Faisons remarquer, d’abord, que le document présenté par le Gouverneur de la BCT Fethi Zouhair Nouri, vendredi 28 juin 2024, au chef de l’Etat, n’était que les Etats financiers de l’institut d’émission, et rien n’a été dit sur ces résultats et le montant des bénéfices de celle qui est la banque des banques tunisiennes, qui n’est pas une banque commerciale. Surtout qu’une grande part de ces bénéfices va directement renflouer le Trésor et que les bénéfices pourraient n’être issus que des BTA et de la vente de l’or aux bijoutiers locaux.
Ce n’était donc pas le Rapport Annuel, qui est généralement un abrégé de toute l’activité bancaire, et où « Le Mot du Gouverneur » est ce qu’il y a de plus important. Fethi Zouhair Nouri aura, comme son prédécesseur, à parapher un rapport dont l’ensemble du bilan de l’exercice ne lui incombe pas ! Ce sera alors l’occasion de présenter son programme et ses ambitions pour la BCT jusqu’à l’horizon 2030, étant dépositaire d’un mandat de six ans.
- Les retards, une tradition qui perdure
Et alors que, théoriquement, la publication du Rapport annuel de la BCT aurait dû être effective le lundi 1er juillet (selon les dispositions de la loi portant Statut de la BCT, l’article 80 précisément), les observateurs de l’actualité économique et financière tunisienne devraient rester sur leur faim, si l’on se fie au précédent rapport, dont la publication interviendrait avec un retard considérable. C’est en septembre 2023 que le dernier rapport a été remis au Président Saïed lors de sa fameuse visite inopinée au siège de la BCT. A l’époque, une blague a circulé insinuant que Saïed avait tellement marre d’attendre qu’il est venu chercher lui-même sa copie, ce fameux vendredi 8 septembre 2023.
Tout cela pour dire que ce retard est un fait bizarre pour une institution sérieuse comme la BCT !
Idem pour les réunions de Conseil d’administration qui accusent plusieurs retards et ce, en contradiction totale avec les dispositions de loi n°2016-35 du 25 avril 2016 portant statut de la BCT.
En attendant Godot, donc le rapport 2023, il y a lieu de tenter de faire le bilan de la BCT dans une année charnière, autrement que par la récitation des chiffres du secteur.
2023, c’est d’abord celle de ladite indépendance de la BCT et du financement direct du budget par crédit de la BCT. Ensuite, celle de relations au point mort avec le FMI, mais surtout de fin de mandat de l’ancien gouverneur, Abassi. Aussi, à noter que 2023 a vu la nomination d’un ancien de la BCT, Ahmed Hachani en l’occurrence, au poste de Chef du Gouvernement. Une première depuis un certain … feu Hédi Nouira.
- Une BCT se jauge à l’aune du bilan de sa politique monétaire
La politique monétaire de la BCT a été marquée en 2023 par les décisions de maintenir un taux directeur élevé, et la surveillance rigoureuse de l’inflation. Ces décisions ont permis, certes, de contenir certaines pressions économiques, mais à un coût significatif pour la croissance et l’accès au crédit.
Malgré ses relances sur la nécessité de réformes structurelles profondes et de gestion prudente des finances publiques, cruciale pour améliorer durablement la situation économique de la Tunisie, la BCT s’est malheureusement confinée dans son pré-carré monétariste. La Tunisie avait besoin de plus. La BCT pouvait faire, largement, mieux !
En 2023, la BCT a en effet opéré dans un contexte économique marqué par des défis significatifs. La croissance économique a montré des signes de faiblesse et de ralentissement. Face à ce contexte, la politique monétaire de la BCT a maintenu un taux directeur à 8 % tout au long de l’année. Cette décision visait à contenir l’inflation, qui a connu des fluctuations, atteignant un pic de 10,4% en février, mais qui est restée élevée. Ainsi, malgré les tentatives pour maîtriser l’inflation, celle-ci a continué de peser lourd sur l’économie tunisienne.
La BCT a alterné dans ses constats, entre détente de l’inflation sous-jacente et risques haussiers restés élevés en raison, aussi, de la faiblesse structurelle de l’économie. Toutefois, une embellie est à relever sur le tableau 2023 de la BCT, celle des réserves de change.
En effet, en dépit d’un déficit commercial toujours élevé et un déficit énergétique croissant, ces réserves ont augmenté grâce à des apports extérieurs et à une meilleure performance des secteurs exportateurs. Une performance, pas toujours comprise par une population en mal d’importations.
Un bémol persiste, cependant, celui de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie par Fitch Ratings et Moody’s, ce qui complique l’accès aux financements extérieurs et aggrave les tensions budgétaires.
Grosso modo, le travail de la BCT semble donner des fruits. Mais, les détails nuancent ce constat.
