Une évidence partagée par tous : l’Etat ratisse large en imposant mal et toujours plus les contribuables comme le suggèrent les premières informations distillées sur le projet de la loi des finances 2018 où, partout, le terme augmentation revient comme un fil rouge plaçant la Tunisie très au-dessus du seuil de la fameuse courbe de Laffer, au-delà duquel « trop d’impôt tue l’impôt ». Immanquablement, les rentrées fiscales en pâtissent car, à partir d’un certain moment, les prélèvements obligatoires communément appelés impôts, incitent ceux qui s’en acquittent, soit à réduire leur activité, soit à frauder, sans parler des milliers et milliers d’affidés de l’économie informelle et de la contrebande qui se sont mis délibérément et effrontément au ban de tout ce qui se rapporte de près ou de loin au fisc.
Il est vrai que l’Etat, dos au mur, n’a théoriquement d’autre choix que d’imposer, taxer et prélever autant de contributions que de besoin. Et dans cet exercice, il a toujours la main leste, décrétant des mesures dont il sait mieux que quiconque qu’elles font mal aux ménages mais aussi aux entreprises. Il est vrai aussi que ce gisement fiscal, l’impôt, peut non seulement servir à financer les biens et les services publics, mais également à mieux redistribuer les richesses et corriger les inégalités, en réclamant proportionnellement plus aux uns et moins aux autres. Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas avec le curseur continuellement placé sur les salariés et les créateurs de richesses, l’appareil de production.
Sous la coupole, l’inculture fiscale
Bien sûr, une loi des finances ne peut en être une que si elle est votée par le Parlement, consacrant quelque part le principe de « pas de taxation sans représentation », censé y associer le peuple, lequel, cependant, ne saura ce qu’il a à payer qu’une fois les jeux sont faits. Cette pratique qui frise l’avanie, ne date pas d’aujourd’hui, les Tunisiens la subissent sans relâche depuis l’aube de l’Indépendance avec une « Représentation nationale » d’une docilité « sans faille » à laquelle s’ajoute l’inculture fiscale ambiante de l’écrasante majorité de ses élus, tous régimes confondus. Et ce ne sont pas les joutes enflammées et tonitruantes de ses membres actuels qui peuvent la diluer, alors que, dans le même temps, des voix fougueuses s’élèvent pour démolir méthodiquement les dispositions fiscales qui visent des portefeuilles, surtout corporatistes, à l’exception d’autres.
En tenant de la sorte à l’écart le contribuable, le gouvernement, de connivence avec l’Assemblée des représentants du peuple, serait mal avisé d’exiger du contribuable ce que les fiscalistes appellent le consentement à l’impôt, déjà « d’autant plus odieux qu’il s’exécute avec les solennités de la loi », comme le disait le penseur et député sous la Restauration Benjamin Constant. Si bien que pour confectionner la loi des finances, les pouvoirs publics s’exceptent rarement de tours de passe-passe pour trouver le moyen de faire payer soit un nouvel impôt, soit augmenter celui qui existe déjà, ce qui ajoute à la brutalité de la mesure fiscale une dimension morale vexatoire.
Chape de plomb
Taper au portefeuille du contribuable, c’est connu, est pour l’Etat, le biais le plus élémentaire et le plus commode pour se procurer de l’argent. Sauf que, en chargeant à si belles dents l’assujetti, il fait éperdument fausse route au simple motif que le contribuable en a ras la casquette de l’impôt sous toutes ses déclinaisons, direct et indirect, taxe, contribution sociale généralisée, au point que la pression fiscale est devenue une chape de plomb que tout le monde abhorre, singulièrement les ménages, car ce sont toujours eux qui subissent les prélèvements, notamment les taxes sur la consommation ou la production qui sont acquittées par les entreprises mais payées in fine par les consommateurs.
Ça fait pschitt dans les chaumières
Il est difficile de se convaincre que le gouvernement n’a pas pesé les effets de cette curée fiscale, mais en y mettant tout ce zèle et une telle dose d’imagination pour « équilibrer » ses finances, il fait le lit d’une effervescence sociale d’autant moins gérable qu’il n’a pas les moyens de la contenir. Au demeurant, il se met en porte-à-faux vis-à-vis de sa vocation fondamentale qui est d’être le garant de la cohésion sociale et de la solidarité des revenus. S’y joint mécaniquement la neutralité de l’impôt solennellement portée par les projets de loi de finances mais à l’arrivée, sinon pulvérisée du moins édulcorée sous la coupole de l’ARP, s’agissant singulièrement de la sempiternelle levée de boucliers dans les chaumières de certaines professions libérales promptes à crier au loup fiscal mais toujours en état de l’étouffer.
Admirons le caractère dérogatoire de ce récurrent épisode vieux de plusieurs lustres, avec la rupture dont il entache cette règle de droit de l’égalité de tous devant les charges publiques. On aura tout loisir à pérorer sur la question tant que l’Etat ne s’engage pas résolument à revêtir le devoir fiscal du sceau de la justice non en imposant à tout berzingue, mais en élargissant l’assiette fiscale en y incluant un plus vaste éventail de biens de services ou de revenus, ce qui allège considérablement le fardeau de l’impôt, essentiellement pour les salariés. Et comme le dit un proverbe africain, « un grand fleuve se nourrit de ses affluents».