur Premier ministre – ça colle mieux avec ses vraies prérogatives – que la Tunisie post-révolutionnaire ait jamais eu, mais parce que tout simplement le pays n’a plus les moyens et le temps de se payer la crise politique qu’engendrerait un énième changement de chef de gouvernement (il serait le 8ème en 7 ans). La Tunisie a déjà plus qu’usé les nerfs de ses amis et soutiens, avec des bifurcations intempestives qui ne lui ont amené ni sursaut économique ni salut politique, à peine des bribes de programme pour relever le pays, et lesquels d’ailleurs attendent d’être concrétisés. Chahed est conscient du fait que cette situation délétère est son meilleur ennemi mais en même temps, paradoxalement, son meilleur ami. C’est ce qui explique son assurance quand il a fait face aux députés le 23 mars 2018. La scène politique aussi le sait, ce qui explique qu’ils soient de moins de moins à demander sa tête, même les irréductibles du Front populaire se sont calmés sur la question. Quant à l’UGTT, de départ du chef du gouvernement on est passé à une simple exigence de sang neuf pour donner du tonus à l’équipe de Chahed. Et les autres protagonistes de la scène politique ? Et bien chacun fait ses petits calculs, sa petite cuisine où très souvent la patrie et l’intérêt général n’ont que peu de place.
On peut faire le pari que si le poulain du chef de l’Etat met la veilleuse sur les privatisations, la centrale patronale n’ira plus lui chercher des noises. Ou très peu, à part les revendications habituelles – du genre négociations sociales… pour gonfler les salaires. Et oui, les demandes autour du remaniement sont devenues une arme que l’UGTT agite en fonction de l’intensité des incursions des ministres sur le terrain de la privatisation de certaines entreprises publiques. Et pour le moment ça fonctionne plutôt bien puisque le chef du gouvernement et ses ministres en parlent de moins en moins, et même n’en parlent plus. Mais il n’y a pas que Noureddine Taboubi et les siens qui tirent sur la corde du remaniement, Rached Ghannouchi aussi. Le président du mouvement Ennahdha, véritable maitre du jeu au Parlement depuis que Hafedh Caïd Essebsi a eu la bonne idée de faire le vide autour de Nidaa Tounes, joue aussi à merveille sa partition. Il a redit dimanche 8 avril 2018 qu’il n’y aura pas de remaniement ministériel avant les municipales du 6 mai prochain. En voilà un qui au moins est fidèle à sa ligne car cela fait un bail qu’il soutient ça, et il y a une bonne raison derrière.
La foire aux stratégies
Ghannouchi et les siens tablent sur de bons résultats aux municipales, et ils peuvent se l’autoriser vu presque les conclusions de tous les sondages. Bon, tout cela est relativiser car son score et celui de Nidaa Tounes seront à priori très faibles, jetant l’opprobre sur leur représentativité, voire leur légitimité, mais que voulez-vous il faut bien qu’on déclare un ou des vainqueurs au terme du scrutin. Il faut bien qu’il y ait des gens pour tenir les municipalités. Et les islamistes attendant cette échéance pour exiger une réévaluation des forces politiques et par conséquent une reconfiguration des rapports de force dans le gouvernement. Cela fait belle lurette que Ghannouchi et compagnie crient sur tous les toits que leur poids dans l’équipe de Chahed ne reflète pas leur envergure à l’ARP et sur la scène politique. Jusqu’ici leur allié de circonstance, Nidaa Tounes, a pu repousser les velléités d’Ennahdha en arguant que la composition du gouvernement doit avant tout être calquée sur les résultats des élections législatives de 2014. La formation pilotée par le fils du président de la République pourra difficilement tenir cette position si les islamistes brillent le 6 mai 2018.
L’autre qu’on a entendu hier dimanche, c’est le président du parti Al-Moubadara, Kamel Morjane. Il nous a ressorti son plan de salut national lequel, enfin, permettra à l’intérêt général de prendre le dessus sur les calculs partisans, de requinquer le moral des Tunisiens et de faire repartir l’économie du pays. Morjane a lui aussi au moins le mérite d’être constant dans ce qu’il professe, ils ne sont pas nombreux sur la cène politique à pouvoir en dire autant. Sauf que les lumières de l’ancien patron de la diplomatie tunisienne, très respecté et un des rares rescapés de l’ère Ben Ali, ne pourront pas masquer ses calculs – et oui, même lui ! – et sa tragédie plus personnelle, on va dire. Voilà un personnage à qui on présidait le plus brillant des destins, dans les sondages aux dernières élections, mais in fine la mayonnaise n’a pas pris. Le missile Morjane a même explosé en plein vol, et a été supplanté par Abir Moussi, qui à défaut de provoquer une lame de fond occupe au moins le terrain, médiatiquement, notamment avec ses propositions sur une nouvelle Constitution, une musique que les partisans de Morjane, et bien d’autres, peuvent entendre. Bref, le numéro 1 du président d’Al-Moubadara, c’est avant tout Abir Moussi.
C’est à peu près tout ce qu’on retient pour ce lundi 9 avril. Du bruit, mais pas tant que ça en fait, à l’image d’une société et de ses citoyens qui attendent des choses qui tardent à venir. Certaines, hélas, ne viendront jamais, pas de sitôt en tout cas. La démobilisation est palpable et le pessimisme n’a jamais été aussi prégnant, nourri par le piètre spectacle servi par nos représentants, au Parlement et ailleurs. La Tunisie a du vague à l’âme. Même l’imminence des municipales n’arrive pas à sortir les Tunisiens de leur torpeur. Peut-être que la coupe du Monde y arrivera. On en revient aux fondamentaux de toujours : Le sport comme opium d’un peuple que 7 chefs de gouvernement n’ont pas pu emballer. Révolution vous avez dit ? Pour le moment on en reste au stade de la révolte, du soulèvement populaire. Pour le reste, on verra…
la scène politique et non pas la cène, (terme issu du latin cena, « repas du soir, dîner ») est le nom donné dans la religion chrétienne au dernier repas que Jésus-Christ prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi saint, avant la Pâque juive, peu de temps avant son arrestation, la veille de sa crucifixion, et trois jours avant sa résurrection. Wikipédia