Le maintien d’un taux d’Intérêt élevé a, certes, permis de contenir l’inflation à court terme mais a freiné l’accès au crédit, limitant ainsi la consommation et l’investissement. Cette politique a contribué à une reprise économique lente et fragile. C’est, dira-t-on, le serpent qui se mord la queue ! Corollaire de cette situation, une BCT acculée à gérer des pressions significatives sur la liquidité, exacerbées par le besoin accru de financement intérieur du Trésor public. Cela a affecté le fonctionnement des marchés financiers et des banques, mettant en lumière la nécessité de réformes structurelles urgentes.
Un Godot bis !
- Ce que le ministre Gouverneur Nouri devrait faire, selon notre avis de néophyte !
Conséquence logique d’une situation ubuesque, officiellement, on dira que c’est de la résilience pour se donner bonne conscience. Pratiquement, c’est un pays qui se trouve dépendant du financement extérieur. Une situation, qui souligne la vulnérabilité économique de la Tunisie. D’autant plus que la dégradation de la note souveraine complique davantage la situation financière du pays, limitant ses capacités à mobiliser des ressources à des conditions acceptables, même aux banques de la place, car impactées par la Souveraine.
Paradoxalement, le bilan de la BCT en 2023 pourrait être le même que celui de 2024 (du moins pour les six premiers mois) avec des défis qui restent nombreux comme les taux d’intérêt élevés , pour les citoyens et les professionnels , les pressions sur la liquidité, et la dépendance à l’égard des bailleurs de fonds, qui restent pingres comme c’est notamment le cas de l’UE.
En somme, bien que la BCT ait réussi à maintenir une certaine stabilité monétaire, les défis structurels et externes restent significatifs, nécessitant des actions concertées au-delà des seules mesures de politique monétaire.
En premier lieu, il faudrait une BCT qui tende vers une réduction gradualiste du taux directeur, car cela permettrait de stimuler l’accès au crédit et à soutenir la consommation et l’investissement. Parallèlement, dans le contexte d’un équilibre très fragile, la BCT aura à continuera à surveiller l’inflation de très près, en utilisant des outils de politique monétaire non conventionnels, si nécessaire. En attendant la patte de Fethi Nouri, économiste de renom, fort de plusieurs mandats au sein du CA de la BCT.
- La BCT devrait sévir contre certaines banques, et non les couvrir par le silence
Le bilan mitigé de cette année 2023, et surtout les calculs politiques d’une année 2024 électorale, ont certainement impacté le travail de la BCT. Des réformes, l’institut d’émission tunisien en a besoin.
La BCT gagnerait à renforcer sa gouvernance et sa transparence. Cela passera, inéluctablement, par le renforcement de son indépendance vis-à-vis des influences politiques pour une prise de décision plus objective. Mais, aussi par l’amélioration de la transparence des politiques et des décisions par la publication régulière de rapports détaillés, pédagogues et accessibles.
La BCT devrait aussi renforcer la résilience bancaire et ce, par une meilleure convergence vers les Normes Internationales.
L’écho de la dernière décision du Conseil de la concurrence contre les banque devrait sonner le glas pour réformer le rôle de la BCT en tant que régulateur et superviseur bancaire. Le rapport de l’OCDE concernant les pratiques anticoncurrentielles des banques aussi, devrait trouver meilleure attention chez le Gouverneur Nouri, ainsi que certaines pratiques de certaines banques de la place, comme pour la plainte d’une citoyenne pour crédit fictif passée en justice, et où la DG de la supervision bancaire aurait dû sanctionner, bien avant la justice.
- L’inclusion financière pour ouvrir les portes aux autres
Là où le travail de la BCT pècherait encore par peu d’initiatives et certainement par peu de temps (il n’a que quelques mois en poste), c’est en effet, notamment au niveau de l’inclusion financière et la protection des consommateurs. Pour 2024 et 2025, la BCT gagnerait à promouvoir des initiatives d’inclusion financière pour élargir l’accès aux services bancaires. Parallèlement, elle devrait, et ça urge, de renforcer les régulations visant à protéger les consommateurs des services financiers, assurant une conduite équitable des banques. Et surtout, ouvrir les portes du crédit aux Startups et celles du paiement en devises, sans risque de prison, à ceux qui veulent faire du commerce électronique en devises pour que les compétences technologiques ne quittent pas le pays. Une jeunesse à l’avenir de laquelle le président de la République est très sensible et dont la BCT a répété les engagements non tenus !
Autre point, qui n’est pas un luxe, celui de l’intégration des critères ESG (Environnement, Social et Gouvernance) dans les régulations bancaires afin d’encourager des pratiques durables et responsables dans le secteur financier. Un point qui compte, désormais, énormément dans les négociations avec les bailleurs de fonds internationaux.
Désormais, pour Fethi Nouri qui peut ainsi marquer son mandat d’une pierre blanche, il s’agit de bien terminer 2024 avec la mise des prérequis d’un démarrage en trombe pour 2025, avec comme objectifs de renforcer la résilience économique, améliorer la stabilité financière et stimuler la croissance à long terme en Tunisie. Une approche intégrée, combinant réformes structurelles, politiques monétaires adaptatives et diversification économique, est cruciale pour surmonter les défis actuels et futurs. Tout un chantier !