La scène est tristement ordinaire. Une salle d’audience où règne une chaleur accablante et peuplée d’un parterre de proches anxieux et parfois en larmes. L’huissier audiencier s’égosille à sommer le public à désactiver les téléphones, à se tenir assis et à rester silencieux. Les greffiers et les magistrats brassant des montagnes de dossiers et de documents. Un juge en toge entre. Tout le monde et lève et se rassoit. Puis, deux douzaines d’hommes entrent dans le prétoire à travers une porte arrière, confus, inquiets, scrutant la foule pour voir s’il y a un membre de leur famille présent … ou peut-être un avocat.
La plupart des accusés n’auront pas droit aux services d’un avocat pour les défendre et plaider leur cause. Et la raison est simple: ils n’en ont tout simplement pas les moyens.
Sans avoir de quoi payer un avocat, l’accusé tente désespérément de plaider sa cause et de protester de son innocence devant un juge sans que personne ne soit à ses côtés. Généralement, le magistrat expédie l’affaire en deux minutes après un bref interrogatoire de l’accusé, sanctionné par le rendu du jugement. Les peines sont prononcées: condamnation à une peine privative de liberté, deux mois de prison, ou un an de la même peine et une forte amende pour une infime quantité de cannabis, travail d’intérêt général. Des vies bouleversées, des familles dévastées…
C’est sous ces traits qu’un avocat basé à New York, Kumar Rao, travaillant pour le compte l’International Legal Foundation (ILF), une organisation dispensant des services directs aux pauvres en matière de défense pénale, a décrit les épreuves endurées par les accusés privés d’aide légale en Tunisie, dans un article publié par le « World Post ».
Pour s’attaquer à certains des problèmes qui entachent son système judiciaire, note-t-il cependant, la Tunisie, dans la foulée de sa vague actuelle de réformes démocratiques, a récemment adopté et commencé à mettre en œuvre une loi sur l’ accès rapide à la justice qui accorde aux suspects le droit à un avocat dans les postes de police, préalablement à la mise en détention et l’inculpation. L’accès rapide aux services d’un avocat peut avoir des effets cruciaux sur l’affaire, la vie et le destin des clients, autant que des avantages pour la société dans son ensemble, y compris une réduction de la détention provisoire, la redevabilité, la transparence de l’application des lois, et une plus grande efficacité de l’administration de la justice.
La Tunisie a connu une révolution populaire en 2011, le lancement du Printemps arabe, avec des changements importants au niveau de ses structures politiques, sociales et juridiques. Pourtant, comme c’est le cas dans de nombreux pays au sortir d’un soulèvement, l’Etat de droit dans sa plénitude demeure une vague aspiration. L’aide légale aux personnes vulnérables, en particulier, est absolument essentielle à la protection des droits de l’homme et l’accès à la justice. Une assistance juridique efficace pour les indigents, les démunis et les marginalisés peut avoir un grand impact sur la stabilité sociale et le développement inclusif.
L’heure à laquelle intervient l’aide juridique est également d’une importance capitale. Simplement dit, plus l’accès est rapide, plus l’impact est grand. L’accès tardif diminue considérablement l’efficacité de la défense. La plupart des accusés en Tunisie, par exemple, sont placés en détention pendant des jours, voire des semaines avant la commission d’un avocat. Nombreux sont ceux qui signent des aveux, sont soumis au dépistage des stupéfiants, et traduits en justice pour comparaitre devant le juge saisi sans jamais parler à un avocat ou être pleinement et dûment informé des accusations portées contre eux. Cela aussi est souvent un phénomène universel, même aux États-Unis, où les avocats se sont longtemps battus pour la commission d’un avocat, notamment pour les comparutions au titre de la mise en liberté sous caution. Ces garanties entrent dans le cadre de ce qu’on appelle l’avertissement Miranda (Miranda warning) détaillant les notions de la procédure pénale aux États-Unis dégagées par la Cour suprême des États-Unis en 1966 dans l’affaire Miranda v. Arizona. Ces droits se manifestent par la prononciation d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, lui signifiant notamment son droit à garder le silence et le droit de bénéficier d’un avocat. D’autant que la présence d’un avocat à un stade précoce de la procédure pénale aura un impact potentiellement important sur la primauté du droit et de la justice en Tunisie.
S’il appliqué de manière efficace en Tunisie, le droit d’accès rapide à la justice constituerait un acquis dont les Tunisiens seraient en droit de tirer un motif de fierté, car ce serait le signe que leur révolution a réussi, et ce faisant, pourrait bien finir par servir de modèle à travers le monde, y compris les États-Unis. Pour ces pauvres individus accusés et détenus en Tunisie, cités à la barre, contraints de plaider eux-mêmes leur cause, l’impact d’avoir un avocat dès la garde à vue pourrait vraiment changer leur vie et leur destin, conclut World Post.