Passé un peu inaperçu, un très récent rapport d’une Instance onusienne a remis en cause la conviction absolue dans certaines orientations économiques appliquées pratiquement par les divers pays du monde dont la Tunisie et devenues en quelque sorte des constantes politiques pour la redynamisation de l’économie et l’accélération de la croissance, à l’instar des incitations fiscales, l’encouragement des IDE, l’attraction des sociétés internationales et autres aspects de la mondialisation comptés partout comme des bienfaits universels.
Une note, publiée mercredi 10 mai par la commission économique des Nations Unies pour l’Asie occidentale, a confirmé que les Etats arabes dont la Tunisie essuient annuellement des pertes de plusieurs milliards de dollars d’évasions fiscales en raison des facilités accordées aux firmes multinationales et du recours aveugle aux incitations fiscales pour attirer les investissements.
En substance, la note dont les grandes lignes ont été rapportées par l’Agence Tunis Afrique Presse, a révélé que « les Etats arabes subissent une perte annuelle d’environ 9 milliards de dollars de recettes fiscales, en raison des pratiques abusives des sociétés multinationales en matière d’impôt sur les sociétés, telles que le transfert des bénéfices hors des pays où elles génèrent des profits afin de minimiser leur responsabilité fiscale ».
Intitulée « Choix politiques arabes et opportunités de financement dans un nouvel ordre mondial de la fiscalité », la note a souligné que « les incitations fiscales, qui ont eu pour effet de réduire de 60 % en moyenne les recettes fiscales potentielles des entreprises dans la région, n’ont pas dissuadé les multinationales de rapatrier leurs bénéfices ».
Entre-temps, ces multinationales maintiennent leurs opérations à un niveau minimal qui les rend rentables, tandis qu’un tiers d’entre elles sont imposées à des taux effectifs inférieurs au taux minimum mondial d’imposition des sociétés, fixé à 15 %.
Le plus inquiétant, selon la même note, c’est que « les pays arabes continuent à compter sur les mêmes incitations fiscales pour attirer les investisseurs et compenser les déficiences structurelles inhérentes à leurs économies ».
Vaines réformes
Rola Dashti, secrétaire exécutive de la Commission citée a fait la lumière sur ces pertes, subies en particulier par les pays à revenu intermédiaire, dont les recettes sont fortement tributaires de l’impôt, à l’instar de la Tunisie. « Si les filiales des multinationales sous-imposées paient le taux minimum mondial d’imposition des sociétés de 15 %, cela pourrait générer entre 5,5 et 9 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires pour les pays concernés ».
Le document a souligné également que les activités des multinationales et les flux d’investissement direct étranger qui y sont associés n’ont pas entraîné une augmentation proportionnelle de l’emploi. La structure des investissements de capitaux entrants reste orientée vers les industries extractives et l’immobilier, lesquels représentent environ la moitié des investissements reçus mais ne représentant que 10 % des opportunités d’emploi.
En conclusion, la note a estimé que les réformes mondiales de l’impôt sur les sociétés menées par le Groupe des 20 économies les plus grandes, G20, ne peuvent apporter que des revenus modestes à la région arabe, car les réformes mondiales proposées restent orientées en faveur de la société mère des multinationales dans leurs pays d’origine.
De l’avis de certains analystes neutres, c’est un procès en bonne et due forme de la mondialisation, qui vient s’ajouter à plusieurs autres rapports négatifs dont certains, vieux de plus de 15 ans, émanent de quelques gouvernements des pays du Nord, censés être les gros bénéficiaires de la mondialisation.
Ainsi, un rapport du ministre français au commerce datant de 2006 décrit la France comme étant un pays victime de la mondialisation à cause du mouvement massif de délocalisation des entreprises industrielles du Nord au Sud qui a été le trait principal de la mondialisation.
Au vu de sa situation actuelle truffée de difficultés économiques et financières éreintantes, la Tunisie qui avait « bénéficié » de ces délocalisations à coup de facilités et d’incitations fiscales, est montrée comme un exemple vivant de l’échec de la mondialisation à réaliser la prospérité planétaire durable, comme ses partisans l’avaient promis.
Résurgence de la politique
Outre les relocalisations dans des sites jugés plus sûrs, souvent sous forme d’un retour pur et simple aux pays européens d’origine, et les pertes signalées par la note de l’Instance onusienne citée plus haut, cet aspect de la mondialisation a été dénoncé comme ayant favorisé la dépendance des pays du Sud dont la Tunisie vis-à-vis des pays du Nord parallèlement à la perte de l’identité culturelle occasionnée par la diffusion d’un mode de vie uniformisé.
Ce jeu dangereux de la délocalisation et de la relocalisation, la Tunisie en a toujours souffert et en souffre encore. Depuis fin 2020, environ 300 entreprises étrangères l’ont quittée vers d’autres cieux.
C’est que tel le fruit pourri qui portait déjà dans son sein les germes de sa propre destruction , de l’avis des mêmes spécialistes, la mondialisation présentée, à ses débuts, dans l’euphorie générale, comme étant une globalisation purement économique pour le bien de tous, à l’abri des autres aléas, n’a pas su effacer, ni écarter la primauté des considérations politiques dans le façonnement de l’ordre mondial .
Aussi, surgissant au gré des circonstances, selon les jugements capricieux des grandes puissances occidentales envers les évènements nationaux, régionaux et internationaux, du moment, la politisation des relations internationales a fini par éclater au grand jour, depuis plus d’une année, dans le sillage du conflit russo-ukrainien, sonnant le glas à la mondialisation, à défaut de la polarisation explosive de l’époque des grandes Idéologies précédant celle de la mondialisation.
Mais, l’espoir persiste quand même. Beaucoup de voix, notamment dans les pays émergents et en voie de développement, en Afrique, Asie, et Amérique latine, se sont élevées, plaidant en faveur de la construction d’une nouvelle mondialisation basée sur le partage réel des fruits de la croissance tant entre les nations à l’échelle mondiale qu’entre les différentes classes et catégories sociales au sein d’un même pays.
Justement, comme l’ont confirmé de nombreux rapports pertinents, la croissance des flux de capitaux ayant accompagné la mondialisation, a entraîné un accroissement des inégalités à l’échelle mondiale entre le Nord et le Sud mais aussi à d’autres échelles avec l’apparition des nouveaux pauvres dans les pays du Nord, venus grossir le nombre des pauvres des pays du Sud.
Reste à vaincre les égoïsmes solidement ancrés qui refusent les changements.
S.B.H