L’organisation de l’Etat islamique (Daech) dispose d’une cellule près de la ville libyenne de Sabratha, pour lancer des attaques en Tunisie. Ce sont les combattants de cette cellule qui ont très probablement franchi la frontière tuniso-libyenne et attaqué les forces de sécurité et de l’Armée à Ben Guerdane, le 7 mars. Cette attaque est la première importante opération terrestre menée par Daech en Tunisie. La cellule de Daech à Sabratha continuera à attaquer la Tunisie, menaçant l’unique et fragile « success story » du Printemps arabe, estime l’influent think tank américain « American Entreprise Institute ».
La Libye est une base arrière pour les opérations de Daech en Tunisie. Des jihadistes tunisiens de premier plan ont migré de la Tunisie pour prendre leurs quartiers à Sabratha en 2015 tout en restant concentrés sur leur pays.
La cellule tunisienne de Sabratha semble cultiver une certaine indépendance à l’égard des structures de commandement de Daech basées à Syrte, et elle tenait à garder plusieurs otages occidentaux plutôt que de les remettre au bastion de Daech à Syrte, ce qui est remarquable d’autant que les otages occidentaux sont une source importante de revenus et un moyen de pression entre les mains de l’organisation terroriste. La cellule Sabratha n’a pas rejoint les autres « wilayats » libyennes de Daech qui collaborent pour soutenir son expansion dans le Croissant pétrolier de la Libye centrale. Les « wilayats » libyennes n’ont pas revendiqué le mérite des attaques de la cellule de Sabratha, ce qu’elles auraient probablement fait si le commandement de Daech le leur avait ordonné. La cellule Sabratha semble être dirigée par des jihadistes tunisiens de premier rang, notamment les fomenteurs des attentats du Bardo et de Sousse parmi lesquels Noureddine Chouchane, tué lors du raid américain à Sabratha, le 19 février dernier.
La cellule semble également opérer avec une participation limitée de jihadistes libyens et ne comprend aucun chef irakien ou saoudien comme c’est le cas chez Daech à Syrte. Elle ressemble plus au noyau d’un groupe destiné à entrer à la première occasion en Tunisie qu’à une cellule de Daech en Libye qui se trouve être à la frontière tunisienne.
L’attaque de Ben Guerdane a été coordonnée et planifiée, déployant des capacités significatives en matière de terrorisme. Un petit groupe de jihadistes a traversé la frontière libyenne pour des affrontements avec les forces tunisiennes en poste aux frontières le 2 mars, probablement en préparation de l’attaque du 7 mars.
Une stratégie stabilisatrice « cohérente » !
L’attaque de Ben Guerdane fait sans doute partie d’une stratégie cohérente pour déstabiliser et éventuellement favoriser l’expansion de Daech en Tunisie. La cellule de Sabratha cherche à semer le trouble et mettre à mal la sécurité des frontières de la Tunisie pour faciliter l’intrusion de ses combattants en territoire tunisien ainsi que pour avoir les coudées franches dans la région frontalière. L’attaque pourrait être aussi une réponse aux efforts tunisiens et britanniques pour améliorer la sécurité sur les frontières de la Tunisie. La cellule projetait en outre de lancer une large offensive à la frontière avec l’objectif d’instaurer une wilayat tunisienne. Les attaques transfrontalières peuvent également être censées détourner l’attention des efforts d’implantation de Daech dans le centre de la Tunisie, où de récents rapports font état d’une présence croissante de Daech et de la défection des jihadistes de l’AQMI pour rejoindre les rangs de Daech.
La campagne coordonnée de Daech en Tunisie constitue une menace sérieuse pour la sécurité du pays où son activité accrue est probablement destinée à faire avorter le processus démocratique, et ces menées pourraient aboutir, souligne American Entreprise Institute. Les mouvements de protestation qui ont éclaté en janvier dernier ont pointé l’incapacité du gouvernement à protéger la population contre le terrorisme tant le long de la frontière libyenne que sur les hauteurs du Nord-ouest du pays. La campagne de Daech peut aussi appeler une vague de répression de la part des autorités. Le président tunisien Beji Caïd Essebsi a réagi à l’attaque de Ben Guerdane en mettant l’accent sur le projet de Daech de s’emparer de la région et a cité l’article 80 de la Constitution tunisienne, qui permet au président de prendre « toutes les mesures » nécessaires en cas de péril imminent. Une telle répression pourrait nourrir le ressentiment et le soutien recherchés par Daech si elle est mal conduite mal ou menée brutalement. La campagne de Daech contre la Tunisie à partir de ses bases libyennes met en relief encore une fois les défis que posent les tentatives de contenir Daech dans des havres incontestés, conclut American Entreprise Institute.