Elle n’a pas toujours la cote. Le dernier sondage « satisfaction des Tunisiens sur le rendement des chefs de l’Exécutif sur l’année 2022 » donne à la cheffe du gouvernement tunisien, Nejla Bouden un taux de satisfaction de 40 %. Elle n’est pourtant que la 1ère des ministres d’un Kais Saïed, dont elle endosse les manquements politiques et économiques, tout en la dépassant dans le taux de satisfaction.
En janvier 2023, selon Sigma Conseil, 69 % des Tunisiens pensaient que le pays va dans la mauvaise direction depuis août 2021, et c’est à la cheffe du gouvernement qu’ils en veulent pourtant plus qu’au chef de tout l’Etat qui récolterait déjà 40,1 des voix du corps électoral en cas de nouvelles présidentielles. Drôle de peuple, celui de la Tunisie !
Coincée par les agences de notation, les bailleurs bilatéraux, le FMI et même le Club de Paris où l’accès de la Tunisie est aussi conditionnée par l’acceptation du fonds monétaire international selon Ferid Belhaj (ar), la cheffe du gouvernement décide franchir le Rubicon Kais Saïed et lui propose un projet, amendant et complétant la loi n° 89-9 du 01 février 1989, relative aux participations et entreprises publiques (ar). C’est ce qui attirait l’attention dans le communiqué de la Kasbah, sur la réunion du CM (Conseil des Ministres) du jeudi 9 février 2023.
– Le chef suivra-t-il le 1er pas de la cheffe ?
N’étant qu’un projet, comme manifestement tout ce que fait Najla Bouden, il devra être accepté par son chef de tout l’Etat. C’est ce qui explique le silence de la Primature tunisienne sur son contenu, comme par ailleurs tout ce qu’elle fait et tout ce qui entoure le travail de tout son gouvernement, pour qui le passage devant les médias reste strictement surveillé par la Kasbah, et elle-même par Carthage. Elle fait ce premier pas, et c’est important et bon à signaler. Trois embûches se dressent cependant devant cette initiative de Najla Bouden :
Ø D’abord, le refus tacite du chef de tout l’Etat, sous le couvert de la souveraineté de l’Etat, de négocier avec le FMI un plan de réformes. Ce dernier reste pourtant la pierre d’achoppement du passage du stade du SLA (Staff Level Agreement), à celui devant le Board du FMI qui décidera du montant et des conditions de décaissement de l’aide financière à la Tunisie.
Ø Ensuite, le refus opposé par la centrale syndicale UGTT à toute discussion avec le FMI, et à toute discussion avec le gouvernement de Kais Saïedsur la question du sort des participations et entreprises publiques tunisiennes. La Centrale syndicale est en plus engagée, depuis quelques semaines, dans un bras de fer avec Kais Saïed, qui avait tiré le 1er en faisant attaquer un syndicaliste de la société Tunisie-Autoroutes, par la justice et traité avec dédain l’initiative de Noureddine Tabboubi de relancer un plan de Dialogue national.
Ø Et enfin, le refus voilé du FMI de passer à l’acte (Mise du dossier tunisien sur l’ordre du jour de la réunion de son Board), sans un passage acté du gouvernement tunisien, à l’exécution d’au moins une ou deux, des huit conditions comprises dans le texte du SLA.
Au point quatre de ce texte, il est demandé au gouvernement Bouden de « s’engager dans un programme complet de réforme des entreprises publiques, en commençant par l’adoption d’une nouvelle loi les encadrant ». Et c’est par ce point que compte commencer, manifestement, la cheffe du gouvernement, les autres relevant presque du domaine de l’impossible.
· Pour l’équité fiscale, en effet, le contenu du décret des finances 2023 en nouvelles taxes et impositions, en dit assez long sur le peu de souci de la ministre des Finances de son gouvernement affiche envers la question de l’équité fiscale par rapport au souci de mobiliser le plus de ressources pour un budget qui terminait 2022 en déficit de 5,9 Mds DT.
· Echec, mais pas encore Mat, sur la question de la levée des compensations, dans un Etat qui persiste à compenser même le thé, le café et le tabac. Pourtant financée par la Banque Mondiale, la plateforme pour lancer la compensation des prix, n’était toujours pas en œuvre.
· « Préserver le pouvoir d’achat des Tunisiens face à une inflation élevée et en accélération. Pour renforcer la stabilité macroéconomique, la Banque centrale de Tunisie a commencé à resserrer sa politique monétaire », comme le demande le FMI, c’est tout aussi raté. Il n’y a pour s’en rendre compte qu’à compter la flopée de hausses de la TVA pour comprendre le trend toujours haussier de l’inflation (10,2 % en janvier 2023), et voir la BCT enfoncer le couteau du TD (Taux Directeur) dans la plaie du coût de la vie, pour ne pas risquer la gangrène d’une dévaluation du Dinar tunisien.
· Maîtrise les dépenses, alors que le budget 2023 prévoyait déjà une hausse de 6,5 % du salaire de base, c’est aussi raté, même si le gouvernement dit envisager de réduire la masse salariale à 12,9% du PIB, à l’horizon 2025. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, et les bailleurs de fonds n’en font pas partie !
La cheffe du gouvernement tunisien, faut-il encore le rappeler, est une bosseuse. Elle a certainement le savoir, mais ne le fait pas savoir. Une travailleuse acharnée qui ne compte pas les heures à La Kasbah, où elle est cependant cloîtrée et parfois mal conseillée. Mais une cheffe qui n’est pas le chef, et c’est là toute sa tragédie grecque, ou libanaise, à la tunisienne !